16 Janvier 2020

Dans les pipelines des labos pharmas

Il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement contre la surdité. Les laboratoires pharmaceutiques sont néanmoins sur les rangs et de nombreuses molécules sont actuellement testées. Parmi elles : des antioxydants et vitamines, des modulateurs du métabolisme mitochondrial et un inhibiteur de l’apoptose.

Par le Pr Jean-Luc Puel et Jing Wang
candidats medicaments essais cliniques audition labos pharmas

Nous savons aujourd’hui que le bruit, la prise de médicaments ototoxiques (antibiotiques de la famille des aminoglycosides, le cisplatine utilisé en chimiothérapie…) ou le vieillissement entraînent la production de radicaux oxygénés, des dommages de l’ADN et une mort programmée (ou apoptose) des cellules sensorielles auditives à l’origine de surdités irréversibles. À côté des travaux de thérapies géniques ou cellulaires visant à produire ou à remplacer les cellules sensorielles, les études pharmacologiques s’attachent à rendre le tissu neurosensoriel plus résistant au stress cellulaire. Beaucoup de molécules étant commercialement disponibles, les études expérimentales sont nombreuses et, pour certaines, font d’ores et déjà l’objet d'essais cliniques. Cependant, pour être utilisé dans la pratique courante et prescrit par un médecin, un médicament doit passer un certain nombre d'étapes de validation en double aveugle. Actuellement, plus de 20 essais cliniques randomisés en double aveugle ont été réalisés, principalement aux États-Unis. Parmi les molécules ayant un effet potentiellement thérapeutique, la majorité sont des antioxydants ou des modulateurs du métabolisme de la mitochondrie, et seul un peptide inhibiteur de l’apoptose a fait l’objet d'essais cliniques.

Antioxydants et vitamines

Le stress oxydant ou oxydatif est à la base de nombreuses maladies. Lorsqu’une cellule fonctionne, a fortiori fonctionne trop ou mal, elle produit des radicaux oxygénés qui peuvent endommager son ADN. Normalement, ces derniers sont neutralisés par des mécanismes protecteurs de l’organisme, qu’on appelle antioxydants. Certains d’entre eux sont testés pour prévenir ou guérir des pertes auditives.

Le N-acétylcystéine (NAC) est un dérivé synthétique de la cystéine nécessaire à la synthèse du glutathion – un antioxydant majeur – et à son maintien en quantité adéquate à l'intérieur des cellules. Des recherches expérimentales montrent que le L-NAC prévient les surdités liées à la gentamicine, un antibiotique de la famille des aminoglycosides et au cisplatine, un sel de platine couramment utilisé en chimiothérapie. Le L-NAC protège l’oreille lors d’une exposition au bruit, mais ne ralentit pas le vieillissement de l’oreille chez la souris. En accord avec ces résultats expérimentaux, un traitement à base de L-NAC prévient les pertes auditives chez des travailleurs du secteur textile et chez des militaires. Malheureusement, ces études n’ont pas été réalisées de façon randomisée et en double aveugle. La seule étude répondant à cet impératif porte sur 31 sujets après une exposition de deux heures en boîte de nuit, entre 98,1 et 102,8 dBA. Aucune différence significative n’a pu être observée chez les sujets ayant reçu ou non le traitement. Cependant, le nombre restreint de sujets et la faible durée d’exposition empêchent de conclure définitivement à l’inefficacité de ce composé.

L'acide alpha-lipoïque est synthétisé dans la mitochondrie (organite responsable de la production d’énergie dans les cellules) et présente un effet antioxydant. Des études rapportent qu’il prévient les pertes auditives lors d’une exposition à la kanamicyne, au cisplatine, au bruit, ainsi qu’aux pertes liées à l’âge. Cependant, l’évaluation en double aveugle d’un co-traitement acide alpha-lipoïque/vitamine C pendant 6 mois chez des sujets presbyacousiques ne montre aucun effet protecteur sur l'audition. Ici encore, il est difficile de conclure à partir d’une étude sur la presbyacousie réalisée sur 2 ans.

La méthionine participe à la production d’antioxydants. Malgré des données encourageantes chez l’animal, une étude clinique randomisée sur 203 sujets montre un effet protecteur de la D-méthionine un jour après exposition sonore, mais aucun effet significatif une semaine après.

L’aspirine à forte dose est un antioxydant puissant. Des études chez l’animal montrent qu’il prévient les pertes auditives liées à un traitement à la gentamicine et au cisplatine. Co-administré avec la D-méthionine, il prévient les pertes auditives liées au traumatisme acoustique. Un essai randomisé en double aveugle contre placebo montre qu’une supplémentation en aspirine (3 grammes par jour) réduit les pertes auditives chez des patients traités pour des infections aiguës à raison de 80 à 160 mg de gentamicine deux fois par jour, généralement durant 5 à 7 jours. Dans cette étude, seuls 3 % de patients supplémentés avec l’aspirine présentaient une élévation des seuils auditifs de plus de 15 dB contre 13 % chez les patients ayant reçu de la gentamicine et un placebo, sans que cela n’affecte l’efficacité de l’antibiothérapie.

Les vitamines E, C, D et le bêta-carotène (métabolisé pour former de la vitamine A) agissent comme des piégeurs de radicaux libres non enzymatiques. Un cocktail de vitamines (A, C et E) et de magnésium protège les souris contre les pertes auditives liées au bruit, mais pas les militaires après un entraînement au tir. Une étude sur 1 910 sujets âgés de 50 à 80 ans montre qu’une supplémentation en vitamine C protège significativement l'audition des effets du vieillissement. En revanche, la vitamine E qui prévient les pertes auditives liées aux aminosides chez le cobaye, était inefficace en clinique.

Modulateur du métabolisme mitochondrial

La coenzyme Q10 ou son analogue Q10 – Ter, est un modulateur du métabolisme mitochondrial. L’administration systémique de ces molécules protège l’audition des souris exposées à la néomycine, au bruit et atténue les pertes auditives liées à l’âge. Chez l’homme, la co-enzyme Q10 – Ter administrée sous forme de compléments alimentaires pendant 30 jours favorise la récupération auditive après une exposition au bruit. Une autre étude clinique réalisée sur 60 sujets ayant reçu une dose quotidienne de 160 mg de Q-TER pendant 30 jours sous forme soluble montrent une amélioration significative des seuils auditifs en conductions aérienne et osseuse à 1, 2, 4 et 8 kHz lorsqu’on les compare avec des sujets ayant reçu 50 mg de vitamine E (50 mg) ou un placebo. Ici encore, le faible nombre de sujets et le fait que cette étude n'ait pas été réalisée en double aveugle ne permet pas de conclure définitivement sur l’efficacité d’un tel traitement.

Inhibiteur de l’apoptose

Des études réalisées dans notre laboratoire montrent que l’injection intratympanique d’un peptide inhibiteur (D-JNKI-1) prévient la mort des cellules sensorielles et les pertes auditives induites par la néomycine et le traumatisme sonore. En revanche, ce composé aggrave les pertes auditives liées au cisplatine. Chez l’homme, une première étude (phase I/II ) a été réalisée en Allemagne le soir de la Saint-Sylvestre chez 11 patients suite à un traumatisme sonore due à l’explosion de pétards ou des feux d’artifices. D-JNKI-1 était injecté sous anesthésie locale à travers le tympan. Les résultats montrent une meilleure récupération auditive en fonction de la dose injectée. Un autre essai clinique impliquant 35 centres européens, cette fois-ci randomisé et en double aveugle contre placebo, a été mené chez 210 patients présentant une surdité brusque. Les résultats montrent une amélioration significative de l’intelligibilité et une diminution des acouphènes par rapport au placebo. Enfin, une récente étude de phase III menée auprès de 256 patients montre une efficacité du D-JNKI-1 uniquement chez les sujets présentant des pertes auditives importantes.

Ce survol des résultats expérimentaux et cliniques montre combien les modèles murins sont indispensables pour cribler les molécules potentiellement thérapeutiques. Or un tel criblage in vivo est très chronophage et coûteux. Pour accélérer le processus, les chercheurs se tournent de plus en plus vers des modèles plus simples, comme le poisson zèbre permettant un criblage à haut débit. De plus, une efficacité chez l’animal n’assure pas un succès thérapeutique chez l’homme. Les échecs thérapeutiques rapportés dans cet article peuvent s’expliquer en partie par des différences génétiques, métaboliques et/ou environnementales entre espèces. Une souris n’est évidemment pas un humain. Fort de ce constat, certains chercheurs se tournent vers les cellules souches ou des organoïdes d'origine humaine. Cette technique consiste à prélever des cellules chez des patients pour les transformer en cellules ciliées, en neurones auditifs, voire en un épithélium sensoriel complet sur lesquels seront testés les nouveaux médicaments. Les recherches s’attachent aussi à améliorer le passage et la stabilité des agents pharmacologiques à travers les membranes des cellules ciblées. L’utilisation de nanoparticules permet à présent d’envisager le transport d’un large éventail d’agents thérapeutiques allant de l’ADN aux protéines en passant par les ARN interférents. Enfin, le succès d’une thérapie repose non seulement sur des médicaments efficaces, mais également sur un diagnostic de qualité et personnalisé. La combinaison de biomarqueurs corrélée à des tests fonctionnels d’électrophysiologie, de psychoacoustique et d'imagerie permettra d’aller vers une médecine de précision et personnalisée. Dans tous les cas, les progrès à venir nécessitent plus que jamais, une forte interaction entre médecins, chercheurs, patients, et industriels.

Newsletter

Newsletter

La newsletter Audiologie Demain,

le plus sûr moyen de ne jamais rater les infos essentielles de votre secteur...

Je m'inscris