« Codition », pour « collaboration », « cognition », « audition ». Tel est le nom du centre parisien où exercent, parfois en interprofessionnalité, trois trentenaires : Dorith Amar Haziza, audioprothésiste ; Roxane Aurensan, orthophoniste ; et Lisa Baudet, psychologue clinicienne. Leur ambition : reproduire, dans le privé, une pluridisciplinarité de soins qui n’était « visible que dans le public, alors que c’est une offre extrêmement intéressante et complète », explique Lisa Baudet. Elle et ses collègues en sont convaincues : la prise en charge globale, holistique, « c’est ça, qui soigne ».
« Nous sommes les premières à l’avoir fait », avance Dorith Amar Haziza, à avoir, en France, en ville, constitué un regroupement de professionnelles de l’audition dans une unité de lieu. Dans l’Hexagone, « ce n’est pas une structure habituelle », poursuit Roxane Aurensan, l’orthophoniste du trio. Après coup, elles ont lu que cela se faisait dans les pays anglo-saxons, aux États-Unis, au Canada. Mais leur modèle à elles, c’est l’hôpital.
Une histoire de rencontres
C’est à la Pitié-Salpêtrière que commence l’aventure Codition. Dorith Amar Haziza y débarque en stage en 2012, dans le cadre de son cursus d’audioprothèse bruxellois. Roxane Aurensan, d’abord orthophoniste à Toulouse, y arrive début 2016, trois mois après son arrivée dans la capitale, « sur un coup de tête ». Les parcours des jeunes femmes se croisent en 2017 au Centre référent pour l’implant cochléaire de la Pitié, où elles font du réglage, en parallèle de leur activité en cabinet. Le coup de cœur est professionnel et amical. « Ce sont des clones, c’est pour cela que ça a “matché” », plaisante Lisa Baudet à l’évocation de la rencontre de ses collègues. « Qui se ressemble s’assemble », ne nie pas Roxane Aurensan.
Quand les patients arrivent dans de grosses machines hospitalières, même s’ils tombent sur de supers équipes, il manque la convivialité.
Lisa Baudet rejoindra vite l’équipe. À l’origine, la psychologue est entrée dans l’univers de la surdité « par un hasard un peu heureux ». Son professeur de thèse œuvre à l’hôpital Rothschild, dans le service ORL, en implantation… Lieu qui devient le terrain de stage de sa propre thèse sur les enjeux psychiques de la surdité acquise. C’est lors d’un passage à la Pitié qu’elle rencontre Roxane Aurensan. Cette dernière ne manque pas d’en toucher mot à Dorith Amar Haziza et lui soumet l’idée de faire – aussi – intervenir une psychologue. Elles se rencontrent à trois en juin 2021. Encore une fois, le courant passe. Le duo devient trio, et les travaux constituent un moment de vérité : « Quand j’ai vu que, malgré les galères, il n’y avait pas un seul haussement de voix, pas une seule embrouille, je me suis dit : “On peut se marier” », rit Roxane Aurensan. Codition ouvre ses portes en septembre 2021.
Une alliance à reproduire ?
La convivialité du centre a été travaillée : « Dans le soin, c’est très important, souligne Lisa Baudet. Quand les patients arrivent dans de grosses machines hospitalières, même s’ils tombent sur de supers équipes, c’est ce qui manque. Ici, ce n’est pas la famille, mais c’est assez enveloppant. » Elles y sont souvent en duo – audioprothésiste et orthophoniste – et le mercredi, en trio. L’avantage de l’unité de lieu ? Elle « évite les errances », observe Lisa Baudet, en facilitant les démarches, coûteuses psychiquement pour les patients, « là, c’est à un bureau près ».
Les bénéfices de la pluridisciplinarité
Décloisonner permet aussi la communication directe : les professionnelles peuvent confronter leurs regards pour trouver des solutions, apprendre à connaître autrement leurs patients, n’ont plus à lutter pour obtenir des retours, etc. Et puis, s'accorde le trio, les transmissions les plus intéressantes se font lors des échanges informels, entre deux portes, à la pause café.
Les possibilités d’articulation entre elles sont légion. Audioprothésiste et psychologue sont susceptibles de travailler ensemble notamment auprès des patients acouphéniques : « Je vois dans un premier temps si l’appareil soulage l’acouphène et, en fonction du degré de gêne, je mets un générateur de bruit blanc et/ou je fais intervenir Lisa s’il y a besoin d’une prise en charge psychologique », explique l’audioprothésiste. Elles peuvent aussi, entre autres, collaborer sur l’acceptation de la surdité et ses conséquences...
L’orthophoniste – « spécialisée » en surdité, ce qui est rare – et l’audioprothésiste, peuvent quant à elles fonctionner en binôme pour proposer un entraînement auditif postappareillage et postimplantation, de la rééducation auditivo-cognitive après l'appareillage ou l’apprentissage de la lecture labiale en complément de l'appareillage pour améliorer la communication dans le bruit ou encore en cas de suspicion de surdité centrale. Le duo s’exprime principalement sur la partition audition-cognition. Mais toutes insistent : la prise en charge globale est simplifiée mais « absolument pas » systématique. Elles proposent, les patients disposent. De même, ces derniers ne sont pas liés au trio : « J’en ai qui sont appareillés par d’autres audioprothésistes, qui voient d’autres psychologues, assure Roxane Aurensan. Ils ne sont pas obligés de s’inscrire dans ce schéma complet. »
Pour les trois professionnelles, ce modèle est bénéfique à tous : aux patients, car cette prise en charge holistique « a vraiment du sens ». À l 'hôpital – où Dorith Amar Haziza et Roxane Aurensan ont toujours un pied –, qui leur adresse des patients. À elles, qui ne sont pas isolées, s’entraident, enrichissent leur pratique. De là à dire que leur modèle représente l’avenir ? Pour elles, il faudrait le développer… « Mais encore faut-il réunir une équipe de choc comme nous ! », glisse malicieusement Dorith Amar Haziza. Elles trois, en tout cas, se sont trouvées. « Je travaille avec des personnes que j’estime humainement, amicalement, et que je respecte professionnellement. Ce sont les meilleures conditions de travail possibles et imaginables », sourit l’orthophoniste.