« Entre audition et cognition, le lien est complexe »

Professeur associé en sciences de l’audiologie au Ear Institute de l’University College London, Christian Füllgrabe s’intéresse aux contributions relatives des traitements auditifs et cognitifs à la capacité de perception de la parole chez l’adulte. Ses travaux récents mettent en garde contre des conclusions trop hâtives sur l’importance universelle des fonctions cognitives et sur la fiabilité de certains tests cognitifs chez les personnes malentendantes.

Propos recueillis par Stéphane Davoine

Que savons-nous aujourd’hui des liens entre l’audition et les capacités cognitives ?

Après plusieurs décennies d’études et avec l'émergence des sciences cognitives de l’audition, il est clair qu'elles sont associées, parfois même étroitement [1]. Cependant, il n’y a toujours pas de consensus sur la nature et la direction de ce lien. Néanmoins, actuellement, beaucoup de recherches s’intéressent à l’hypothèse qu’une perte auditive pourrait entraîner des changements cérébraux et ainsi accélérer le déclin cognitif.

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Une hypothèse alternative est qu’un troisième facteur, par exemple la santé cardiovasculaire, pourrait affecter de façon indépendante l’audition et la cognition. Une meilleure connaissance de leur lien, basée sur les résultats d’essais cliniques randomisés, est primordiale pour pouvoir réfléchir à des stratégies de réhabilitation.

Notre message doit être prudent : oui, la cognition joue un rôle, mais celui-ci dépend de l’auditeur, de la situation et de la tâche à réaliser.

La complexité du lien apparait clairement dans certaines situations, comme l'audition dans le bruit. Que nous apprennent vos travaux à ce sujet ?

Des études réalisées chez les personnes malentendantes âgées montrent unanimement un lien modéré ou fort entre la mémoire de travail et la perception de la parole dans le bruit. Ceci a amené beaucoup de chercheurs à généraliser l’importance de cette fonction cognitive à d’autres populations. Or, nos travaux montrent que le pouvoir prédictif de mesures de capacité de mémoire de travail pour l’intelligibilité de la parole dans des environnements bruyants est faible chez les personnes jeunes et normo-entendantes [2]. En conséquence, ce n’est pas un facteur limitant de la performance dans le bruit pour tout le monde et dans toutes les situations d’écoute. Et c’est probablement similaire pour d’autres fonctions cognitives, telle l’inhibition, qui permet de se focaliser sur une voix cible en excluant d’autres voix interférentes.

De plus, l’importance des aspects cognitifs dépendrait de la complexité de la tâche d’intelligibilité évaluée. Pour des situations d’écoute impliquant un matériel linguistique complexe et des bruits masquants fluctuants et composés d’autres voix, la cognition tiendra un rôle plus important que pour des situations plus simples, telles celles utilisées pour l’audiométrie vocale, dans lesquelles c’est l’audibilité qui aura plus de poids. Donc notre message doit être prudent : oui, la cognition joue un rôle, mais celui-ci dépend de l’auditeur, de la situation et de la tâche à réaliser. D’autant plus que, même en ajoutant des tests cognitifs à l’évaluation audiologique, on n’arrive pas à prédire avec certitude les performances d’identification de la parole dans le bruit. Soit nos mesures actuelles ne sont pas assez précises, soit nos évaluations n’incluent pas tous les facteurs explicatifs.

Faut-il prendre des précautions pour l’évaluation cognitive des malentendants ?

En fait, beaucoup de tests cognitifs utilisent des instructions et stimuli oraux, ce qui pourrait désavantager les malentendants et, dans le pire des cas, il pourrait en résulter un diagnostic erroné de déficit cognitif. Nos recherches récentes portant sur des personnes avec des pertes auditives réelles ou simulées confirment cette crainte [3].

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