03 Mai 2024

Ascolta, le do tank qui veut murmurer à l’oreille des politiques

Groupe de réflexion pluridisciplinaire réunissant plusieurs experts du monde de l’audiologie, Ascolta publie son deuxième manifeste pour améliorer le parcours de soins des patients atteints de surdité. Un cahier de doléances contenant sept propositions, de la prévention au suivi, destinées à inspirer les politiques pour l’adoption de mesures concrètes.

Par Ludivine Aubin-Karpinski
Ascolta
Une partie des membres d'Ascolta : (de gauche à droite) Jean-Michel Klein (vice-président du SNORL), Laurence Mouillet (consultante nile), Johann Vitrey-Tardif (président du comité d’éthique de l'ORL), Sandrine Bousquet-Cabrol (directrice accès au marché Cochlear France), Quentin Riaudel (consultant nile), et Matthieu Del Rio (président du Collège national d’audioprothèse)

« Amener des propositions et des solutions aux décideurs concernant l’amélioration du parcours de soins des patients sourds ou malentendants, intégrant la prévention, le dépistage, le diagnostic, les soins médicaux ainsi que le suivi post-traitement ». Tel est l’objectif d'Ascolta – pour Action pour la solution cochléaire et les technologies d’avenir. Derrière l’acronyme se cache un do tank (cercle de réflexion tourné vers l'action, par opposition au « think tank » dont la finalité est la production d’idées), créé en 2021 sur l’impulsion de l'agence conseil d’affaires publiques et de lobbying nile, soutenu financièrement par Cochlear et rassemblant des acteurs du monde de l’audiologie (lire ci-contre). Représentants d’associations de patients, ORL, audioprothésistes, industriel sont ainsi réunis autour d’une même table pour porter une approche pluridisciplinaire et un regard différent, « tourné vers l’avenir », destiné à créer une « onde de choc positive à l’heure où la réflexion politique est en panne sur la prévention », comme le souligne Olivier Mariotte, médecin généraliste et président de nile. « L’ambition d’Ascolta est de proposer un parcours de soins rénové, en remettant le patient au centre de notre engagement, explique le Dr Jean-Michel Klein, vice-président du SNORL. L'idée n’est pas d’entretenir des intérêts corporatistes mais d’apporter la meilleure qualité de soins à tous. » Une pluridisciplinarité qui a convaincu Matthieu Del Rio, président du CNA : « Il ne s’agit pas d’un énième groupe de réflexion mais de la réunion, transpartisane, de spécialistes de l’audition décidés à être force de proposition et à actionner le levier politique, assure-t-il. Nous sommes ravis de constater que certains d'entre eux, comme le député François Gernigon, s'emparent du sujet. »

Un continuum de propositions pragmatiques

Après un premier manifeste en mars 2022 et une tribune diffusée dans nos colonnes en janvier 2024, le do tank publie un nouveau texte : un recueil de sept propositions concrètes, envisagées comme un « continuum » de solutions, de la prévention au suivi (lire l’encadré). Aucune n’est véritablement iconoclaste, toutes sont de « bon sens », pragmatiques, en vue d’une adaptation facile par les politiques. « La condition sine qua non pour que cela intéresse les pouvoirs publics, c’est que les propositions émanent d’une coalition de professionnels de santé », reconnait Olivier Mariotte. « Nous souhaitons faire bouger les lignes mais de manière consensuelle afin que tous les patients, quel que soit leur degré de surdité, puissent être bien orientés et pris en charge, et ce, le plus tôt possible », complète Sandrine Bousquet-Cabrol, directrice accès au marché de Cochlear.

Prévention et précocité de la prise en charge

Parmi les sept propositions figure l’élargissement du dépistage des surdités à de nombreux professionnels de santé. « Il peut être réalisé facilement grâce à des outils gratuits et simple d’utilisation, comme le test Höra, le seul reconnu aujourd’hui par le ministère de la Santé », commente Jean-Michel Klein. Il doit se substituer, avec le questionnaire HHIE-S, au test de la voix chuchotée, jugé peu fiable par l’ORL. « On est au 21e siècle, explique-t-il. Si on veut être crédible, il faut utiliser des outils valables. »

Autre préconisation d’Ascolta : inclure dans les rendez-vous de prévention aux âges clés, prévus dans le dispositif « Mon bilan prévention » depuis janvier 2024, le dépistage des surdités pour toutes les tranches d’âge et non plus seulement pour les plus de 60 ans. « Parler d’audition dès 25 ans est une occasion de sensibiliser, d’interpeler sur l’importance de la santé auditive, le plus tôt possible », commente Sandrine Bousquet-Cabrol. « Clairement, la réforme du 100 % Santé n’a pas permis d’améliorer la précocité de la prise en charge, ajoute le Pr Bernard Fraysse, ancien président de la société mondiale d’ORL. La surdité dépasse la problématique purement auditive : la prévention des troubles de l’audition est un enjeu majeur de santé publique. »

Pour un parcours de soins pertinent

Le parcours de suivi fait l’objet de deux propositions concrètes. La première concerne le déploiement du questionnaire de suivi du patient prévu dans le cadre du 100 % santé, « nécessaire pour évaluer la réussite qualitative de la réforme ». Attendu depuis la mise en place de celle-ci, il est à ce jour toujours dans les tuyaux de la Direction de la sécurité sociale. « L’idée à l’origine est de s’assurer de la pertinence de l’appareillage mais aussi de conditionner son remboursement à l'efficience du soin », rappelle Sandrine Bousquet-Cabrol. Ascolta propose également de généraliser le questionnaire auprès de tous les patients de la filière auditive, « indépendamment de leur niveau de perte auditive, de leur pathologie et du type de dispositif médical utilisé ».

Le do tank préconise enfin d’actualiser, d’approfondir et de suivre la formation des professionnels de santé de la filière auditive, notamment des audioprothésistes. Il estime essentiel « de garantir [leurs] qualifications et de [leur] offrir les moyens de répondre aux défis rencontrés par les patients souffrant de surdité, particulièrement dans un contexte où la démographie médicale est sous tension ». Il suggère également « un approfondissement des parcours pour des spécialités nécessitant des compétences et des connaissances spécifiques », telles que le réglage des implants, la prise en charge des enfants, des personnes âgées dépendantes, des surdités complexes, des patients acouphéniques... Sur ce point, les travaux concernant la réingénierie du diplôme des audioprothésistes sont en bonne voie d’être enfin lancés : la DGOS les a annoncés en 2025 pour une mise en œuvre à la rentrée 2026.

Un momentum politique

Pourquoi publier ce manifeste maintenant ? Les membres d’Ascolta ont identifié une « fenêtre de tir » pour pousser leurs idées auprès des politiques. Comme d’autres instances, ils constatent aujourd’hui une certaine sensibilité des « décideurs » aux problématiques de la filière auditive (lire notre dossier La prévention auditive sur la table des politiques). « Il est temps de réorganiser le parcours de soins, commente le Pr Bernard Fraysse. On a lancé l’impulsion ; aux politiques de s’en saisir ».

Plus largement, la publication du manifeste est aussi une incitation à la mobilisation : « C’est une façon d'encourager nos différentes instances professionnelles à réagir pour faire avancer le débat », admet le Dr Jean-Michel klein.

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