Allô maman bobo

Principal moyen d’exprimer leurs besoins, les cris des bébés sont naturellement insupportables, activant les réseaux cérébraux liés au danger, pour susciter une réponse rapide de leur entourage. L’expérience permet d’en décrypter les subtilités.

Par Laura Huynh Quang et Ludivine Aubin-Karpinski

Pourquoi les hurlements de bébés sont-ils aussi difficiles à supporter ? Ces sons stimuleraient des zones du cerveau bien spécifiques, entraînant une mobilisation de l’attention et une réponse émotionnelle.

(c)Photocreo Bednarek AdobeStock
Luc Arnal, docteur en neurosciences cognitives et chercheur à l’Institut de l’audition / Institut Pasteur, s’est penché sur les mécanismes de perception des sons désagréables et les réactions qu’ils provoquent [1]. Selon lui, les vocalises des bébés s’apparentent à des sons dits « rugueux ». « Ces fréquences rugueuses sont des modulations de l’amplitude sonore à une fréquence entre 30 et 150 Hz. On ne parle pas dans ce cas-là de son mais bien de modulation, c’est-à-dire à quelle fréquence l’intensité du son change au cours du temps. » À chaque fois que nous émettons un son, un changement d’intensité se produit. Ces fluctuations sont plus répétitives et rapides pour les cris et situées généralement dans des fréquences de 40 à 80 Hz, comme les signaux d’alarme.

Une zone du cerveau liée au danger activée

« Ces sons subissent le traitement normal du système auditif, mais ils se propagent dans des régions du cerveau plus profondes, liées aux émotions négatives », explique Luc Arnal. En plus du cortex auditif, l’amygdale est stimulée lorsque l’on entend un cri. Cette région sous-corticale est impliquée dans les réactions au danger. Elle répond d’autant plus fort que le son est rugueux. « Nous avons découvert que ces sons résonnaient par la suite dans des structures tout aussi profondes, poursuit le chercheur, comme la mémoire dans l’hippocampe, ou l’insula. Cela entraîne chez l’individu des réactions rapides liées à la peur et au danger. »

Les sons rugueux ne seraient pas le propre des hurlements des bébés mais caractériseraient également les signaux d’alarmes, qu’ils soient naturels ou artificiels. « En effet, dans de nombreux sons destinés à capter notre attention comme les sirènes des pompiers ou même les réveils, nous retrouvons ces fréquences rugueuses, admet Luc Arnal. Ce qui est amusant, c’est qu’on a intégré de la rugosité dans les sons destinés à être alarmants, mais ce n’est pas un concept décrit par les designers sonores, c’est totalement empirique. Aujourd’hui, nous en découvrons les mécanismes. »

Face aux sons rugueux, notre cerveau comprend la présence d’un danger, grâce au réseau de saillance qui est stimulé. La saillance détermine à quel point un stimulus est détectable par rapport à un autre, et donc quel stimulus doit être traité en priorité. Les cris vont ainsi mobiliser l’attention du cerveau et nous empêcher de nous concentrer sur autre chose. Selon Luc Arnal, les sons rugueux ont colonisé une « niche acoustique », destinée à communiquer en cas d’urgence et permettre la survie, en maximisant leur détection [2]. Les bébés utilisent ainsi de manière innée des sons difficiles à supporter afin d’attirer l’attention de leur entourage. « Ils mobilisent ce système de saillance dans le cerveau pour obliger leurs parents à répondre à leur demande », explique le chercheur.

Décoder les pleurs s’apprend

Une fois alerté, encore faut-il comprendre ce dont l’enfant a besoin ! Les parents sont capables de distinguer les pleurs d’inconfort des cris liés à la douleur. Et, si la réaction aux hurlements des nouveau-nés semble biologiquement déterminée, le décryptage de leurs prouesses vocales n’est pas une faculté innée, naissant avec la parentalité, mais le résultat d’un apprentissage. D’après les travaux de l’équipe de Nicolas Mathevon, de l’université de Saint Étienne [3], « la capacité des auditeurs à catégoriser les cris en tant que signes d’inconfort ou de douleur dépend de leur expérience antérieure et actuelle avec des bébés. (…) Les adultes présentant le plus d’expérience – parents ou professionnels de la petite enfance – montrent plus de facilité à décoder les informations acoustiques contenues dans les cris des bébés. »

Plus tard, par un injuste retour des choses, ces nourrissons devenus adolescents n’écouteront plus leur mère... Une étude récente [4] montre en effet qu’à partir de 13 ans les enfants présentent une plus grande sensibilité aux voix de personnes extérieures à la famille qu’à celle de leurs mères. Leur survie ne dépendant plus du soutien maternel, les cerveaux de nos enfants les préparent ainsi à prendre leur envol...

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