26 Mars 2024

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La synaptopathie, une pathologie peut-être surestimée chez l'humain

L’atteinte des synapses situées entre les cellules ciliées internes et les fibres du nerf auditif est suspectée de causer des surdités cachées (invisibles à l’audiogramme). Mais une étude récente suggère qu’un trouble de l’inhibition serait davantage responsable de ce tableau clinique.

Par Bruno Scala
synaptopathie cochleaire

La synaptopathie est une pathologie qui a été observée à maintes reprises sur des modèles animaux, mais presque jamais chez l’humain. En 2019, plusieurs scientifiques de renommée internationale publiaient d’ailleurs un article intitulé La recherche de la synaptopathie cochléaire due au bruit chez l’humain : mission impossible ? [1]. En effet, hormis sur des échantillons cadavériques, impossible de mettre cette pathologie au jour. Pour certains, cette lacune plaide en faveur de l’hypothèse que les humains y seraient très peu sujets, par rapport aux rongeurs. Mais alors, comment expliquer que certaines personnes présentent un audiogramme normal avec pourtant d’importantes difficultés à comprendre la parole, notamment dans le bruit ? Comment s’expliqueraient les surdités dites cachées ? L’équipe du Pr Enrique Lopez-Poveda, à l’université de Salamanque en Espagne, apporte des résultats qui soutiennent une autre hypothèse : les déficits auditifs liés à l’âge sont associés à une diminution de l’inhibition, plutôt qu’à une synaptopathie [2]. En effet, les deux phénomènes peuvent affecter l’intelligibilité. L’inhibition peut altérer le traitement temporel auditif, mais aussi réduire la capacité à supprimer la distraction. Quant à la synaptopathie, elle dégrade l’encodage des sons. « C’est la confrontation de deux hypothèses, l'une très “à la mode”, les synaptopathies cachées cochléaires, et l'autre plus ancienne qui est la baisse de la capacité des circuits cérébraux à ignorer des activités parasites », résume le Pr Paul Avan, directeur du Centre de recherche et d’innovation en audiologie humaine (Ceriah) à l’Institut Pasteur.

Les travaux d’Enrique Lopez-Poveda et ses collègues ont porté sur une trentaine de sujets, âgé de 25 à 59 ans, et présentant les caractéristiques cliniques d’une surdité cachée : un audiogramme normal (seuils ≤ 20 dB HL) et des difficultés de compréhension de la parole dans le bruit. Par ailleurs, les capacités cognitives de ces sujets étaient normales (score MoCA ≥ 26). Les chercheurs ont mesuré les seuils d’intelligibilité (SRT) dans le bruit, les seuils de détection des écarts (GDT) et les seuils de détection de modulation de fréquence (FMDT), permettant d'évaluer la précision de la synchronisation neuronale. Ils ont aussi mesuré la pente de l’onde I des ABR, qui est un indicateur présumé de la synaptopathie. Enfin, les cobayes ont effectué un test de Stroop (qui consiste, par exemple, à dire « bleu » lorsqu'une carte sur laquelle le mot rouge écrit en bleu est présentée), pour évaluer l’inhibition.

Les analyses des résultats indiquent que la synaptopathie cochléaire liée à l'âge n'était pas associée de manière significative à des déficits de traitement temporel liés à l'âge ou à la compréhension dans le bruit (SRT). À l’inverse, un déclin de l’inhibition était associé de manière significative à des seuils de détection des écarts, des modulations de fréquence ou d’intelligibilité plus altérés. Pour les auteurs, ces résultats suggèrent que les difficultés de compréhension de la parole dans le bruit que rencontrent les personnes âgées présentant un audiogramme normal sont probablement plus étroitement liées à une diminution de l'inhibition qu'à une synaptopathie cochléaire. « Ce travail basé sur une analyse statistique et non un diagnostic individuel n'exclut évidemment pas l'existence de synaptopathies cochléaires, estime le Pr Paul Avan, mais il met en garde contre une attribution trop hâtive et systématique des problèmes auditifs à audiogramme tonal normal à une synaptopathie. »

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