23 Mai 2024

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Dr Natalie Loundon : « Un document unique pour évoquer toutes les facettes de l’audiométrie vocale de l’enfant »

La SFA, en collaboration avec la SFORL, vient de publier un document intitulé « Audiométrie vocale de l’enfant ». Ce texte synthétise les connaissances et les pratiques concernant cet acte, identifie les besoins pour qu’il soit réalisé dans les meilleures conditions et fournit quelques recommandations. Entretien avec la Dr Natalie Loundon, cheffe de l’unité audiophonologie pédiatrique à l’hôpital Necker-Enfants malades (Paris), qui a coordonné sa rédaction.

Propos recueillis par Bruno Scala
Natalie Loundon web

La SFA vient de publier une « recommandation sur l’audiométrie vocale de l’enfant », dont vous avez coordonné la rédaction. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Il ne s’agit pas à proprement parler de recommandations. Ce document a été rédigé par la SFA, avec le soutien de la SFORL. Les recommandations issues de sociétés savantes suivent une procédure très précise et assez lourde. Il faut d'abord procéder à une revue de la littérature exhaustive et sous une certaine forme. Il faut analyser chacune des études retenues lors de cette revue, et leur indexer un niveau de preuve. Le travail de validation est également très minutieux.

Ce document n’adopte donc pas le format d’une recommandation stricto sensu. Il dresse tout d’abord un état des lieux de l’existant, de ce qui se fait aujourd’hui dans l’évaluation auditive chez l’enfant. Il identifie aussi les besoins pour une pratique plus adaptée, tout en émettant un certain nombre de recommandations, que nous avons placées en encart (lire l'encadré ci-dessous).

Cette initiative fait suite aux recommandations de la SFORL sur l’implant cochléaire et l’appareillage de l’enfant, rédigées en 2019, dans lesquelles nous préconisions de tester l’audition dans le bruit.

Quels sont les besoins que vous évoquez ?

Les méthodes d'exploration actuelles ont été développées dans les années 1960. Mais nos pratiques évoluent. Nous devons être plus exigeants, plus fins dans l’analyse, pour répondre à l’évolution de la qualité de la réhabilitation auditive, et aux nouvelles indications.

En outre, aujourd’hui, on attend de l'apprentissage des enfants sourds profonds qu'il se développe comme celui des enfants normo-entendants. C’est un objectif ambitieux. Pour y parvenir, il faut utiliser des tests avec du vocabulaire et des structures plus complexes que ceux dont nous disposions quand le but était uniquement la « démutisation » de l’enfant sourd. Afin de déterminer les difficultés perceptives résiduelles, de mieux utiliser les options de réglages des appareils auditifs et implants, nous avons besoin d’outils plus fins. Et pour cela, des normes fiables doivent être établies, afin de savoir ce dont un enfant est capable, en fonction de sa tranche d’âge.

Des tests existent, mais parfois sans normes, ou bien celles-ci n’ont pas été actualisées. Parfois il s’agit de tests développés dans des pays anglophones, et il ne suffit pas de traduire les listes de mots parce que l’occurrence des phonèmes n’est pas la même. En fait, il faut quasiment refaire tout le travail.

Celui-ci a été réalisé pour les adultes ; c’était le première étage de la fusée. Et nous sommes d’ailleurs parfois amenés à utiliser ces tests pour les enfants, mais ils ne sont pas toujours adaptés. Il faut maintenant construire le deuxième étage, celui de la pédiatrie.

En outre, nous devons sensibiliser les professionnels au changement de paradigme, à l'évolution des pratiques et des modalités de réhabilitation.

Quelles sont les précautions à prendre pour mettre au point des listes de mots pédiatriques ?

Tout d’abord, il faut calibrer la parole. Le choix de la parole (homme, femme, synthétique) est aussi important. Est-ce qu’il faut opter pour des mots qui ont un sens ou des pseudo-mots ? En fonction de ce choix, on évalue différentes choses au niveau cérébral.

Vient ensuite le sujet du bruit. Plutôt un bruit blanc, une ambiance cocktail party, des filtres ? Plutôt un bruit variable ou stationnaire ? Cela aura une incidence sur la durée du test, or l’attention des enfants s’amenuise rapidement. Dans ce cas, on peut observer une chute des scores parce que le test est trop long ou trop ardu. Il y a des choix stratégiques à faire.

Ce serait le rôle d’une société savante de financer un projet pour répondre à ces besoins : enregistrer des nouvelles listes de mots, travailler avec des laboratoires de phonétique pour les équilibrer, en tenant compte des occurrences de la langue, du niveau de vocabulaire en fonction de la tranche d’âge ciblée, etc. L’objectif est que chaque patient puisse avoir un test adapté.

Nous devons être plus exigeants, plus fins dans l’analyse, pour répondre à l’évolution de la qualité de la réhabilitation auditive, et aux nouvelles indications.

Au-delà de ces nouveaux besoins, sentiez-vous qu’une mise au point était nécessaire ?

On se rend compte qu’il y a une méconnaissance des tests disponibles aujourd’hui et de ce qu’on peut attendre d’une réhabilitation de qualité chez l’enfant. J’ai vu il y a peu une enfant en CP qui rencontre des difficultés d’apprentissage. On a mis ça sur le dos d’un trouble de l’attention alors qu’elle n’a jamais été évaluée dans le bruit. Elle a des seuils tolérables dans le silence, mais dès qu’il y a du bruit, elle ne comprend pas.

C’est vrai que l’évaluation de l’audition dans le bruit est plus complexe, surtout chez l’enfant. Et cela nécessite un investissement en matériel. En conséquence, peu d’ORL s’impliquent dans l’audition de l’enfant. Rares sont ceux à être équipés en champ libre, ce qui permet pourtant d’évaluer la qualité d’une réhabilitation. Et pour ceux qui sont prêts à investir pour s’équiper, encore faut-il savoir manipuler les appareils, connaitre les modalités d’évaluation : quel test, quel bruit, quel rapport signal-bruit, quelles listes, une ou deux oreilles, quelles sources ? Le document que nous avons rédigé permet d’aiguiller sur ces questions. C’est un support pédagogique.

Quelles pistes ou solutions proposez-vous pour que les ORL se mettent davantage à l’audiométrie dans le bruit en pédiatrie ?

Nous devons trouver un moyen de faciliter la diffusion de ces tests au plus près des patients, pas seulement dans des centres experts. Pour cela, il faut développer des outils qui soient clé en main, simples à mettre en place, faciles à installer en cabine, afin de limiter les erreurs possibles. Le but est d’obtenir une homogénéité dans l’évaluation des patients et sur le service rendu, sur tout le territoire.

Il faudrait que tous les acteurs puissent se mobiliser afin de développer de tels outils. L’émergence de l’intelligence artificielle pourrait y contribuer. Si un industriel a cette volonté, il pourra s'appuyer sur les experts de la SFA et la SFORL pour prendre en compte toutes ces problématiques. C’est une procédure longue et couteuse, mais elle est indispensable.

Pensez-vous que les ORL et les audios devraient avoir suivi une formation spécifique pour prendre en charge des enfants ?

Un ORL qui ne sent pas à l’aise avec la pédiatrie renvoie généralement vers un confrère ou vers un centre expert. Il y a toutefois quelques ratés dans les déserts médicaux, quand l’ORL n’a pas de collègue spécialisé à qui adresser ces patients. C’est pareil chez les audioprothésistes : certains se lancent dans la prise en charge pédiatrique sans avoir de solides connaissances pour cela, mais, en général, les enfants de moins de 5 ans sont pris en charge par des professionnels qui ont été formés ou qui ont une compétence, soit par compagnonnage, soit grâce à des stages en pédiatrie.

La ségrégation se fait naturellement. De plus, certains valident un DU mais leurs connaissances restent très théoriques. À l’inverse, un apprentissage via le compagnonnage peut se révéler efficace. Dans un contexte de pénurie d’ORL, je ne suis pas sûre qu’il faille verrouiller davantage. Or, si les ORL abandonnent ce secteur, il pourrait être récupéré par d’autres. Les ORL sont déjà en train de perdre certaines compétences au profit des audioprothésistes, auxquelles ces derniers ne sont pas toujours formés : le diagnostic, l’annonce de la surdité, les explorations électrophysiologiques, la vestibulométrie... C’est pour cela que je suis toujours favorable à la création de la profession d’audiologiste.

Au lieu de verrouiller, l’idée est plutôt de simplifier les outils qui permettent de répondre aux nouvelles exigences, afin qu'ils ne représentent pas un obstacle insurmontable pour des ORL qui ne font pas cela tous les jours et ne sont pas experts.

Dans votre document, certaines recommandations rappellent simplement la loi...

Oui, car je pense que tout le monde n’est pas au fait de tous les textes. Par ailleurs, il nous semblait important que tout ce qui concerne l’audiométrie vocale de l’enfant soit rassemblé. C’est un document unique pour évoquer toutes les facettes de cette problématique.

Audiologie Demain
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