Les relations entre bien entendre et bien vivre n’auront jamais eu autant de sens que pendant cette crise sanitaire. Bien entendre est primordial, quand le seul moyen de rester en contact avec ses proches passe par le téléphone, quand le seul moyen d’être relié au monde est la télévision ou la radio et que chaque information compte. Pendant le confinement dans lequel est maintenu la population, pouvoir compter sur ses aides auditives prend encore une autre dimension quand il s'agit, aussi, de comprendre les consignes et recommandations des médecins…
Tous les professionnels de santé sont en première ligne aujourd’hui. Parmi eux, de nombreux ORL, audioprothésistes et orthophonistes continuent à prodiguer des soins à leurs patients, urgents, pour les maintenir dans l’audition, pour activer les processeurs de patients implantés, pour des chirurgies vitales, pour des cas de démutisation, de rééducation de la communication, voire pour renforcer les rangs auprès des patients Covid+. Les chercheurs ne sont pas en reste et paient eux aussi leur tribu, réquisitionnés pour apporter leur concours à la recherche sur le virus.
Voici leurs témoignages.
Natalie Loundon
Responsable de l’unité Audiophonologie et Implant cochléaire à l’Hôpital Necker - Enfants Malades (Paris)
« Toute chirurgie non urgente est reportée sine die à l'AP-HP. Certaines pathologies d'otite chronique (cholestéatome) en cours d'évolution et de complication sont néanmoins prises en charge.
Nous réalisons des téléconsultations, ciblées sur les urgences et les patients reportés inquiets, mais cela ne représente pas la majorité de notre activité en CHU.
Il n’y a pas de changement a priori en maternité : le dépistage néonatal de la surdité se maintient. Il n’en va pas de même des tests post dépistage réalisés actuellement au Centre de diagnostic et d'orientation de la surdité (CDOS) par manque de personnel paramédical, réquisitionné, par risque de Covid, etc.
Toutes les forces sont réquisitionnées, tous les circuits sont actifs à l'AP-HP pour participer à la réorganisation, la réorientation de personnels et d'unités vers des unités dédiées au Covid. Cela se traduit sur le terrain par du temps de travail supplémentaire pour maintenir une vigilance sanitaire et assurer l’organisation. C’est un changement complet de paradigme, un ajustement au jour le jour pour suivre l’évolution sanitaire. »
Christian Renard
Audioprothésiste dans le Nord
« J’ai fermé mes 17 centres après avoir pris soin de prévenir mes patients et d’annuler tous les rendez-vous ne présentant pas un caractère d’urgence. J’ai mis en place un numéro d’appel sur lequel les patients sont invités à laisser un message. Nous avons reçu 600 appels depuis le 17 mars et cela augmente chaque jour. Les patients appellent pour deux raisons majeures hormis quelques appels de confort anecdotiques : la peur de manquer de piles et les pannes. Il m’arrive également de recevoir des appels de patients de confrères et consœurs n’ayant pas mis en place de permanence. C’est une situation très compliquée car nous ne connaissons pas l’état de santé, ni le dossier de la personne. Nous sommes confrontés à de vrais sentiments de panique. Nos patients, même ceux atteints de pertes auditives légères, craignent par dessus tout dans cette situation de confinement de ne plus entendre la télévision ou la radio, de manquer une information importante ou de se retrouver à l’hôpital sans appareil.
J’assure seul les soins d’urgence dans mon laboratoire de Lille, deux jours par semaine. Je vois environ 15 personnes par jour. J’envisage également de mettre en place une permanence pour la Côte d’Opale notamment car je vois venir des personnes de Boulogne ou Calais. Je suis un protocole strict pour assurer la sécurité de mes patients. Celui-ci est affiché dès l’entrée de mon centre. Je ne reçois que sur rendez-vous et une personne à la fois. Mes patients entrent par une porte et sortent par une autre pour éviter tout chassé-croisé. Je porte un masque, que j’enlève si besoin lorsque la personne éprouve des difficultés à me comprendre sans le secours de la lecture labiale, en me reculant de trois mètres. Sur une table, ils peuvent trouver des masques, du gel hydroalcoolique. Ils s’assoient sur un tabouret sans accoudoir, distant des murs ou de toute surface pour éviter le moindre contact. Tout échange se fait via des barquettes et après lavage de mains au gel.
Je dois résoudre dans la grande majorité des cas de problèmes d’écouteurs, de tubes percés, décollés… Je m’arrange dans la mesure du possible pour les dépanner par téléphone ou via skype, ce qui leur évite de se déplacer. J’ai réalisé des tutoriels pour les aider à changer des filtres, tubes. Je leur envoie des paquets de piles à domicile si besoin et des écouteurs, des dômes, des filtres et les guident ensuite à distance. Néanmoins, il reste des cas où le présentiel est obligatoire, comme un problème d’embout.
J’assure également l’approvisionnement en kits d’urgences composés de piles, filtres, produits d’entretien des Ehpad avec lesquels je travaille depuis plusieurs années avec le Samid (Service d’aide aux malentendants institutionnalisés ou dépendants). J’en profite pour procéder à quelques dépannages dans ma voiture à ces occasions.
Enfin, je me suis porté volontaire auprès du Pr Christophe Vincent, chef du service d’ORL du CHRU de Lille, pour les activations de processeur et éventuellement procéder au 2e réglage si besoin. Quant aux pannes, elles se gèrent avec l’envoi d’un processeur à domicile. Les patients n’ont qu’à envoyer la clé usb avec leurs derniers réglages au fabricant. Celui-ci leur renvoie un processeur dans les 24-48 heures. »
Paul Avan
Médecin et professeur de biophysique à l'université Clermont d'Auvergne, directeur du Ceriah de l'Institut de l'audition, directeur de recherche Inserm, Clermont-Ferrand
« Étant à Clermont, dans une faculté spacieuse et assez calme, je continue en présentiel les recherches qui exigent une présence sur le terrain, en compagnie, à quelques pièces de distance, de deux post-doctorants dont le temps est compté et qui ne peuvent arrêter leurs projets, et d’une gestionnaire. Les stages sont en stand-by et l'enseignement aussi. Clermont est véritablement déserte.
Les manips sur des études chroniques ne peuvent être interrompues. Par contre l'activité hospitalière, qui pour moi est faite de réglages d'implants et d'explorations fonctionnelles auditives, est suspendue sine die. Les projets se construisent par visioconférence.
Ce que je fais n'a pas directement d'impact sur la virologie et je ne suis donc pas sollicité, sauf que certains collègues s'interrogeant sur le possible neurotropisme du virus (qui expliquerait l'anosmie inaugurale, voire certains troubles respiratoires) pensent à utiliser l'audition comme marqueur d'une atteinte cérébrale, possible facteur de gravité : preuve que la science ne peut avancer cloisonnée.
Il est trop tôt pour savoir si les financements ne vont plus aller que sur l'infectiologie, on verra en 2021. Mais si c'était le cas, ce serait un exemple de plus de la tragique myopie qui nous fait parfois préparer à fond la précédente guerre. »
Sébastien Gény
Audioprothésiste Entendre dans le Nord
« Mes 18 centres Entendre du département du Nord sont fermés. La continuité des soins est centralisée sur le centre de Roubaix où je tiens une permanence pour la délivrance de piles et un petit SAV dans des conditions d'hygiène essentielles.
Port du masque, utilisation de solution hydroalcoolique… Je ne prends aucun patient dans le centre. Ils attendent le traitement de leur dossier à la porte. J’ai mis en place une sorte de drive : ils posent leurs appareils dans une bannette sur la table placée devant le centre et s'écartent avant que je récupère la bannette.
J’ai pratiqué quelques réglages à distance, mais la téléaudiologie ne me semble pas vraiment adaptée aux circonstances car les patients appellent essentiellement pour des problèmes de panne. La Poste ne fonctionnant plus, je ne peux pas envoyer de piles. »
Damien Bonnard
Médecin ORL, unité d'otologie et d'audiologie du service d'ORL et de CCF du CHU de Bordeaux
« Côté service et crise sanitaire, pour le moment la région bordelaise est assez épargnée même si les cas commencent à arriver. Nous vivons donc paradoxalement une période de calme plat et d'attente, nos interventions et consultations ayant été réduites au stricte minimum pour libérer des lits, des anesthésistes et des infirmières. Par contre, c'est un énorme casse-tête de déprogrammation, reports, etc.
L'activité liée à la cancérologie et aux urgences vitales est bien sûr assurée, mais nécessite des précautions lourdes (masques, lunettes, nettoyage complet et “repos” de la salle entre chaque consultation par exemple). Cela limite beaucoup le nombre de consultations ou d'interventions possibles chaque jour, mais d'un autre côté nous avons beaucoup moins de demandes de la part des patients.
Pour l'audiologie et l'otologie, les véritables urgences sont exceptionnelles, mais la situation semblant partie pour durer, on commence à redouter la “reprise” car les dossiers s'accumulent... Toutes les consultations, interventions, suivi d'enfants sourds suite au dépistage par exemple sont totalement à l'arrêt. Nous étions déjà, avant le Covid-19, en grande difficulté pour proposer des rendez-vous de consultation ou des interventions dans des délais corrects, notre CHU comme beaucoup d'autres étant depuis longtemps énormément contraint sur le plan des moyens. Nous partons donc sans aucune “réserve” et les patients dont nous annulons les interventions en ce moment ont pour la plupart déjà attendu 6 ou 8 mois leur intervention... J'espère seulement que l'intensité de cette crise va changer en profondeur l'organisation de la santé en France, et nous redonner l'oxygène et la marge de manœuvre que nous avons perdus depuis une dizaine d'années ! »