Il y a 15 ans, Jean-Pierre Meyers imaginait, avec l’appui des Pr Eréa Noël Garabedian, Bruno Frachet et Olivier Sterkers, les Centres de recherche en audiologie, des structures à la frontière de la clinique et de l’industrie. Un projet soutenu par la Fondation Bettencourt-Schueller. « La Fondation avait sondé les professionnels de santé et identifié des besoins, se rappelle la Dr Natalie Loundon. En l’occurrence, l’une des problématiques françaises est de ne pas disposer d’audiologistes à la croisée des cliniciens et des industriels. La Fondation voulait pallier cela en créant une plate-forme de recherche clinique. »
Un emplacement stratégique
Le projet a pris forme. Le premier de ces centres a ouvert ses portes en octobre 2020 à l’hôpital Necker. Il est, logiquement, spécialisé en pédiatrie. Il s’agit de la première pierre d’un réseau national, dirigé par la Pr Françoise Denoyelle, qui devrait se développer dans les années à venir. Un second centre accueille des patients adultes à la Pitié-Salpêtrière. « Ce réseau, qui doit s’articuler avec l’Institut de l’audition (IDA), fait partie d’une entité plus large : l’Alliance pour l’audition (un partenariat entre l'AP-HP, l'Institut Pasteur et la Fondation pour l'audition, NDLR). C’est un projet ambitieux qui vise à ne pas se limiter à un seul hôpital ou à une ville, explique Natalie Loundon. L’idée initiale était de créer l’équivalent de l’Institut de la vision, favorisant la recherche fondamentale mais accueillant aussi des patients. Cependant, l’IDA, dirigé par la Pr Christine Petit, et qui a ouvert ses portes en 2020, fonctionne hors cadre hospitalier et ne peut constituer cette entité clinique. C’est ainsi que l’idée du réseau a émergé, avec des structures d’audiologie associées à plusieurs hôpitaux. »
Le Centre de recherche en audiologie pédiatrique de l’hôpital Necker, dirigé par la Dr Natalie Loundon, est ainsi adossé à l’unité de recherche de l’Institut Imagine. Un emplacement stratégique : à proximité du Centre de référence maladies rares « surdités génétiques » coordonné par la Dr Sandrine Marlin, et à côté du Centre d’Investigation Clinique (CIC) dirigé par le Pr Jean-Marc Tréluyer. « On est ainsi situé dans un hub de recherche clinique », résume Natalie Loundon.
Autonomie financière
Alors que l’AP-HP fournit les murs et du personnel, la Fondation pour l’audition apporte les financements nécessaires aux ressources matérielles et humaines. Mais pour une durée limitée. « Nous avons vocation à devenir autonomes d’ici quatre à cinq ans, précise en effet la directrice du Centre de recherche en audiologie pédiatrique. À cette fin, nous devons obtenir des fonds extérieurs et couvrir des frais de fonctionnement assez conséquents. » En effet, la création de la plate-forme a nécessité plusieurs recrutements. « Il nous fallait un profil d’audiologiste axé recherche, ce que l’on ne trouve pas en France, explique l’ORL, qui se désole par ailleurs de cette spécificité française. Nous avons recruté une audiologiste canadienne, Melissa MacAskill, qui est capable de pratiquer de l’audiométrie, de l’électrophysiologie poussée ainsi que de la vestibulométrie. En outre, elle peut développer de nouveaux algorithmes sur les appareils dont nous disposons. Elle est enfin parfaitement à l’aise avec les patients. Nous avons aussi recruté une coordinatrice et cheffe de projet, Géraldine Visentin. Une infirmière et différents ORL pédiatres de Necker participent au fonctionnement de la plate-forme. »
Le Centre de recherche en audiologie pédiatrique de Necker bénéficie de ce qu’il se fait de mieux en termes d’équipement, y compris de matériels dont peu de structures peuvent se targuer de disposer, comme le Duet d’Intelligent Hearing Systems ou le casque Hautes Fréquences. Une aubaine sur laquelle l’équipe compte bien capitaliser : « À l’instar d'une entreprise, nous proposons des prestations aux industriels et aux services cliniques d’autres hôpitaux, explique Natalie Loundon. De plus, nous disposons d’un savoir-faire pédiatrique, en particulier pour les cas complexes, que nous devons valoriser. »
L'un des atouts de la plate-forme réside dans son pool de patients. « Imaginons qu’un industriel recherche, pour des essais cliniques, un échantillon de patients parfaitement caractérisés, nous serons en mesure de proposer des profils spécifiques, illustre la clinicienne. Pour cela, nous devons mettre au point notre base de données, ce qui représente un projet colossal. » Il faut en effet numériser tous les résultats des différents tests pour chacun des patients suivis dans le service ORL.
Des projets à foison
Ces patients accueillis sur la plate-forme proviennent d’horizons variés et pour des finalités différentes. Il y a d’abord ceux qui sont recrutés dans le cadre de projets de recherche. Il peut s’agir de patients du service ORL de Necker, ou d’autres ORL ou professionnels de santé qui ont eu vent des projets menés au centre. « Nous vérifions les critères d’inclusion et s’ils correspondent, ils sont ensuite suivis sur la plate-forme. »
Plusieurs projets de recherche ont ainsi déjà débuté. Ils tournent autour de quatre grands axes : l’exploration du traitement auditif central, l’exploration vestibulaire, l’audition complexe et les pathologies spécifiques et maladies orphelines.
Un des projets concerne les troubles du traitement auditif (TTA). L’objectif est de trouver des marqueurs chez des patients présen- tant des symptômes, en utilisant l’IRM fonctionnelle, en couplant ces résultats aux analyses électrophysiologiques (PEA), audiométriques et génétiques.
Un second vise, grâce à l’électrophysiologie, à mieux comprendre pourquoi certains patients n’obtiennent pas de bons résultats avec l’implant cochléaire, afin de mieux les prendre en charge. Un autre, également en cours et réalisé en partenariat avec l’équipe CNRS de Mathieu Beraneck, tente de mettre en parallèle les données vestibulaires, audiométriques et génétiques. D’autres projets sont sur le point de démarrer et notamment l’un visant à montrer le bénéfice d’une implantation unilatérale sur les enfants. « Récemment, la HAS a accepté d’étendre les indications de l’implant cochléaire pour les surdités unilatérales avec acouphènes invalidants. Or, chez les enfants, il n’y a en général pas d’acouphènes associés mais nous pensons néanmoins que l’implant cochléaire peut être bénéfique. Nous devons toutefois le prouver. »
Enfin, d’autres projets, encore confidentiels, ont été proposés à différents partenaires industriels.
Cohortes et soins
Outre ces nombreux projets, les équipes de la plate-forme participent à l’élaboration de cohortes. L’une concerne l’étude de l’audition sur les hautes fréquences, en particulier chez les enfants atteints de mucoviscidose, qui ont été traités avec de l’aminoside. Le but étant de voir s’il existe une ototoxicité « cachée » sur cette plage. « Nous participons aussi à une cohorte de patients souffrant d'ostéogenèse imparfaite (maladie des os de verre), complète la directrice du centre de recherche, afin de vérifier si une potentielle atteinte des osselets, de la cochlée ou du rocher – qui peut provoquer une déformation du conduit auditif interne – peut affecter l’audition. » Il faut en outre constituer des cohortes « référence », avec des patients ayant une audition normale : « Quand nous développons de nouveaux algorithmes, nous avons besoin de normes, détaille Natalie Loundon. Par exemple, pour les hautes fréquences, les normes commencent à 18 ans. Nous sommes donc en train d’en créer une pour l’enfant. »
Enfin, cette plate-forme a également une fonction clinique : « Nous accueillons des patients très complexes pour lesquels notre service ORL a atteint ses capacités d’exploration, développe Natalie Loundon. Nous développons de nouveaux algorithmes qui permettent d’aller plus loin dans l’investigation électrophysiologique. On est hors projet, mais je pense qu’on va beaucoup apprendre par ce biais. Par exemple, nous avons récemment reçu un enfant de trois ans qui présente une surdité. Les parents rapportent qu'il n’entend pas, l'école idem. L’audiométrie indique une surdité moyenne, mais les PEA sont normaux. Nous devons développer des outils pour comprendre la pathologie sous-jacente. »
Le réseau en devenir aura aussi pour vocation de réaliser des études multicentriques, avec un protocole unique, afin de produire des résultats robustes. Toutefois, la forme de ces futurs centres reste encore à déterminer, concernant leur équipement ou la façon dont leur activité s’articulera avec celle des autres structures... Mais avec cette ouverture, le mouvement est (enfin) lancé.