« En tant que fabricant, nous avons aussi un rôle à jouer dans le maintien d’un parcours de soins pertinent »

Christophe Aubert a passé trente ans, au sein du groupe Prodition, à œuvrer pour la marque premium du groupe Demant, Oticon, qu’il dirige. Nouveautés 2023, perspectives sectorielles mais également rôle et responsabilités des fabricants dans un monde à la croisée des chemins… il partage sa vision pour demain.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
C. Aubert WEB
Christophe Aubert, directeur d'Oticon France

Le 100 % Santé attire de nouveaux acteurs qui modifient les lignes de force du secteur. On constate aussi certaines dérives et une inquiétude croissante. Quelle est votre analyse de ces tensions ?

L’inquiétude naît notamment de la multiplication des points de vente et d’une compétition plus importante, avec des communications pas toujours adaptées. L’arrivée de nouveaux acteurs, avec des visions parfois différentes du métier, attirés par l’effet d’aubaine, peut laisser craindre la mise en place d’une audioprothèse à deux vitesses. Certains centres font 80-90 % de classe I... On peut se demander si ces nouveaux entrants seront toujours là dans deux-trois ans pour assurer le suivi des produits qu’ils auront vendus.
La seule façon d’en sortir gagnant, c’est de continuer à proposer des solutions, une qualité de prestation et de suivi optimales et de rester concentrés sur la satisfaction de l’utilisateur final. Mais attention, il faut relativiser, les dérives ne concernent qu’une part limitée du marché même si c’est de cette minorité que vient le risque pour la profession.

Est-ce une tendance réversible selon vous et comment ?

Je ne sais pas si elle est réversible. Il y aura toujours des acteurs davantage guidés par l’aspect financier et qui sacrifieront le suivi. Il faut contrebalancer ces pratiques par un travail de sensibilisation du grand public sur ce qu’implique un appareillage. Dans le prix des aides auditives, même sans reste à charge, il y a un service de qualité, un suivi toute la durée de vie des appareils. Ce n’est pas parce que l’on ne paie pas qu’on ne peut pas exiger la meilleure prise en charge ; a fortiori quand on opte pour des solutions de classe II.

Quel est le rôle des fabricants dans ce contexte ? Quelle stratégie la marque Oticon a-t-elle adoptée ?

On ne peut pas tout contrôler malheureusement, mais nous nous montrons particulièrement attentifs à la distribution de nos produits. Nous avons revu nos conditions générales de vente, en 2020. Nos clients reconnaissent être des professionnels de l’audioprothèse, disposer du matériel adéquat et s’engagent à utiliser nos produits dans le strict respect du cadre légal et de la déontologie en vigueur. Nous nous réservons le droit de refuser ou d’annuler des commandes dans le cas contraire. En tant que fabricant, nous avons aussi un rôle à jouer dans le maintien d’un parcours de soins pertinent. Ce n’est pas toujours facile ; nous ne sommes pas des chevaliers blancs. Mais nous ne souhaitons pas vendre à tout prix à n’importe qui. En tant que marque premium de Demant, nous devons faire attention à la façon dont sont adaptés les produits Oticon.

D’ailleurs, le réseau de distribution du groupe, Audika, ou nos associés Audilab, portent et entretiennent cette culture d’un exercice centré sur l’expertise professionnelle et la satisfaction des patients. Elles illustrent notre confiance dans ce modèle d’une distribution par des réseaux de qualité. Heureusement, la très grande majorité des audioprothésistes diplômés sont de bons professionnels qui ont à cœur d’apporter la meilleure solution à leurs patients.

Nous ne souhaitons pas devenir une machine à validation de diplômes espagnols ou compenser une formation initiale lacunaire.

Que pensez-vous de l’afflux de diplômés de la « filière espagnole » ?

C’est un sujet qui agite beaucoup le secteur et qui n’est pas si simple. Si on remonte quelques années en arrière, force est de constater qu’il y a eu un manque de diplômés sur le marché français. Comme pour d’autres professions de santé, des formations alternatives se sont mises en place en Europe. L’expérience montre que le niveau de connaissance et d’expertise de ceux qui en sortent est très hétérogène, avec des visions de leur futur métier radicalement opposées. Certains se définissent eux-mêmes comme des « vendeurs d’aides auditives ». D’autres ont en revanche choisi cette voie pour véritablement embrasser l’audioprothèse mais ils n’ont pas pu passer le filtre de Parcoursup, par exemple.

En tant que fabricant, nous sommes confrontés aujourd’hui – et plus encore demain – à un afflux inédit de demandes de stage, que nous ne pourrons pas toutes accepter pour continuer de garantir une formation de qualité, que ce soit pour les étudiants des écoles françaises ou des établissements espagnols. Nous ne souhaitons pas devenir une machine à validation de diplômes espagnols ou compenser une formation initiale lacunaire. Nous sommes donc contraints de faire des choix, sur la base de la motivation des étudiants ou de recommandations. Je souhaite que cette situation évolue, notamment avec l’ouverture de nouvelles écoles en France. La bonne santé de notre secteur repose sur des produits de qualité, adaptés par des professionnels de qualité.

Le secteur se porte bien en effet. Comment s’est terminée l’année 2022 pour Oticon France ?

Nous espérions confirmer en 2022 les ventes record que nous avions enregistrées en 2021, tout en tablant sur un léger fléchissement du marché. Mais, grâce, notamment, à une année riche en nouveautés, avec le lancement de notre gamme pédiatrique Play PX, le lancement d’une nouvelle gamme d’intras Oticon Own, les deux reposant sur la plate-forme Polaris utilisant un réseau neuronal profond puis le renouvellement de nos solutions 100 % Santé, avec les contours Ruby 1 et les intras Own 5, nous avons continué à enregistrer une nette croissance, y compris de notre chiffre d'affaires. Ces performances traduisent la part importante que représentent les produits de classe II, et principalement Oticon More, dans nos ventes !

Et 2023 ?

Il est toujours compliqué de se livrer à des projections, à plus forte raison, dans le contexte actuel. De nombreux paramètres macroéconomiques – l’inflation, la guerre en Ukraine, la réforme des retraites, l’accès de plus en plus difficile aux médecins spécialistes – peuvent impacter le marché. Néanmoins, je suis plutôt optimiste concernant 2023. Les ventes devraient globalement se maintenir au niveau actuel. En effet, tout le potentiel du 100 % Santé ne s’est pas encore révélé. On sait qu’il y a encore toute une frange de la population qui n’est pas au courant des modalités de la réforme. Par ailleurs, même si celle-ci a permis de lever l’obstacle économique, il reste indéniablement un frein psychologique. Et, nous ne pourrons en venir à bout que par des campagnes d’information et de prévention. C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes partenaires de France presbyacousie, de la Semaine du Son ou encore d’AuditionSolidarité. Cette sensibilisation du grand public est en bonne voie, grâce aux communications de plus en plus nombreuses sur les liens entre perte auditive et déclin cognitif – liens dont nous sommes convaincus depuis des années et qui ont mené à notre approche audiologique BrainHearing –, et grâce aussi au 100 % Santé qui a fait de l’audition un enjeu de santé publique, au même titre que l’optique ou le dentaire.

Quant à nos projections pour 2024-2025, elles sont plutôt optimistes, avec les renouvellements des appareils du 100 % Santé. Mais, cela n’est vrai que si le secteur réussit à conserver une bonne image, en continuant à miser sur l’innovation, sur un service de qualité et surtout à garantir la satisfaction des utilisateurs dans le temps.

On ne peut pas investir autant depuis des années dans l’innovation et l’audiologie pour retrouver nos produits mal adaptés ou dans le tiroir !

Quelles nouveautés allez-vous lancer cette année ?

2023 sera encore placée sous le signe de l’innovation pour Oticon avec le lancement d’une nouvelle plate-forme. Un événement numérique est prévu le 7 mars à 13 h pour la présenter aux audioprothésistes. Notre nouvelle puce concentre les ingrédients audiologiques qui ont fait le succès d’Oticon More, à savoir le plus haut niveau d’intelligence artificielle embarquée dans une aide auditive. Mais, cette nouvelle génération d'appareils va en plus répondre pour la première fois à l’une des problématiques rencontrées au quotidien par les personnes appareillées. Elle est exprimée par 7 malentendants sur 10 et 9 audioprothésistes sur 10 et participe grandement à la fatigue des utilisateurs voire parfois à l’abandon de l’appareillage.

Cette innovation permanente exige des investissements importants. Chaque année, le groupe Demant consacre entre 7 et 9 % de son chiffre d’affaires dans la recherche et le développement. C’est ce qui nous permet de bénéficier de cette image de leader en termes de technologie et d’audiologie. Et, même si cela représente un coût certain, c’est primordial.

Ce supplément d’innovation est conforté au travers d’études cliniques menées sur de larges cohortes et s’appuyant sur des mesures novatrices comme l’activité cérébrale par EEG (électroencéphalographie) ou encore la pupillométrie, mais aussi au travers de récompenses comme les CES Innovation Awards. Oticon Own vient d’être primé à l’occasion de l’édition 2023. Il s’agit du 14e prix décerné à un produit de notre marque – le 6e pour un appareil construit sur la plate-forme Polaris – et la 8e année consécutive que notre technologie est distinguée.

Y a-t-il d’autres évolutions à attendre en 2023 pour Oticon ?

Cette année va être l’occasion d’améliorer encore nos services aux audioprothésistes. Tout d’abord, en renforçant l’expertise et l’engagement de nos équipes terrain, commerciales et animateurs, qui ont été étoffées fin 2022. Mais également en continuant de développer notre plate-forme MyOticon pour associer la puissance des outils numériques à l’humain, le tout au service de nos clients.

Dans ce même souci, pour Oticon, d’une relation de proximité avec nos partenaires audioprothésistes, nous investissons en mai prochain dans de nouveaux locaux situés à quelques centaines de mètres de notre siège actuel à Gennevilliers. Ce site, en construction actuellement, permettra à notre logistique française de faire face à la croissance et répondra aux exigences du groupe Demant en termes d’éco-responsabilité. Mais surtout il fournira un meilleur accueil, à la fois pour améliorer les conditions de travail de nos collaborateurs et également recevoir nos clients ou les étudiants dans des salles de réunion dédiées à la formation. Cette qualité de service qui nous est chère a d’ailleurs été saluée dans la dernière étude Audioscope.

De nombreux acteurs de l’industrie des aides auditives se lancent sur le marché des OTC. Qu’en est-il d’Oticon ?

Oticon a fait le choix de ne pas investir ce marché de l’OTC aux États-Unis. Nous sommes intimement convaincus que des aides auditives ne peuvent apporter satisfaction sur le long terme que lorsqu’elles sont adaptées par des professionnels qualifiés. Nous sommes sur un secteur de santé où la qualité de la prise en charge est primordiale. Nos aides auditives sont opérateur-dépendantes. Elles doivent être choisies par des professionnels formés qui sauront solliciter toutes leurs capacités pour répondre aux attentes de leurs patients. Aujourd'hui, nous pensons que ce marché d’OTC risque de créer plus de déçus que de satisfaits.

Plus globalement, lorsque qu’un patient ne parvient pas à retrouver la structure ou l’audioprothésiste qui lui a vendu ses aides auditives, que lui reste-t-il ? Un produit et une marque... On ne peut pas investir autant depuis des années dans l’innovation et l’audiologie, en plaçant la satisfaction du patient au cœur de notre démarche, pour retrouver nos produits mal adaptés ou dans le tiroir !

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