Communication prénatale : la preuve par l’œuf

Dans le règne animal, certains parents communiquent avec leur future progéniture avant même leur naissance, alors qu’elle est encore dans l’œuf. Cette communication acoustique prénatale peut influencer le développement de l’embryon ou, plus tard, de l’animal, jusqu’à lui conférer un avantage reproductif.

Par Bruno Scala
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Même bien protégés au sein du ventre de leur mère ou dans l’œuf, les animaux sont sensibles aux sons. Cela a été montré depuis des années par plusieurs études scientifiques, chez de nombreuses espèces, dont l’humain. Cette sensibilité, qui stimule le système auditif en développement, façonne les organes qui le composent, ainsi que le cerveau auditif et toute la circuiterie neuronale qui lui est associée. À ce sujet, il a d’ailleurs été montré, chez les humains, que les sons corporels de la mère permettent un meilleur développement du cortex auditif que d’autres sons [1].

Ce que l’on sait moins, c’est que le son est également un moyen de communication entre un animal et un embryon ! En effet, chez certains animaux, avant même qu’elle soit née, la progéniture en formation peut communiquer avec ses parents, ou encore les autres individus de la portée.

Adaptation à l’environnement

C’est le constat qu’a notamment fait Mylene Mariette, une chercheuse de l’université Deakin en Australie [2]. Elle s’est rendu compte que, parfois, le pinson zébré australien (Taeniopygia guttata) émet des sons lorsqu’il couve, alors même qu’il se trouve seul dans le nid et semble donc s’adresser… à ses œufs. En y regardant de plus près, la chercheuse a constaté que cela ne se produisait que dans les cinq jours précédant l’éclosion et au-delà d’une certaine température (26 °C). Elle a donc mis au point une expérience pour savoir si ces petits « cris de chaleur » avaient une quelconque utilité : à la fin de l’incubation – artificielle –, certains œufs étaient exposés à ces cris de chaleurs, tandis que d’autres entendaient des cris de contact*. Puis, après l’éclosion, les nouveau-nés étaient élevés séparément.

À première vue, rien ne semblait distinguer les deux catégories d’oisillons. Mais, peu à peu, la différence s’est révélée, montrant que ces oiseaux sont dotés d’une plasticité développementale. À partir du 13e jour de vie, le poids des oisillons exposés à des cris de chaleur s’est en effet mis à augmenter moins rapidement que celui des autres. « Nous avons montré dans une nouvelle étude [3] que ces cris modulent le fonctionnement des mitochondries, qui sont en charge de la production énergétique et donc de la chaleur, ce qui a une incidence sur la croissance et sur la gestion des dommages provoqués par des températures extrêmes », explique la chercheuse. En conséquence, cela confère un avantage dans des environnements particulièrement chauds : plus tard, ces oiseaux ont une descendance plus importante – on parle de meilleur succès reproductif (fitness en anglais), un paramètre clé pour évaluer la prospérité d’une espèce. En outre, à l'âge adulte, ils sont plus tolérants à la chaleur.

Pour Mylene Mariette, c’est évident : avec ces sons d’incubation, les parents alertent. « Attention, il fait chaud dehors, préparez-vous à cet environnement hostile ! », semblent-ils prévenir. « La chose la plus remarquable concernant ces sons émis par les pinsons zèbres, précise la chercheuse, c'est que le signal donné par les parents aux embryons fournit de l'information qui les prépare à la vie, après la naissance. Cela ne déclenche par une réponse immédiate, c'est un signal en anticipation. »

Protection contre les prédateurs

Ce type de communication acoustique prénatale a également été mise en évidence chez d’autres espèces d’oiseaux, notamment chez les mérions superbes (Malurus cyaneus), des passereaux endémiques de l’Australie. Chez cette espèce, les chants de la mère sont mémorisés par les embryons [4]. Après l’éclosion, les oisillons qui ont entendu ces chants – et les ont appris – reçoivent davantage de nourriture de leur mère quand ils réclament, alors que des parasites (de type coucou) ou des mérions ayant été incubés par un autre parent, en reçoivent moins, indiquant qu’il existe une sorte de signature dans les cris de réclamation.

Le crocodile du Nil (Crocodylus niloticus), lui aussi, utilise la communication acoustique prénatale. Mais dans ce cas, ce sont les embryons qui émettent les sons [5]. Des chercheurs de l’université de Saint-Étienne ont en effet montré que ces derniers correspondent à un signal indiquant une éclosion imminente. Ils permettent de synchroniser l’éclosion de l’ensemble de la portée mais aussi de solliciter la mère qui va venir déterrer les oeufs enfouis dans le sable et fournir une assistance à sa progéniture. Des actions qui diminuent les risques de se faire attaquer par un prédateur.

Dans le cas des organismes ovipares (qui produisent des oeufs qui se développent à l’extérieur du corps), le recours à la communication acoustique est fort utile car les autres moyens de communication, de types biochimiques ou hormonaux, ne sont pas possibles. Ces études montrent une fois de plus l’importance de la communication sonore chez les animaux et à quel point leur vie peut être perturbée voire mise en danger par le bruit.

*Les oiseaux émettent plusieurs types de sons dont les plus connus sont les chants, longs et mélodieux, et les cris de contact, brefs et simples, signalant généralement leur présence.

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