27 Juin 2023

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Auriane Gros : « Les applications supervisées répondent aux enjeux futurs de l’orthophonie »

Elle est l’une des quelques orthophonistes en France à faire de la recherche, a fortiori dans le domaine de l’audiologie. L’orthophoniste niçoise Auriane Gros s’intéresse plus largement aux sens et aux neurosciences. C’est donc naturellement qu’elle travaille sur les liens entre audition et cognition, notamment chez les patients implantés.

Propos recueillis par Bruno Scala
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Auriane Gros est orthophoniste à Nice, maîtresse de conférences en neurosciences à l’Université Côte d’Azur/ UFR Médecine et au laboratoire CoBTeK.

À droite : page d’accueil de l’application supervisée APPOC (rééducation auditivo-cognitive pré-implantation cochléaire).

Vous avez deux doctorats, obtenus à deux ans d’intervalle. C’est peu banal !

J’ai réalisé mon premier doctorat à Dijon, sur les neurosciences, suite à un stage de master que j’avais effectué dans un service de neurologie. Lors de la dernière année de ce doctorat, j’en ai commencé un nouveau à Nice, sur le traitement du signal. J’ai souhaité cette double spécialisation pour acquérir plus d’autonomie en ce qui concerne les mesures physiologiques, cognitives et des comportements humains. Et c’est après ce second doctorat que j’ai obtenu un poste de maître de conférences à l’Université Côte d’Azur. Vous travaillez sur tous les sens, dont l’audition.

Qu’est-ce qui vous a amenée à vous y intéresser ?

Ce sont les liens entre audition et cognition, les pathologies neurodégénératives. Depuis 2019, je travaille beaucoup avec le Pr Nicolas Guevara, à l’Institut Universitaire de la Face et du Cou (IU FC). Ce partenariat nous a récemment permis de montrer que dès trois mois après l’implantation, on observe une amélioration de la fluence phonémique, c’est-à-dire la capacité d’accès au stock lexical via le son [1]. Or des travaux de Diane Lazard avaient montré que l’utilisation de la voie phonologique, plutôt que sémantique, était pronostique d’un meilleur succès de l’implant. C’est la première fois qu’une amélioration est mise en évidence si tôt après implantation. Cette évolution de l’audition et de la cognition suivant la pose d’un implant, la façon dont notre cognition se modifie après cela, est un champ qui m’intéresse particulièrement.

Dans votre laboratoire, au CoBTeK, votre équipe développe des outils numériques, à visée de recherche, mais également pour les patients. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

Nous avons mis au point un test dit des points lumineux. Il évalue la compréhension des intentions communicationnelles. Sur un écran, des points forment des silhouettes de personnes en mouvement. Le patient doit indiquer si ces personnes sont en interaction et, si oui, de quel type. Nos analyses montrent que les malentendants perçoivent davantage d’intentions communicationnelles, même quand il n’y en a pas. Cela témoigne de modifications cognitives en raison du trouble auditif. Et l’objectif est de découvrir comment cette nouvelle organisation cérébrale va jouer sur le gain implantatoire et si certaines choses sont modifiables en amont pour favoriser ce gain.

Et pour les patients ?

Nous concevons des outils numériques, avec une supervision de l’orthophoniste. Ces applications supervisées, c’est un peu mon dada ! C’est une réponse aux enjeux futurs et paradoxaux de l’orthophonie : le besoin intensif de rééducation et la pénurie d‘orthophonistes. Nous avons mis en place un programme d’entraînement destiné au patient malentendant, juste avant l’implantation. Il réalise le programme à domicile, avec une supervision hebdomadaire. Les premiers résultats d’une étude pilote réalisée avec le CHU de Nice indiquent que les patients apprécient le programme, et que le gain post implantation est amélioré. Nous devons désormais mener une étude à grande échelle. Ma conviction, c’est qu’en stimulant la plasticité cérébrale avant l’implantation, on peut améliorer le gain post-implantatoire.

Comprendre comment favoriser ce gain, c’est un peu votre quête !

Oui. Dans le cadre d’une collaboration avec le Centre Mémoire Ressources et Recherche du CHU de Nice, nous sommes en train de mettre au point un modèle incluant l’ensemble des éléments cognitifs. L’objectif est d’identifier le type de fonctionnement cérébral et d’interactions cognitives qui sont favorables à l’implantation cochléaire. Cela permettra de définir des profils de patients qui risquent d’avoir moins de gain post-implantatoire et leur proposer une prise en charge orthophonique et auditivo-cognitive en pré-implantation.

Peu d’orthophonistes suivent la voie de la recherche...

Aujourd’hui, il n’y a que deux orthophonistes PU, et je dirais une dizaine de MCF au sein des Centres de formation universitaire en orthophonie. C’est notamment dû au fait que l’universitarisation de notre formation est récente (2013). L’objectif de la Société universitaire de la recherche en orthophonie (Suro), association que je préside et fondée avec trois orthophonistes universitaires : Stéphanie Borel (MCF), Peggy Gatignol (PU) et Mai Tran (PU), est précisément de promouvoir cette recherche, d’aider et aiguiller les étudiantes qui suivent cette voie, car le parcours n’est pas forcément simple. Mais aussi de créer un réseau et ainsi favoriser les collaborations. La recherche en orthophonie se développe, et c’est une bonne chose car les résultats qui en découlent en montrent bien l’intérêt.

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