Classe I/Classe II : Quelle plus-value dans le bruit ?

L’arrêté du 14 novembre 2018 a catégorisé les aides auditives en deux classes de performances et défini les caractéristiques technologiques pour chacune. Un groupe de travail de la SFA a mené deux études comparatives, l’une objective, l’autre subjective, entre les appareils de classe I et de classe II, pour mesurer leur apport en matière d'émergence de la parole dans les environnements bruyants, ainsi que de qualité sonore perçue.

Par Balbine Maillou, Morgan Potier, Joël Ducourneau et François Dejean*
(c) d apres Oticon

L’amélioration de l’intelligibilité dans des environnements bruyants où les signaux de parole peuvent être spatialisés reste un défi permanent pour les fabricants mais également pour l’audioprothésiste cherchant à optimiser les conditions d'écoute de ses patients. Dans un tel contexte sonore considéré comme complexe, les appareils auditifs de classe I et classe II, selon la nomenclature du 100 % Santé, apportent-ils aujourd’hui un confort d’intelligibilité ? Quel est le gain entre ces deux classes d’appareils en termes d’émergence d’un signal de parole dans le bruit ?

La Société française d’audiologie (SFA) a constitué en 2021 un groupe de travail (GT) pour évaluer les différences interclasses. La première étape de ce GT a été de chercher à mesurer de manière objective l’intelligibilité de la parole dans ces environnements pour les deux classes d’appareils auditifs. Pour cela, l'indicateur retenu est celui de l'émergence de la parole par rapport au bruit (Rapport signal sur bruit ou RSB) en sortie d'appareils auditifs. Quel que soit le bruit auquel est confronté le patient, plus le RSB diminue plus le masquage énergétique augmente et donc plus l’intelligibilité diminue. C’est ce que traduisent les courbes « en S » de score d’intelligibilité en fonction du RSB [1]. En laboratoire, la méthode d’Hagerman et Olofsson [2] permet de séparer la parole du bruit en sortie d’appareil auditif (méthode dite d’opposition de phase) et ainsi, pour une source de parole frontale ou latéralisée, de déterminer un RSB en sortie d’appareil auditif pour chaque oreille afin de constater l’apport des traitements du signal.

Le but de cette étude est de montrer de façon objective (acoustique) l’apport des traitements implémentés dans chacune des classes dans des environnements sonores complexes spatialisés, en étant les plus représentatifs possible du marché. L’objectif n’est pas de réaliser un comparatif inter-fabricants à travers les performances de leurs produits. Pour cette raison, nous avons souhaité anonymiser les différentes marques.

Le banc de mesure expérimental mis en place dans un local traité acoustiquement contient une tête artificielle [3] appareillée en bilatéral et un système de multidiffusion qui permet de répartir les sources de bruit (cocktail party) et d’émettre des signaux de parole (International Speech Test Signal émis à 70 dB SPL) pour différents angles d’incidence. Deux positions de source de parole ont été retenues : en face de la tête artificielle à 0° puis sur le côté droit à 90°. Les différents appareils des deux classes ont été soumis à plusieurs niveaux de bruit de manière à tester des environnements d’écoute très dégradés (RSB d’entrée = - 6 dB) jusqu’à confortables (RSB d’entrée = + 9 dB).

Dix paires d’appareils auditifs (de 10 fabricants majeurs) de classe I puis de classe II ont été placées sur la tête artificielle et couplées aux oreilles artificielles à l’aide d’embouts en silicone occlus. Cette adaptation endo-auriculaire, bien que discutable du point de vue de la pratique clinique, a été choisie car elle permet de s'affranchir d'une partie des entrées acoustiques transitant par voie « naturelle » qui pourrait impacter l’analyse du RSB. Chaque classe d’appareils a été réglée pour une surdité perceptionnelle moyenne de type N3 [4] suivant la méthodologie fabricant (typologie « patient expérimenté »). Les réglages par défaut des différentes options sont conservés car ils constituent un point de départ de l’appareillage commun à tous les fabricants et permettent de tenir compte des choix de traitement classe I / classe II par défaut des fabricants. Après vérification, les options communes aux deux classes d’appareils sont ainsi la réduction de bruit (niveau intermédiaire) et la directivité adaptative.

Quelles performances pour les appareils auditifs de classe I ?

Figure 1
Figure 1 : RSB en sortie d'appareil auditif en fonction du RSB au point d'écoute. Appareils auditifs de classe I. Oreille Gauche. ISTS en face.
Dans le cas d’un signal de parole émis en face de la tête artificielle, nos résultats traduisent une amélioration du RSB par tous les appareils de classe I, à l’exception du fabricant AA-A dans les environnements sonores confortables (RSB d’entrée positif), cf. figure 1. Les résultats présentés ici pour l’oreille gauche de la tête artificielle sont comparables à ceux de l’oreille droite.

Dans l’environnement le plus bruyant, une amélioration de 2 à 10 dB du RSB de sortie est constatée selon le fabricant. Avec une amélioration moyenne de 8 dB (± 4 dB), cela montre que globalement les appareils de classe I apportent déjà un confort d’écoute de la parole dans le bruit, avec néanmoins une grande disparité de performances entre toutes les marques testées.

Et pour la classe II ?

Figure 2
Figure 2 : RSB en sortie d'appareil auditif en fonction du RSB au point d'écoute. Appareils auditifs de classe II. Oreille Gauche. ISTS en face.
Dans la même configuration, quelles sont les performances des appareils auditifs de classe II ? Si nos résultats traduisent cette fois-ci, sans exception, une amélioration du RSB par tous les appareils de classe II (cf. figure 2), cette amélioration est comprise entre 5 et 13 dB pour l’environnement le plus bruyant (amélioration moyenne de 10 dB ± 2 dB). Le RSB en sortie d’appareils auditifs est donc globalement plus important en classe II, avec une moindre disparité de performances inter-fabricants.

Quelle que soit la classe d’appareils, l’amélioration du RSB est d’autant plus marquée que l’environnement est bruyant, ce qui traduit un effet plus important des algorithmes de rehaussement de la parole lorsque le niveau de bruit masquant est élevé. En d’autres termes, plus le niveau de bruit est faible, moins les traitements agissent sur l’environnement sonore délivré au patient.

Pour chaque fabricant, nous avons souhaité comparer les performances des deux classes d’appareils.

Quelle plus-value entre les deux classes pour chaque fabricant ?

Figure 3
Figure 3 : Gain en RSB en sortie d'appareil auditif : RSB classe II – RSB classe I, en fonction du RSB au point d’écoute. Oreille Gauche. ISTS en face.
Le gain en RSB traduit l’écart entre les valeurs du RSB de sortie pour les appareils de classe II et de classe I, il est positif si les appareils de classe II améliorent davantage le RSB, ce qui est le cas pour 8 des 10 fabricants testés (cf. figure 3).

Il apparaît en effet que pour les deux fabricants AA-C et AA-I, les appareils de classe I fournissent un meilleur RSB en sortie que ceux de classe II, ce qui est contraire aux attentes. Ces deux fabricants constituent un cas particulier car l’étude montre que leurs appareils auditifs de classe I présentent les meilleurs RSB de sortie du marché (cf. figure 1), alors que leurs appareils de classe II présentent des RSB de sortie proches de la moyenne obtenue pour tous les fabri- cants (cf. figure 2). Pour les huit autres, les appareils de classe II sont plus performants que ceux de classe I, et ce d’autant plus que l’environnement est bruyant. La plus-value entre les deux classes, en termes de RSB de sortie, est alors de 1 à 8 dB pour l’environnement le plus bruyant, avec une moyenne de 3 dB (± 2,5 dB). L’écart technologique inter-classes semble donc permettre, en majorité, une meilleure émergence de la parole (frontale) en classe II. Nous retrouvons là encore une disparité entre les différents fabricants.

Tous fabricants et toutes classes confondues, lorsque la source de parole est en face de la tête artificielle, l’amélioration du RSB semble « plafonner » à 15 dB dans l’environnement le plus bruyant, ce qui est déjà suffisamment important pour permettre une amélioration de l’intelligibilité [5]. Cette remarque est d’autant plus vraie que les résultats obtenus ici sont issus d’un réglage « par défaut » et ne correspondent pas à un réglage personnalisé que peuvent réaliser les audioprothésistes. La surdité corrigée par les appareils est ici fictive car nos tests ont été réalisés sur un mannequin.

L’écoute d’une source de parole frontale est le cas de figure le plus couramment rencontré par les patients dans la vie quotidienne, mais dans le cas d’une source de parole latérale, situation souvent mise en avant par les fabricants pour valoriser la directivité adaptative, qu’en est-il de la plus-value classe II / classe I ?

Comment évolue la plus-value classe II / classe I lorsque la source de parole est latérale ?

Figure 4
Figure 4 : Gain en RSB de sortie d'appareil auditif : RSB classe II – RSB classe I, en fonction du RSB au point d’écoute. Oreille Gauche (controlatérale). ISTS à 90°.
Dans le cas où le signal de parole (ISTS) est émis à droite (incidence 90°), l’émergence de la parole dans le bruit est différente pour les deux oreilles du fait de l’ombre apportée par la tête. Notre étude montre de plus que le RSB en sortie d’appareils de classe II et de classe I varie différemment selon que l’oreille se trouve du côté de la source de parole ou de l’autre côté (controlatérale). En effet, l’oreille droite côté source voit l’émergence de la parole diminuer en moyenne de 1,8 dB (± 1,4 dB) avec les appareils de classe II. Tandis que l’oreille gauche controlatérale voit l’émergence de la parole augmenter en moyenne de 2 dB (± 1,2 dB) avec les appareils de classe II, pour 8 des 10 fabricants (cf. figure 4). Les algorithmes de réduction de bruit et de directivité adaptative implémentés dans les appareils auditifs de classe II permettraient selon nous un meilleur stéréoéquilibrage en cas d’incidence latérale de la parole, sans qu’il soit possible de conclure sur les bénéfices apportés à la localisation et à l’intelligibilité de la parole dans cette situation.

Nos résultats permettent de montrer une plus-value des appareils auditifs de classe II en termes d’émergence de la parole en cas d’appareillage bilatéral et avec des embouts fermés, surtout lorsque la source de parole se trouve face à la tête artificielle.

Étude subjective en ligne réalisée auprès de sujets normo-entendants

Une autre approche a également été expérimentée par notre groupe de travail : celle de l’évaluation subjective de qualité sonore en sortie d’appareils auditifs de classe I et de classe II. L’expérience a consisté à proposer un test d’écoute comparatif en ligne « à l'aveugle » à des personnes normo-entendantes (contrôle préalable par test de dépistage).

Les sons à comparer ont été enregistrés à l’aide d’une tête artificielle immergée dans des environnements sonores spécifiques et écologiquement représentatifs du quotidien d'une personne malentendante : parole, musique, parole dans le bruit, trafic routier et sons de nature. Pour chaque environnement, l’extrait de référence est enregistré oreilles nues (référence cachée). Les ex- traits à comparer le sont avec les appareils auditifs de classe I et II des fabricants AA-A et AA-E avec les mêmes réglages que ceux de l’étude objective. Seuls ces 2 fabricants ont été évalués pour prévenir la fatigabilité des participants.

157 personnes ont noté les extraits de 0 à 100 en fonction de la qualité perçue par rapport à l’extrait de référence, suivant le protocole MUSHRA [6].

Figure 5
Figure 5 : Scores de la qualité sonore perçue par les participants normo-entendants pour l’environnement sonore «parole dans le bruit».
Les résultats montrent une préférence significative (***) pour les extraits enregistrés avec les aides auditives de classe II pour les environnements sonores « parole » et « parole dans le bruit » (cf. figure 5). Nous constatons de nouveau pour ce test une disparité entre les deux fabricants, toutes classes confondues, en termes de qualité subjective cette fois.

Bien qu’elle n’ait concerné que deux fabricants, cette expérience a permis de réaliser une première comparaison des deux classes d’appareils en termes de perception subjective de qualité sonore, en faveur des appareils auditifs de classe II.

Suite à ces deux études, le groupe de travail formé par la SFA continue de s’intéresser aux performances classe I et classe II. Une étude en cours semble montrer que des facteurs exogènes, encore peu ou mal considérés dans le modèle d’appareillage auditif actuel, tels que l’engagement actif du patient dans sa réhabilitation auditive (qualité d’observance, durée d’utilisation moyenne des appareils…) ou son niveau d’activité sociale, pourraient influencer sa perception de la qualité d’appareillage interclasse.

Remerciements

Nous remercions tous les acteurs de ce groupe de travail à savoir David Colin, Éric Bailly-Masson et Christophe Micheyl, ainsi que les étudiants en audioprothèse ou les personnes ayant relayé ou participé à notre test subjectif en ligne.

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