Dans la course au tout implantable

Il est dans les tuyaux depuis déjà plusieurs années : l’implant cochléaire tout implantable est désormais à portée de main. MED-EL vient d’annoncer sa première implantation sur l’humain. D’autres fabricants sont sur les rangs.

Par Bruno Scala
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« On en rêvait depuis que j’ai commencé à travailler dans ce domaine il y a 30 ans, cela devient une réalité ». C’est ainsi qu’a réagi Michel Beliaeff, président de MED-EL France, à l'annonce de la première mise en place, chez l’humain, d’un implant cochléaire tout implantable (Tici ou Fici, pour totally/fully implantable cochlear implant) développé par le fabricant autrichien, et baptisé MI2000. La prouesse a été réalisée par le Pr Philippe Lefebvre, du CHU de Liège (Belgique), le 24 septembre dernier, dans le cadre d'une étude de faisabilité de l'implantation du MI2000. Il s’agit d’une première en Europe, se félicite MED-EL. D’après le chirurgien belge, aucun incident n’est à déplorer : « Nous avons testé l’implant après la chirurgie et nous sommes très enthousiastes car tout fonctionne comme prévu. La technologie de l’implant cochléaire moderne a évolué à un rythme impressionnant, offrant des résultats auditifs exceptionnels. Le Tici est une étape majeure dans le domaine de l’implantologie cochléaire. C’était un souhait depuis le commencement de pouvoir intégrer tous les composants dans un seul dispositif interne. »

Destigmatisant

En effet, cela fait plusieurs années que l’on constate dans les congrès un intérêt grandissant pour cette thématique : les chercheurs et praticiens rapportent des résultats de plus en plus concrets. Et pour cause, un tel dispositif, tout implantable, présente bien des avantages. Le premier est esthétique et donc déstigmatisant : plus rien dans l’apparence de l’utilisateur ne permet de le distinguer d’un normo-entendant. De plus, ces patients n’auraient plus à se soucier de la partie externe de leur implant qui, bien qu’il y ait eu d'énormes avancées sur le sujet, n’est pas complètement étanche à l’eau ou à la poussière. Ils n’auraient pas non plus à se soucier de l’éventuelle perte de la partie externe. En outre, ces dispositifs pourraient fonctionner jour et nuit, tandis que les processeurs actuels sont généralement enlevés par leurs utilisateurs au coucher, ce qui peut être problématique et angoissant si une alarme se déclenche ou si tout autre source sonore alerte d’un danger. « Le tout implantable est une demande forte des utilisateurs, rapporte Thierry Pawelczyk, directeur clinique CI chez Cochlear France. Toutefois, je ne pense pas qu'il remplacera l'implant cochléaire classique ; il y a de la place pour les deux. »

Éviter les recharges

Mais le défi est de taille pour les fabricants. Les parties à internaliser, qu’il s’agisse du microphone ou de la batterie, peuvent toutes deux être sources d’importantes difficultés, en plus des évidentes – mais pas pour autant simples – questions d'étanchéité et de sécurité. Par exemple, les batteries qui sont actuellement utilisées sur les implants cochléaires ont des durées de vie limitées. Elles ne peuvent supporter qu’un certain nombre de cycles de charge et de décharge. Après quoi, elles doivent être remplacées. Néanmoins, c’est une solution envisageable si la durée de vie est assez longue. C’est le choix qui a été fait par Otologics pour l’implant d’oreille moyenne Carina, commercialisé par Cochlear. C’est également ainsi que fonctionne Acclaim, le Tici que développe la société américaine Envoy Medical : « Notre batterie sera un dispositif implantable doté d’une importante capacité permettant à l'utilisateur de passer un laps de temps acceptable entre les recharges, décrit Brent Lucas, p.-d.g. d’Envoy Medical. Elle se rechargera grâce à un accessoire séparé et nous prévoyons que l'utilisateur le fera tout en regardant la télévision, en travaillant ou en effectuant des tâches ménagères. »

Des scientifiques tentent toutefois de contourner cette contrainte. Des batteries internes ont d’ores et déjà été développées, utilisant la thermoélectricité, la piézoélectricité1, ou encore l’énergie organique du corps humain (utilisation de glucose notamment).

Mieux encore, des chercheurs des universités de Californie à San Diego et Harvard sont parvenus à faire fonctionner une puce électronique en récupérant le potentiel endocochléaire de l’oreille interne, grâce à deux électrodes placées dans la rampe tympanique et dans le canal cochléaire2. La puissance du courant récolté n’était pas suffisante pour faire fonctionner un implant cochléaire mais les travaux sont toujours en cours.

Où placer le micro ?

L’autre difficulté, et non des moindres, concerne le microphone. Enfoui dans l’os fraisé, avec le reste du dispositif, il ne pourrait pas capter correctement les sons de l’extérieur. L’une des premières solutions étudiées consiste à le placer juste sous la peau, à l'instar du Carina de Cochlear. Mais ainsi situé, le microphone capte davantage les bruits corporels, comme lors de la mastication, ainsi que les sons que provoquent des frottements au niveau du scalp. En outre, ce placement sous la peau engendre des distorsions du son, notamment dans les fréquences aiguës. Pourtant, plusieurs études montrent que les performances du microphone sous-cutané sont peu ou prou similaires à celles d’un microphone placé autour de l’oreille, en termes de seuil et d'intelligibilité dans le bruit.

Une autre possibilité consiste à placer le micro au niveau de l’oreille moyenne, ce qui permettrait de résoudre partiellement les problèmes évoqués, mais compliquerait la chirurgie. C’est l’option retenue par Envoy Medical pour son Acclaim. « En fait, il ne s’agit pas d’un microphone, mais d’un capteur piézoélectrique, précise Brent Lucas. Il capte les vibrations de la chaîne ossiculaire et transforme cette énergie mécanique en énergie électrique. Bref, nous utilisons l'oreille naturelle comme “microphone”, ce qui apporte évidemment d'énormes avantages et réduit considérablement les problèmes supplémentaires d'un microphone artificiel. »

Dans le même genre d’idée, de récents travaux réalisés par une équipe de l’université d’État de l’Ohio ont étudié la possibilité d’utiliser les potentiels microphoniques (une des composantes de l’électrocochléographie) pour enregistrer les sons captés par l’oreille avec moins de distorsions qu'un vrai microphone sous-cutané3. Les potentiels microphoniques sont en effet le reflet exact du stimulus sonore. À partir de ces mesures physiologiques, les chercheurs peuvent donc recréer le stimulus initial. Si les potentiels microphoniques peuvent être de mauvaise qualité chez les personnes souffrant de surdités d’origine endocochléaire, les résultats de l’étude montrent que les propriétés vitales du signal de parole sont suffisamment préservées, chez les patients candidats qui ont une audition résiduelle.

La course au tout implantable

MED-EL ne précise pour le moment pas quelles technologies ont été utilisées pour le développement de son dispositif. Par ailleurs, le fabricant autrichien ne fait pas cavalier seul dans cette course au tout implantable. Cochlear, notamment, avait conçu un prototype dès 2005, le Tiki. En 2018, le fabricant australien avait annoncé le lancement d’une étude clinique de faisabilité pour un dispositif complètement implantable4. « Onze adultes ont été impliqués dans cette étude, précise Thierry Pawelczyk. Nous aurons prochainement des résultats préliminaires. Nous avons fait le choix d'un microphone sous-cutané et d'une batterie rechargeable Li-ion. » De son côté, Envoy Medical a indiqué au début de l'été dernier avoir reçu la « désignation d’appareil révolutionnaire » (breakthrough device designation) de la Food and drug administration (FDA), pour Acclaim5. Cela ne signifie pas que cet implant est approuvé par l’organisme américain, mais qu’il bénéficiera d’une procédure accélérée pour cela. Si la commercialisation d’un Tici n’est pas pour tout de suite – il faudra encore attendre quelques années, selon Michel Beliaeff – on est désormais plus proche de la réalité que du rêve.

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