MAJ : depuis le 14 mars 2024, Benoît Roy est également le nouveau président de la section professionnelle de la Commission paritaire nationale chargée du suivi de l'accord conventionnel avec l'Assurance maladie.
Vous êtes le deuxième audioprothésiste – après Michel Touati père – à présider le Synea. Que peut-on attendre de cette double casquette ?
Depuis 2021, le Synea a été remarquablement porté par Richard Darmon, dont l’action a été déterminante toutes ces années, notamment dans la mise en place du 100 % Santé et les négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie. N’étant plus dirigeant d’une entreprise de l’audition, il a pu se consacrer pleinement, le temps de son mandat, à cette activité syndicale. Comme il n’a pas souhaité se représenter, nous avons mis en place une nouvelle gouvernance, avec un président, dirigeant d’entreprise et un délégué général, Pascal Brossard. Celui-ci a précédemment assumé des rôles de direction générale dans l’industrie pharmaceutique et assurera les affaires courantes. Je serai également épaulé par les membres du bureau avec lesquels nous avons commencé à nous répartir les tâches, car mon objectif n’est pas d’être un président omniprésent.
Effectivement, même si je ne pratique plus, j’ai longtemps exercé en tant qu’audioprothésiste et je suis encore membre du Collège national d’audioprothèse. Je pense que c’est aussi un élément important, notamment dans les discussions avec les pouvoirs publics. J’ai par ailleurs toujours défendu la qualité et la modernisation de nos pratiques dans tous mes fonctions, notamment syndicales, et j’ai contribué à construire la norme française en audioprothèse devenue ensuite norme CE puis ISO. Dans mon nouveau rôle de président du Synea, je poursuivrai dans cette voie, pour que notre métier évolue avec son temps et apporte la meilleure prestation possible aux patients.
Vous avez déjà assumé des responsabilités syndicales, notamment à la tête de l'Unsaf, de 2004 à 2012. Comment envisagez-vous le travail avec les autres instances, le SDA et le Synam ?
En effet, j’ai, depuis toujours, un fort engagement syndical, notamment à la présidence de l’Unsaf, et ma société Audilab a adhéré en parallèle au Synea. Je considère qu’il est important qu'il y ait un syndicat des audioprothésistes et un syndicat des entreprises, pour représenter l’ensemble du métier. Le Synea est une instance qui a toujours travaillé positivement avec les pouvoirs publics et dont l’action, menée sous la présidence de Guillaume Flahault, a été essentielle lors des négociations du 100 % santé. Nous ne nous définissons pas en opposition et ne versons pas dans le corporatisme ; nous sommes dans une démarche constructive et consensuelle, entre tous nos membres et avec l’ensemble des acteurs avec lesquels nous sommes amenés à discuter.
Mon souhait est que nous continuions à échanger, à travailler et à avancer ensemble avec les autres syndicats représentatifs dans l'intérêt de la profession. C'est important aussi d’arriver à faire cause commune vis-à-vis des pouvoirs publics. Le 100 % Santé en est la preuve concrète : quand les trois syndicats marchent main dans la main, ça fonctionne plutôt bien.
Il y aura bien sûr des sujets sur lesquels nous ne serons pas d'accord et c’est normal. Ce qui est important, c'est d’avancer sur les valeurs qui nous rassemblent et les sujets ne manquent pas pour notre filière. La problématique de l’accès à la prescription en est un, fondamental et nous travaillons depuis plusieurs mois avec le Synam, le SDA et le CNP d’ORL afin de trouver des solutions. Nous partageons tous un objectif commun qui est de garantir la qualité de la prestation. Je ne suis pas inquiet, je pense que nous saurons nous aligner sur l’essentiel.
L’option retenue serait la voie d’une expérimentation nationale ciblant les personnes de plus de 60 ans suspectes de presbyacousie isolée, habitant en zones sous-denses. Quelles en seraient les modalités ?
Dans un monde idéal, un patient devrait pouvoir consulter un ORL et un audio pas trop loin de chez lui. Or, il y a trois types de situations : les zones où l’on trouve ces professionnels et où il est possible d’obtenir des rendez-vous dans des délais raisonnables, des secteurs où cela est plus compliqué et d’autres où c’est tout simplement impossible car il n’y a plus de praticiens. Nous travaillons avec les autres instances de la filière à trouver une solution à géométrie variable en fonction de la situation démographique. Cela passera par les nouvelles technologies : la téléaudiologie, la téléconsultation, la téléexpertise peuvent permettre en effet de rapprocher les patients des praticiens. Il faut néanmoins s’assurer que les ORL soient suffisamment éloignés pour justifier d’utiliser ces technologies tout en restant accessibles pour leur laisser la possibilité de convoquer leurs patients s’ils considèrent que leur état le nécessite et ne permet pas une prescription à distance.
Je ne pense pas qu’il faille considérer cette solution comme un système dégradé. Recourir à ces outils peut permettre à des patients, qui ne l’auraient sans doute pas fait autrement, de consulter un spécialiste. Avant la restriction de la primo-prescription aux médecins généralistes formés en otologie médicale, un pourcentage non négligeable de patients ne voyait jamais d’ORL. La télémédecine n’est pas quelque chose en moins mais quelque chose de mieux, en tout cas, dans les zones sous-dotées.
Quelles sont les autres priorités du Synea ?
L’une de nos ambitions est de communiquer davantage et nous avons confié cette mission à notre nouvelle vice-présidente, Sandra Berrebi (directrice réseau audition d’Acuitis). Après une période de structuration du Synea, remarquablement menée par Richard Darmon, il est temps pour nous de faire connaître nos positions et de ne pas nous cantonner à des réactions, a posteriori, de décisions des pouvoirs publics. Nous souhaitons mettre davantage en avant nos actions et représenter une vraie force de proposition.
Parmi nos autres priorités figure l’élaboration de règles professionnelles. C’est un chantier initié par mon prédécesseur et qui doit être mené en concertation avec les autres syndicats, puis partagé avec les pouvoirs publics. Il doit respecter le double ancrage du métier, en tant que profession de santé, inscrite au registre du commerce, sans réviser le modèle en profondeur, et permettre de garantir une même qualité de prestation à l’ensemble des patients. Nous avons initié un cycle de rencontres avec les pouvoirs publics afin qu’ils nous aident dans l’évolution qualitative de notre profession et sa défense contre les fraudeurs. Car l’augmentation des arnaques dans notre secteur nous inquiète. Il nous faut mettre tout en œuvre pour lutter contre la fraude et éviter la détérioration de l’image de la profession. Le Synea est particulièrement engagé dans ce combat. Certains de nos membres en sont eux-mêmes victimes, des escrocs démarchant des patients en se faisant passer pour leurs enseignes. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé une plainte contre X, au pénal, en décembre 2023.
Le fait de veiller au respect de la réglementation et peut-être aussi à son adaptation aux enjeux actuels figure également au nombre de nos priorités. Il faut reconnaître que celle-ci mérite d’être révisée notamment en ce qui concerne l’appareillage des personnes âgées en situation de dépendance. Entre l’interdiction stricte d’exercer hors d’un local aménagé à cet effet et l’itinérance débridée, il y a sans doute une via media à trouver car le système actuel n’est clairement pas satisfaisant.
Vous appelez à une « évolution de la profession » : cela passe-t-il par la formation ?
La réingénierie est un point d’attention pour moi. Dans ma précédente vie syndicale, j'ai participé à l'accompagnement de la réforme qui devait mener à la mise en place du système LMD. Nous l’attendons toujours... Cette problématique de la formation doit également tenir compte de l’évolution démographique de notre profession. En effet, malgré l’ouverture de nouvelles écoles françaises, le contingent d’audioprothésistes formés à l’étranger ne cesse d’augmenter. Or, la très grande majorité, pour ne pas dire la quasi unanimité, des diplômés d'Espagne, qui veulent venir exercer en France, choisissent les mesures compensatoires plutôt que l’examen. Ce qui pose des difficultés à nos étudiants pour trouver des terrains de stage, surtout à l’hôpital.
Cette croissance de nos effectifs a d’autres conséquences : nous sommes en train de revenir progressivement vers un nombre d’aides auditives délivrées par an et par audioprothésiste proche des chiffres d’avant la réforme. On estime qu’entre 2000 et 2018, il se situait entre 200-220 appareils ; en 2021, on a atteint les 340 appareils. Difficile de prédire comment cela va évoluer, entre l’arrivée de nouveaux diplômés et l’évolution naturelle du secteur, liée au vieillissement de la population, dopée par le 100 % Santé. Cela pose à la fois la question de la santé économique du secteur mais aussi du suivi de la réforme et de la capacité des laboratoires à suivre les patients appareillés.
Les membres du Synea ont des profils très différents. Cette hétérogénéité n’est-elle pas contreproductive dans la prise de décision ? Comment parvenir à un consensus ?
Le Synea compte évidemment des acteurs très différents, des pure players, des enseignes audio-optiques... mais c’est ce qui fait la richesse de nos discussions. J’ai toujours trouvé intéressant de travailler avec des gens qui ne sont pas des clones. Tous les membres du syndicat appartiennent à ce marché et notre objectif est de travailler sur ce qui nous rassemble. D’ailleurs, un consensus ne signifie pas l’unanimité ; c’est parvenir à trouver une voie sur laquelle s’accorde une large majorité des personnes autour de la table. Je ne certifie pas que tout le monde sera toujours d'accord sur tout. Mais dans quelle structure pouvez-vous vous targuer de réunir des gens 100 % alignés à moins d’exclure tous ceux qui pensent différemment ?! Ma méthode, c'est d'écouter les arguments des uns et des autres et de faire en sorte qu'ensemble nous trouvions le chemin qui nous permette d'avancer. Il y a davantage de sujets sur lesquels nous nous accordons que de sujets de désaccord. Il n’y a eu aucune opposition sur notre projet de règles professionnelles. Je n'ai entendu personne s’élever contre une évolution qualitative de la profession. 100 % des adhérents sont également favorables à la lutte contre la fraude. Et nous nous retrouvons tous sur notre souhait de conserver le droit de communiquer.
Nous sommes dans une démarche constructive et consensuelle, entre tous nos membres et avec l’ensemble des acteurs avec lesquels nous sommes amenés à discuter.
Le Synea est attaché en effet à la possibilité de faire de la publicité. Le SDA demande au contraire son interdiction « afin de combattre la marchandisation des soins auditifs et la financiarisation excessive de la profession ». Depuis la mise en place du 100 % Santé, de nouveaux acteurs communiquent à tort et à travers sur les réseaux sociaux. Faut-il laisser faire ?
Je ne suis pas pour une profession libérale, mais je souhaite conserver un esprit de liberté. Ce qui ne veut pas dire qu’il est possible de faire n’importe quoi en termes de communication. Mais, aujourd’hui, ce n’est déjà pas le cas. La convention signée avec l’Assurance maladie établit des règles claires en matière de publicité pour écarter tout risque de dérive. Commençons par faire en sorte que tout le monde les respecte.
Par quels moyens faire respecter ces dispositions réglementaires ?
Je considère qu’on ne se fait pas justice soi-même. J’aimerais en revanche que les pouvoirs publics n’hésitent pas à faire leur job. Des textes réglementaires existent, qui ne sont pas toujours appliqués et c'est pour cela que nous avons décidé de porter plainte au pénal contre un audioprothésiste fraudeur. Il faut se doter de règles professionnelles et nous le ferons, avec l'ensemble de la profession et les pouvoirs publics. Elles permettront de définir un cadre précis.
Le Synea est un syndicat d'entreprises qui se préoccupe des patients et défend les intérêts des entreprises qui font bien leur boulot. Nous sommes là pour défendre notre métier et la qualité des prestations. C’est ce qui garantit la satisfaction des patients dans le temps et la bonne santé d’un marché. Et quand je dis « entreprises », je ne limite pas le champ d’action du syndicat aux gros réseaux. Je souhaite d’ailleurs que nous étendions notre représentativité à l’ensemble des entreprises de l’audition, quelle que soit leur dimension.
Envisagez-vous d’intégrer de nouveaux membres prochainement ?
Nous avons reçu une nouvelle demande d’adhésion la semaine dernière que nous allons examiner. Le Synea représente déjà près de 55 % du marché. C'est pour cela que parmi nos objectifs, il y a clairement la volonté que notre syndicat soit reconnu comme le premier organisme représentatif en audioprothèse.