C’est un revirement de situation ! L’apprentissage en audioprothésiste, autre voie d’accès au DE d’audioprothèse qui avait été interdite en tout début d’année, suite à la publication de la première fiche RNCP (qui dicte ce qui est possible en termes de formation), vient finalement d’être autorisé. Cette fiche a en effet été amendée le 9 juin, suite à une réunion au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, rapportée comme animée, qui s’est déroulée deux jours plus tôt avec différents acteurs de la filière auditive.
Cette décision, obtenue in extremis et aux forceps par les défenseurs de l’apprentissage, « sauve » les étudiants engagés dans cette voie et que l‘interdiction initiale avait plongés dans l’incertitude. Ils peuvent donc terminer sereinement leur première année et poursuivre, s’ils le souhaitent, en apprentissage dès la rentrée scolaire prochaine. En effet, cette voie d’accès au DE ne s’ouvre que pour les deuxième et troisième années de la formation, la première devant toujours être suivie selon la voie classique.
Objet de controverse
Dans leur rapport sur la filière auditive, les inspecteurs de l’Igas et l’IGÉSR s’étaient prononcés en faveur de l’apprentissage en audioprothèse, qui faisait d’ailleurs l’objet de leur 29e recommandation : « Sécuriser et développer l’accès au diplôme d’État d’audioprothésiste par la voie de l’apprentissage ». « Dans l’ensemble, la plupart des acteurs y étaient favorables, même si certains ont évoqué des difficultés de mise en œuvre, se souvient Amaury Fléges, inspecteur à l’IGÉSR et co-auteur du rapport. Il nous a semblé qu’il n’y avait pas d’obstacle majeur et, d’ailleurs, deux écoles proposent déjà cette voie et en sont pleinement satisfaites. » D’autres arguments, socio-économiques, ont incité les inspecteurs à proposer cette solution. « Elle est intéressante parce qu’elle est rémunérée, même si le coût de la formation en audioprothèse n’est pas particulièrement élevé. Par ailleurs, elle contribue au financement de la formation initiale via la taxe d’apprentissage que paient les entreprises. Les formations en audioprothèse ne nous ont pas paru sous-financées mais elles pourraient néanmoins bénéficier de ces financements, surtout dans un contexte d’augmentation du nombre d’étudiants. »
Coïncidence ou pas, quelques jours avant la publication du rapport, France Compétences avait mis en ligne une fiche RNCP pour l’audioprothèse autorisant l’apprentissage... avant de rétropédaler quelques jours plus tard, comme nous l’avions alors rapporté. Pour, de nouveau, être autorisée, après la montée au créneau de plusieurs acteurs du secteur et notamment du Pr Jean-Luc Puel, directeur de l’école d’audioprothèse de Montpellier, une des deux seules écoles, avec Évreux, à proposer cette voie d’accès au DE. la voie d'apprentissage semble donc désormais sécurisée – à moins que le récent rapport au vitriol de la Cour des comptes concernant son financement*, publié le 23 juin, n'incite le gouvernement à la refondre.
Les apprentis ne sont pas hors quota mais bien intégrés à ce dernier.
Lionel Collet, conseiller d’État
Ces rebondissements reflètent la controverse qui agite la filière en coulisses depuis quelques mois et qui oppose ces deux établissements et notamment le Synea, d'un côté, au Collège national d’audioprothèse, de l'autre. Ce dernier juge que cette voie d’accès ne présente pas « d’intérêt pédagogique majeur par rapport à la formation initiale » et « sert d’autres intérêts économiques ». François le Her, président d'honneur du CNA, alerte en effet sur le risque de dérives comme, par exemple, le fait qu’un étudiant en alternance puisse effectuer ses stages « chez des maîtres d’apprentissage choisis par Leclerc Audition » et que, in fine, des enseignes aient la mainmise sur ces étudiants. Jean-Luc Puel s’inscrit en faux : « C’est moi qui signe la conventionentre l’étudiant et une enseigne. Je peux très bien m’opposer à ce type de contrat, tout comme je peux le faire pour un stage effectué par un étudiant engagé dans la voie classique. » Du reste, précise le chercheur qui se repose sur une expérience de cinq ans, les audioprothésistes issus de la voie d’apprentissage ont plutôt tendance à se diriger vers des audioprothésistes indépendants que vers des enseignes.
Arguments et contre-arguments
Pour le CNA, un autre risque est celui d'une forme de privatisation de la formation, des entreprises privées pouvant se constituer CFA (centre de formation des apprentis). Une crainte nulle et non avenue pour Jean-Luc Puel qui rétorque qu’il faut l’aval du ministère pour cela et qu’il serait étonné que des entreprises privées l’obtiennent un jour. À Montpellier, c’est l’université qui s’est constituée CFA.
Une autre crainte du CNA est de voir des apprentis réaliser des actes aujourd’hui interdits par l’arrêté de 1962 fixant la liste des actes ne pouvant être pratiqués que par des médecins ou des auxiliaires médicaux, à savoir une audiométrie, une prise d’empreinte, ou encore le réglage et l’adaptation in vivo d’aides auditives. Sur ce point, le Pr Lionel Collet, conseiller d’État, a tenu à rappeler que, depuis la signature de l’arrêté, 60 ans se sont écoulés et que les motifs d’alors n’ont plus vraiment de légitimité. Et, « il n’y a rien de plus facile que d’abroger un arrêté », a-t-il précisé.
Le directeur de l’école de Montpellier a insisté sur le fait que « les prérogatives de l’apprenti étaient les mêmes que celles du stagiaire ». « Et, à un moment, si vous voulez apprendre à faire une audiométrie, cela ne peut se faire que sur le terrain de stage, sous la responsabilité et en présence du maître de stage, a-t-il ajouté. Je ne vois pas comment on peut apprendre sans pratiquer, sinon on fait ça en visioconférence comme certaines écoles espagnoles... »
Lionel Collet se dit, quant à lui « totalement favorable à l’apprentissage » et ne voit d’ailleurs pas ce qui empêcherait de le mettre en place dès la première année. Il s’agit pour lui d’une « voie d’avenir vers la profession d’audioprothésiste et notamment un outil de diversité sociale ». Il précise enfin : « Les apprentis ne sont pas hors quota mais bien intégrés à ce dernier ». Cette voie n'est donc ni le moyen de contourner le numerus clausus, ni une réponse aux tensions en termes de ressources humaines que connaît le secteur actuellement.