Aplasie et surdité unilatérale : Évolution et acceptation d’une aide auditive à conduction osseuse chez un jeune enfant

Le jeune Ga, 6 ans et demi, est scolarisé en classe de CP. Son parcours audioprothétique, détaillé à travers ce cas clinique, met en avant plusieurs étapes cruciales dans le choix et l’évolution des dispositifs d’équipement, ainsi que l’impact de la prise en charge sur son développement langagier et scolaire. Il met aussi en évidence les défis liés à l’adaptation et au choix de son équipement auditif, tout en soulignant l’importance de la collaboration pluridisciplinaire et du suivi personnalisé pour favoriser une meilleure acceptation de l’appareillage.

Par la Dr Charlotte Célérier et François-Xavier Bétolaud
CouvAD GrandAudition

Avant de présenter le parcours de Ga, rappelons les conséquences et répercussions de la surdité unilatérale chez l’enfant. La surdité unilatérale présente tout d’abord une prévalence de 1,7/1000 [1] ; l’aplasie majeure, quant à elle, touche environ 1 enfant sur 10 000 [2] en Europe. L’audition binaurale est fonctionnelle pour une différence intéraurale inférieure à 15 dB. Elle permet une sommation de sonie de plus 3 dB, une meilleure discrimination fréquentielle et en intensité et elle optimise la localisation des sources sonores ainsi que la discrimination de la parole dans les environnement complexes. Les conséquences d’une surdité unilatérale pour l’enfant peuvent être une gêne dans l’environnement bruyant, un décalage dans les apprentissages (langagier, phonologique, attentionnel), une fatigabilité auditive et cognitive, jusqu’à parfois des troubles comportementaux [1].

Cas clinique

Le jeune Ga, né en janvier 2018, est suivi depuis la naissance pour une aplasie majeure de l’oreille de grade III associée à une microsomie hémifaciale droite. L’examen de l’oropharynx révèle une hémiparésie de son voile à droite qui est cependant complet. Les premières évaluations auditives, réalisées à la maternité lors du dépistage auditif puis à l’âge de deux mois et demi par des potentiels évoqués auditifs, ont révélé une audition gauche normale et une surdité de transmission sévère à droite. Ses seuils aériens auditifs à droite sont à 70 dB. Une surveillance ORL rigoureuse a donc été mise en place, accompagnée d’une proposition de réhabilitation auditive adaptée à son jeune âge.

La famille a été informée de la possibilité d’une prise en charge esthétique du pavillon vers l’âge de 6 ou 10 ans, en fonction de la technique chirurgicale utilisée et surtout de la motivation de Ga. Aucune indication n’a été retenue pour une reconstruction du conduit auditif externe, des osselets ou du tympan, l’oreille moyenne étant trop malformative.

Une aide auditive à conduction osseuse sur bandeau est proposée à partir de 12 mois. La famille est informée d’une possible prothèse semi-implantable chirurgicalement vers l’âge de 6 à 7 ans.

À 13 mois, Ga évolue bien, babille mais est sujet aux otites à répétition. Les PEA indiquent un niveau à 70 dB à droite et 40 dB à gauche. L’audiométrie comportementale est en rapport. À 19 mois, l’otite séromuqueuse gauche étant toujours présente avec un seuil associé de 25-30 dB, la mise en place d’un aérateur transtympanique gauche est envisagée et l’essai prothétique proposé de nouveau à la famille, mais non suivi. La consultation ophtalmologique révèle une hypermétropie et un astigmatisme conséquents justifiant le port de lunettes.

En juin 2020, Ga, 2 ans et demi, présente un retard de langage et une rhinolalie, pour lesquels une prise en charge orthophonique est mise en place. L’adaptation d’une aide auditive Cochlear BAHA droite sur bandeau débute, la famille étant maintenant prête. Cette adaptation est progressive, Ga retirant régulièrement son bandeau. L’équipement optique, lui, n’est pas encore adapté.

L’audiométrie comportementale sans appareillage est satisfaisante avec un seuil global à 25 dB, le conditionnement est acquis à l’audiométrie comportementale avec une participation limitée et un refus catégorique des transducteurs. La compréhension des consignes est satisfaisante.

En juin 2021, Ga est âgé de 3 ans. Il suit son orthophoniste de manière hebdomadaire, le langage se développe bien. L’audiométrie réalisée aux inserts avec un conditionnement satisfaisant au ROC sont en faveur d’un seuil à 15 dB à gauche. La BAHA est peu portée (3 h / j) compte tenu du conflit lié à ses lunettes maintenues avec des systèmes élastiques « serre-tête » du fait de l’anatomie spécifique de son crâne (asymétrie de l’hémiface et crâne côté droit). L’introduction d’une solution vibratoire adaptée sur lunettes est envisagée. Mais le port de tête ne permet alors pas la réalisation d’une telle solution compte tenu de son jeune âge et de la taille de son visage.

En juin 2022, Ga est en petite section de maternelle. L’orthophonie est toujours en place. Une demande d’AESH est réalisée pour l’école et une consultation avec le psychologue proposée car Ga commence à s’interroger sur son oreille droite. L’audiométrie est stable (Figure 1) et le langage parfaitement installé ; le gain prothétique est satisfaisant et apprécié. Le conflit lunettes/bandeau BAHA est toujours présent, aussi la BAHA continue à être portée de manière aléatoire (2 à 3 h / j) ; le port des lunettes est lui aussi difficile. Une configuration sur Sound Arc de taille XS est proposée, sans être investie, ne résolvant pas le conflit d’utilisation lunettes/ BAHA. La solution des lunettes à conduction osseuse reste compliquée à réaliser au regard du port de tête. Un équipement vibratoire sur adhésif Adhear (MED-EL) est envisagé.

Figure1
Figure 1 : Audiométrie comportementale de Ga en juin 2022. Audiométrie tonale réalisée en champ libre puis oreilles séparées (A), audiométrie vocale réalisée en liste ouverte de Boorsma (B), l’otoscopie gauche révèle une minime OSM (C)

En avril 2023, l’adaptation en Adhear est non concluante en raison d’une gêne cutanée liée à adhésif. L’Adhear est également en conflit avec la monture de Ga (Figure 3 A). L’audiométrie révèle à gauche une baisse auditive mixte à partir de 4 000 Hz associée à la surdité de transmission droite stable (Figure 2). La vocale est en rapport avec l’audiométrie tonale. Le gain prothétique est satisfaisant, pourtant le port de la BAHA est toujours très aléatoire (3 h / j) bien qu’elle puisse être réclamée. Ga exprime mieux entendre avec, il l’a bien investie, mais ne tolère pas l’encombrement et l’instabilité de tous ces systèmes de maintien (lunettes et aides auditives). Les premières prises de mesures pour réaliser une paires de lunette sur mesure avec BAHA sont effectuées, une consultation ophtalmologiste étant prévue en parallèle.

L'enfant est perdu de vue jusqu’en en avril 2024. La BAHA présente un datalogging médiocrement stable. L’audiogramme n’a pas évolué, la baisse auditive gauche est restée stable sur les fréquences conversationnelles. Ga rentrera en CP après l’été. Le bilan orthophonique réalisé est satisfaisant. La famille ne formule pas de demande de chirurgie reconstructrice de l’oreille.

Figure2
Figure 2 : Audiométrie comportementale et gains prothétiques de Ga en avril 2023. Audiométrie et gains prothétiques réalisés oreilles séparées (A), vocale en listes ouvertes de Boorsma (B), l’oreille droite est évaluée avec un masking controlatéral

La fabrication des lunettes sur mesure associant la BAHA montée sur une branche spécifique est lancée.

En septembre 2024, Ga est rentré au CP. Ses lunettes à conduction osseuse sur mesure sont très bien investies (Figure 3B), réclamées et portées 7 h / j en moyenne. Ga décrit son nouvel équipement comme précieux. Le gain prothétique est satisfaisant (Figure 4) ainsi que le confort d’utilisation et le respect cutané. Le maintien est bon et même renforcé compte tenu de la réalisation sur mesure de cette monture.

Figure3
Figure 3 : Résolution du conflit entre équipement audioprothétique et optique (A) par lunettes à conduction osseuse (B)

Discussion

Dans le cas de cette surdité asymétrique, l’objectif principal est de rétablir, grâce à la BAHA, un équilibre auditif optimal pour la perception de la voix moyenne entre les deux oreilles.

Chez l’enfant, les solutions auditives en conduction osseuse amovibles sont à privilégier jusqu’à 6-7 ans. En pratique, la conduction osseuse sur bandeau ou adhésive apporte encore beaucoup de défis aux praticiens pour permettre une bonne adhésion des patients aux dispositifs. Larsen, esthétique déplaisante/trop visible, mauvaise connectivité avec les téléphones, effet de voix métalliques, sons trop forts... sont autant de défauts rapportés par les utilisateurs des appareillages en conduction osseuse qui rendent leur durée de port faible, et ce, malgré un bénéfice auditif reconnu par les patients dans leur vie quotidienne. L’acceptation de la primoamplification peut être complexe en raison de possibles distorsions apportées par l’oreille interne et de la découverte d'une nouvelle expérience sensorielle. L’amplification doit alors être maitrisée et proposée progressivement, au rythme de l'enfant, tout en respectant son confort et sa tolérance (mesures supraliminaires). La recherche d'égalité de sensation de sonie entre les deux oreilles, la concordance des gains prothétiques et la vérification du datalogging permettent de pérenniser le réglage obtenu.

Figure4
Figure 4 : Audiométrie comportementale et gains prothétiques de Ga en septembre 2024. Audiométrie et gains prothétiques réalisés oreilles séparées (A), vocale en listes ouvertes de Boorsma (B), l’oreille droite est évaluée avec un masking controlatéral

Les « nouveaux » implants chirurgicaux en conduction osseuse (Bonebridge et Vibrant Soundbridge de MED-EL, Osia2 de Cochlear et bientôt Sentio d'Oticon Medical) sont des alternatives avec des avantages cosmétiques, de connectivité et de qualité auditive. Cependant, pour les patients porteurs d’aplasie, une reconstruction esthétique de l’oreille peut être attendue. La solution chirurgicale auditive ne pourra alors être proposée qu’après la prise en charge esthétique (entre 7 et 10 ans en fonction des techniques de reconstruction [3]).

Cette nouvelle option de conduction osseuse amovible sur lunettes permet de proposer une alternative et d’améliorer le confort des patients sur le port de leur aide auditive (Figure 5). Les résultats audiométriques et le retour positif de Ga et ses parents confirment l’efficacité de l’aide auditive à conduction osseuse montée sur lunettes. La surveillance doit être maintenue pour anticiper les besoins futurs de l’enfant, notamment en matière de chirurgie reconstructrice ou d’un possible implant à ancrage osseux.

Ce cas souligne l’importance d’une approche innovante, personnalisée et pluridisciplinaire pour surmonter les défis techniques et comportementaux associés à l’adaptation des aides auditives vibratoires chez les jeunes enfants et les adolescents, notamment en cas de conflit avec un équipement optique associé.

Figure5
Figure 5 : Exemples de lunettes à conduction osseuse

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