Covid-19 : comment l’industrie de l’audition a géré la crise

Les perturbations sur la chaîne logistique causées par la pandémie auraient pu s’avérer dramatiques pour les fabricants d’appareils auditifs. Mais ceux-ci ont su s’adapter et se montrer agiles, afin de répondre à l’explosion de la demande.

Par Pauline Machard
(c)zaie AdobeStock

Fin avril 2022, dans Shanghai confinée. Des employés de la Gigafactory Tesla vivent 24h/24 sur site : ils y dorment, y mangent, et ont interdiction de sortir. Car si l’usine a été autorisée à reprendre le travail après une fermeture en raison d’une flambée de Covid dans la mégalopole chinoise, c’est à une condition : fonctionner en « boucle fermée », pour empêcher les contaminations extérieures… Et éviter une relance de la crise industrielle.

En effet, ces deux dernières années, la pandémie et son cortège de confinements ont entraîné des arrêts de production et nombre d’effets collatéraux : tensions sur l’approvisionnement, hausse du prix des matières premières… Partout, les industries ont été bousculées, y compris celle de l’audition. « Comme tout le monde, nous avons été touchés », confirme Clothilde Bagé, directrice des opérations européennes chez Starkey.

Une demande marché absorbée

Du côté des fabricants d’aides auditives, les chaînes logistiques, plus communément appelées supply chains, étant mondialisées, la probabilité qu’elles soient affectées était forte. Chez Signia, par exemple, il y a, « pour un produit fini, entre 4 et 7 sites de production ou d'assemblage, entre nos propres unités et nos sous-traitants, explique Pascal Boulud, le p.-d.g. France. Et comme ils sont répartis dans le monde, à chaque fois qu’il y a une vague, nous sommes touchés… » ainsi, l’été dernier, illustre-t-il, le confinement au Vietnam a provoqué une pénurie de composants, car c’est là que sont basés des sous-traitants des deux seuls fabricants mondiaux de transducteurs. Selon le maillon de la chaîne ébranlé, les entreprises ont connu moults configurations, auxquelles il a fallu s’adapter, raconte Clothilde Bagé : « Pas de matières premières, mais des ressources ; pas de ressources, mais de la matière… » Parfois, le transport a été impacté, comme avec le confinement à Shanghai : « Ce qui met habituellement 48 heures prend trois semaines », témoigne Pascal Boulud.

« Le problème, c’est que si la chaîne logistique est très structurante pour une industrie, quand un de ses acteurs, même petit, vient à faire défaut, cela ébranle tout l’édifice », explique Marc Dauga, de l’équipe Supply Chain du cabinet Wavestone, dont il est associé. Résultat dans l’industrie de l’audition : l’approvisionnement a été ralenti. « Là où nous avions l’habitude de livrer à J+1, nous livrons actuellement à J+3, J+4 », note Fabrice Vigneron, directeur général de Starkey France. Les coûts ont augmenté, car « il a fallu acheter, beaucoup plus cher, les composants disponibles sur le marché mondial », évoque-t-il, comme son concurrent de Signia. La hausse n’a pas été répercutée sur les clients, mais elle a grignoté la marge. Les lancements de produits, aussi, ont été « limités », raconte Pascal Boulud. Mais chez Starkey, on fait valoir qu’ils n’ont pas été « décalés outre mesure », en raison de la nouvelle réglementation européenne sur les dispositifs médicaux (MDR), qui, de toute façon, « augmente le délai pour mettre des produits sur le marché européen ».

 Il a fallu acheter, beaucoup plus cher, les composants disponibles sur le marché mondial.

Fabrice Vigneron, DG de Starkey France

Tout cela n’a pas empêché les fabricants d’être au rendez-vous. Chacun en a fait le constat : ainsi, dans son rapport annuel 2021 relayé par Xavier Temmos, directeur général de GN Hearing france, GN Hearing et GN Audio se disent « satisfaits de [leur] capacité à fournir à [leurs] clients les produits dont ils ont besoin aujourd’hui ». mais c’est tout le secteur qui a su faire face : « Nous avons fourni la demande, valorise Fabrice Vigneron, alors que le marché français a quasiment doublé l’année dernière », du fait du 100 % Santé. Une réactivité aussi saluée par Pascal Boulud : « Nous avons été capables d’absorber une croissance de 84 % et même au-dessus pour ce qui est de Signia. » « Même si nous ne sommes pas au niveau de service que nous souhaitons offrir, nous avons su trouver des solutions et nous adapter », synthétise Fabrice Vigneron, qui nuance, rappelant les longueurs d’approvisionnements rencontrées par tous. Toutefois, cela ne semble pas avoir entraîné une perte de clientèle, ou très peu : « Dans l’ensemble, nos clients sont restés fidèles et compréhensifs », salue le directeur général de Starkey France.

Anticipation et agilité, les maîtres-mots

Ce sont les stratégies mises en place en prévention et en réaction, qui ont permis de répondre à la demande. Elles se résument en deux mots : anticipation et agilité. « Toutes les mesures d’atténuation pertinentes ont été déployées », écrit GN. Parmi elles, poursuit le fabricant : la « surveillance continue de la situation de l’approvisionnement ». Il s’agit de « faire une analyse globale du risque sur l’ensemble de la supply chain », explique Marc Dauga. Et d’identifier les matières peu disponibles, peu fabriquées. GN Hearing a ainsi décidé d’entretenir « des relations plus étroites avec les fournisseurs de composants critiques ». Mais aussi, pour se sécuriser, d’en avoir à chaque fois deux ou trois plutôt qu’un seul, sur lequel pèsent tous les risques. il s’agit aussi d’avoir un œil sur les stocks, l’idée partagée, notamment par GN Hearing, étant de se constituer un « stock tampon ».

Ensuite, l’enjeu est de parvenir « à détecter les signaux faibles, via un monitoring en temps réel de la supply chain, note Marc Dauga, pour réagir en cas de problème ». « Ce composant va devenir difficile à approvisionner ? Nous trouvons une alternative, pour proposer le même service », livre Clothilde Bagé. Pascal Boulud a ainsi suspendu la distribution d’un produit à risque de rupture pour se rabattre sur un autre disponible en grande quantité, le temps de reconstituer un stock de sécurité. De même, GN Hearing a opté pour « la refonte des produits existants pour s’adapter aux nouveaux chipsets avec une meilleure disponibilité mondiale ». Un fournisseur est fragilisé ? Nous en « avons trouvé ou qualifié de nouveaux », répond, pragmatique, Pascal Boulud. Il fallait préserver les stocks ? Chez Signia et Starkey, on a fait preuve de pédagogie pour convaincre les clients de ne pas sur-stocker. L’aéroport de Shanghai est fermé ? iI a fallu « augmenter les capacités dans d’autres usines, rationaliser les produits sur lesquels travailler en priorité », poursuit Clothilde Bagé. L’idée, pour Marc Dauga, est : « Comment j’arrive à reprendre une certaine maîtrise de ma supply chain instable ».

100 % Santé : la fin de dérogation inquiète

Pascal Boulud, aussi vice-président du pôle Audiologie du Snitem, alarme sur le risque d’obsolescence dans le cadre de la nouvelle nomenclature introduite avec le 100 % Santé.

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En ligne de mire : l’arrivée à échéance de la dérogation à 8 canaux pour les aides auditives de classe I, mise en place pour permettre aux fabricants de présenter des appareils avec des caractéristiques inférieures le temps d’actualiser leur gamme. « Il faut que les pouvoirs publics, la direction de la Sécurité sociale, soient extrêmement vigilants, pour que nous ne soyons pas interdits de vendre, avec un préavis très court, les produits sur lesquels nous nous engageons en production aujourd’hui [ceux du 2e semestre 2023], parce qu’ils seront jugés obsolètes sur un arrêt de dérogation. Ce que nous demandons, c’est un moratoire jusqu’à la fin de cette crise pour revenir à une situation normale, où nous aurons des approvisionnements à 6 mois et les préavis normaux suffiront ». Et d’alerter : « L’impact financier pourrait être catastrophique si nous nous retrouvions avec des milliers de produits sans pouvoir les vendre ».

Ce qui ne tue pas rend plus fort

Ces stratégies imposent des arbitrages compliqués : « C'est difficile de prendre des décisions au cas où, surtout quand on voit l’effort que ça demande, notamment sur le coût », admet l’associé chez Wavestone. Car qui dit sécurisation, dit impact financier. Travailler avec deux sous-traitants par composant est plus onéreux qu’avec un seul, illustre Marc Dauga, car plus le volume de commandes est élevé, plus le prix décroît. Alors que par le passé, la recherche de compétitivité et la maîtrise des dépenses ont pu l’emporter sur les velléités de sécurisation des industries, est-ce différent aujourd’hui ? C’est l’avis de Clothilde Bagé : « Il y a vingt ans, l’obsession était de fabriquer à moindre coût, le plus rapidement possible. Aujourd’hui, c’est de fabriquer en gérant tous les risques ». La crise, crashtest grandeur nature a-t-elle été porteuse d’enseignements ? assurément, pour Fabrice Vigneron : « Nous avons grandi, en déployant encore plus de capacité d’adaptation et de maîtrise ».

Alors que la situation sanitaire semblait se normaliser en février, le rebond épidémique à Shanghai a ravivé de mauvais souvenirs. Et à cela s’est ajoutée l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a entraîné dans son sillage une flambée des prix de l’énergie et de nouvelles tensions sur l'approvisionnement. De quoi rappeler qu’il y aura toujours une crise en embuscade, quelle que soit sa nature. « On vit avec », commente Pascal Boulud, qui explique que, chez Signia, la vigilance ne retombe pas : « Nous sommes en permanence sur le qui-vive. Nous avons chaque semaine des revues d’approvisionnement avec des indicateurs – vert, orange, rouge – à une semaine, trois, six mois ». « Nous restons très vigilants pour l’avenir », confirme GN Hearing.

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