Les pratiques à l’épreuve du Covid

Si la téléconsultation médicale est autorisée et remboursée depuis 2018, elle restait une pratique peu répandue, reléguée à un futur plus ou moins proche. L’épidémie de coronavirus a poussé praticiens et patients à passer de la théorie à la pratique et les autorités à encourager le recours au dispositif par son remboursement à 100 %. Qui peut faire quoi aujourd’hui ?

Par Ludivine Aubin-Karpinski
Les pratiques en teleaudiologie

La téléaudiologie sera-t-elle un acquis pérenne du confinement ? S’il est difficile de savoir aujourd’hui quel sera son déploiement au-delà de l’urgence sanitaire liée au Covid-19, il est permis de penser qu’il en restera quelques avancées significatives. Considérée à l’origine comme un outil d’homogénéisation de la santé sur tout le territoire, permettant de donner accès à une expertise médicale inégalement répartie et en voie de raréfaction, elle a su trouver son utilité en temps de crise et de nécessaire distanciation physique. Elle a également montré son intérêt pour l’après en ce qui concerne le suivi des patients à leur domicile ou en institution, des personnes fragiles ou atteintes de maladies chroniques.

« Nécessité fait loi »

Remboursée depuis septembre 2018 au même titre qu’une consultation en présentiel, une consultation à distance, par vidéotransmission, doit, en temps normal, remplir certaines conditions. Elle doit s’inscrire dans le parcours de soins coordonné et doit être réalisée par le médecin traitant ou orientée par ce dernier vers un spécialiste, ayant déjà rencontré le patient lors d’une consultation physique au cours des 12 derniers mois précédant la téléconsultation. L’épidémie de Covid-19 et le confinement ont amené le Gouvernement, sur recommandation de la Haute autorité de santé (HAS), à assouplir ces conditions de prise en charge des téléconsultations pour en faciliter le recours de façon à lutter contre la propagation du virus et le renoncement aux soins. Ces dérogations, légitimées par l’état d’urgence sanitaire, n’ont pas vocation à perdurer dans le temps et ne sont a priori applicables que de manière temporaire.

Ainsi, deux décrets publiés les 9 et 23 mars et l’ordonnance n°2020-428 du 15 avril 2020 établissent que les téléconsultations médicales sont remboursées à 100 %, quel que soit le motif de consultation à distance, même hors parcours de soin et s’il s’agit d’une première rencontre avec le professionnel téléconsultant. Les téléexpertises, consistant à permettre à un médecin de solliciter à distance l'avis d'un spécialiste, le sont également pour les patients Covid-19 (suspects ou diagnostiqués).

De même, le décret n°2020-459 paru le 21 avril permet des actes de téléconsultation par téléphone pour les personnes résidant dans les zones blanches ou ne disposant pas du matériel nécessaire à la réalisation d'une vidéotransmission et relevant d'une des quatre situations suivantes : présenter les symptômes de l'infection ou être reconnu atteint du Covid-19, être âgé de 70 ans ou plus ou être atteint d'une affection de longue durée (ALD) ou être une femme enceinte.

ORL : dans l’attente d’un cadre réglementaire élargi

En ORL, seule une téléconsultation simple est possible aujourd’hui. En effet, la loi ne permet pas encore de réaliser des actes médico-techniques comme l’audiométrie ou les explorations fonctionnelles objectives (voir notre article Audiologie à distance : la technologie au rendez-vous). Cette situation devrait évoluer dans les mois à venir, y compris pour le suivi des personnes implantées cochléaires (voir notre encadré ci-dessous et notre article Audiologie à distance : la technologie au rendez-vous). Toutefois, l’absence de cotation pour ces actes ou pour l’intervention d’un facilitateur au domicile du patient ou dans une maison de santé permettant de positionner les transducteurs par exemple pendant que le spécialiste réalise à distance l’examen, a limité son recours par la communauté ORL. Le Dr Ali Abbas, ORL dans le 15e arrondissement de Paris, a adopté la télémédecine depuis l’épidémie de Covid-19, réservant les consultations présentielles aux urgences, comme des surdités brusques : « Je ne pratique que 12 téléconsultations par jour. Un faible nombre qui s’explique par le renoncement aux soins des patients. Notre pratique via la téléconsultation se résume à l’interrogatoire et à de la réassurance. Il n’y a pas d’examen clinique. Pour tous nos patients chroniques, il est facile de poser un diagnostic itératif. Mais pour les patients vus pour la première fois, la tâche est beaucoup plus difficile. Je conseille à certains patients l'application Höra pour auto-diagnostiquer une surdité progressive. »

La pratique se heurte également à la technique : défaut de matériel de certains patients ou incapacité de certains d’entre eux à télécharger les outils de vidéotransmission et à se connecter… « La téléconsultation du patient seul est difficile, explique le Dr Abbas. Dans la littérature, la configuration permettant une téléconsultation efficace se fait avec une tierce personne qui contrôle les appareils connectés. L’avenir permettra peut-être une collaboration plus étroite entre ORL et audioprothésiste. Le patient serait chez l’audioprothésiste qui positionnerait l’oto-endoscope afin que l'ORL puisse faire un diagnostic à distance. »

Autorisation temporaire du télésoin en orthophonie

Outre le remboursement à 100 % de la téléconsultation, les possibilités de télésoin ont été étendues à d’autres professions et notamment aux orthophonistes. L’arrêté du 25 mars permet le recours à la téléorthophonie pour tous les patients, à l’exclusion des bilans initiaux et des renouvellements de bilan. La pertinence de ce recours est laissée à l’appréciation de l’orthophoniste. Nathalie Brenner, orthophoniste et chef de service au Centre expérimental orthophonique et pédagogique (Ceop) à Paris, témoigne : « Les séances de téléorthophonie ne peuvent se faire qu’avec des patients que nous avons déjà vus en présentiel et, pour les mineurs, la présence d’un adulte est nécessaire. » Pour ses séances en libéral, elle utilise la plate-forme Inzee.care, mise en place par la Fédération nationale des orthophonistes. « Cela fonctionne bien et permet de maintenir le lien avec nos patients, explique l’orthophoniste. Cela reste compliqué avec les jeunes enfants sourds, qui présentent d’importantes difficultés, et ceux qui s’appuient sur la lecture labiale… Le télésoin demande également beaucoup de préparation et les séances sont plus longues et moins fréquentes, pour un contenu équivalent, du fait des manipulations. Au lieu de 30-45 minutes, elles durent 45 minutes à une heure. Elles laissent aussi moins de place à l’improvisation, la spontanéité. Il nous manque tous les aspects complémentaires des sensations auditives que sont le vibratoire, les sensations kinesthésiques… »

(Edit du 12 mai 2020 : un arrêté du 11 mai 2020 supprime la date limite de la pratique du télésoin, initialement fixée au 11 mai. Les orthophonistes peuvent donc continuer cette pratique.)

Téléréglages : pour limiter les rendez-vous pour ajustements mineurs

Depuis quelques années déjà, la téléaudiologie s’est invitée dans les pratiques des audioprothésistes. A contrario des ORL ou des orthophonistes, la crise n’a pas joué les catalyseurs, les interventions pendant le confinement se bornant le plus souvent à la fourniture de piles ou à la gestion de pannes. En revanche, la date de la sortie de crise n’étant pas connue et les probabilités pour qu’elle dure étant relativement fortes, les audioprothésistes ne pourront pas reprendre leur activité dans les mêmes conditions qu’avant. Les règles d’accueil strictes, la nécessité de décontaminer et d’espacer les rendez-vous… autant d’éléments qui doivent conduire les professionnels à considérer la téléaudiologie comme une solution sur le long terme d’optimisation du planning et une alternative à proposer aux patients qui hésiteraient à se déplacer ou encore aux personnes en perte d’autonomie ou en institution. Plus généralement, les systèmes de réglages à distance doivent être considérés comme des outils supplémentaires au service des audioprothésistes, offrant un double avantage : limiter les déplacements inutiles en centre, pour des ajustements mineurs, et approfondir le suivi du patient en même temps que la relation client, notamment pendant la phase critique de la période d’essai. Elle ne doit pas se substituer aux pratiques existantes mais bien venir en renfort : « C’est un service à proposer à certains patients seulement, explique Jean-Baptiste Lemasson, audioprothésiste et responsable Audiologie chez GN Hearing France. Tous n’en veulent pas ou ne sont pas équipés d’un smartphone connecté. Ce que je trouve intéressant, c’est de pouvoir encore améliorer la prise en charge et régler les problèmes de nos patients sans attendre le prochain rendez-vous. »

Comme toute évolution technologique, la téléaudiologie a sa part d’ombre. Et, d’aucuns craignent une ubérisation de l’audiologie, en limitant le rôle de l’audioprothésiste dans les réglages des aides auditives. Nul ne sait si cela arrivera ni quand. Une chose est sûre, l’innovation révolutionne les métiers et l’apport de ces solutions d’e-santé continuera de changer les pratiques. Il appartient désormais aux professionnels d’envisager les champs des possibles ouverts par la télésanté : pour les ORL, dans un contexte de baisse de leurs effectifs, la possibilité de réaliser à distance des explorations fonctionnelles ou des audiométries, assistés par des audioprothésistes ou des orthophonistes ; pour ces derniers, celle de régler des implants cochléaires sous la responsabilité d’un médecin par vidéotransmission… Les possibilités sont nombreuses. Reste aux différentes professions à s’accorder et au législateur d’encadrer ces nouvelles pratiques.

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