Explorer la réflexion d’une future implantée : la promesse du roman d’Adèle Rosenfeld

Pour son premier roman, Les méduses n’ont pas d’oreilles, Adèle Rosenfeld met en scène le parcours de Louise, malentendante. Une situation pas complètement méconnue de l’autrice, également atteinte de surdité unilatérale et possiblement bientôt confrontée à la question de l’implantation. Ce cheminement intérieur est sans doute celui de nombreux patients qui pourraient se reconnaître dans les réflexions de la protagoniste.

Propos recueillis par Laura Huynh Quang
Meduses oreilles Rosenfeld habillage entracte

Audiologie Demain : Le personnage principal, Louise, se voit proposer l’implantation. Vous êtes-vous inspirée de votre expérience personnelle ?

Adèle Rosenfeld : Il ne s’agit pas d’une autobiographie à proprement parler, mais ce sont des situations que je connais en tant que malentendante. Par exemple, la scène à l’hôpital dans laquelle Louise ne comprend pas ce que lui disent les soignants s’apparente à des expériences personnelles. Le monde hospitalier est tellement sous pression que le personnel ne peut parfois plus prendre le temps nécessaire pour s’adapter aux difficultés de chaque patient. À l’image de mon personnage, la communication a parfois été difficile avec le corps médical.

Comme Louise, je suis malentendante : je suis sourde de l’oreille gauche et appareillée de l’oreille droite. Je suis très bien suivie aujourd’hui, mais j’ai aussi des questionnements autour de l’implant car l’opération va sûrement m’être un jour proposée. Je partage les mêmes craintes que Louise : le passage à un handicap plus sévère et la perte de quelque chose (l’audition) sans savoir ce que l’on va retrouver. Je voulais retranscrire ces moments dans lesquels nous sommes seuls à prendre une décision importante sur un sujet qui nous inquiète. Dans le roman, exceptée l’orthophoniste, le corps médical prend très peu en compte ces appréhensions.

AD : Anna, meilleure amie de Louise, souhaite que celle-ci accepte sa surdité et renonce à l’implant. Pourquoi avoir créé ce personnage opposé à l’intervention chirurgicale ?

AR : Je voulais qu’Anna, entendante, serve de balance. Elle incarne tous les préjugés autour de l’implantation. Elle pousse Louise à accepter sa surdité et apprendre la langue des signes. De l’autre côté, le corps médical et ses proches l’encouragent à se faire opérer. J’ai aussi grandi dans le monde des entendants et je suis très attachée aux sons. Je me vois difficilement basculer un jour dans une surdité profonde et quitter le langage oral. Pourtant, le sujet me questionne. Les réponses tranchées et évidentes n’existent pas, et Anna permet l’expression de ces débats intérieurs.

AD : Louise a de plus en plus difficultés à cacher sa surdité et, pourtant, elle refuse d’en parler pour rester dans la « norme ». Pourquoi ?

AR : Chaque personne qui possède un particularisme se sent différent car elle ne se comporte pas comme les autres, et ce, dès le plus jeune âge. Les enfants perçoivent très vite les singularités et, automatiquement, des mécanismes de protection se mettent en place, avec une volonté de normaliser et de dissimuler ses différences.

Comme certains malentendants, Louise est dans un processus de déni, terrorisée à l’idée que l’on puisse découvrir sa surdité. Cette peur la guide tout au long du roman et complique sa réflexion sur son opération. J’ai aussi ressenti cette envie de « rentrer dans la norme ». Je l’ai retranscrite à travers des stratégies d’évitement, classiques chez les malentendants. Je faisais comme si j’avais compris ce que m’avait dit l’autre, quitte à sembler lunaire ou maladroite. Ces situations peuvent devenir assez cocasses d’ailleurs, mais il faut lutter contre ça.

AD : Pourquoi avoir choisi ce titre ?

AR : C’est une phrase extraite du livre. Louise visite le Muséum d’histoire naturelle. J’ai inventé deux vitrines, celle des huîtres et celle des méduses. L’huître est un mollusque qui subit les sons, et ramène à l’expression « être fermé comme une huître ». Les méduses n’ont pas d’oreille mais n’en sont pas moins sensibles aux ondes de pression acoustique et aux vibrations. C’est une image révélatrice de ce que ressent la protagoniste. Le titre est joueur ; il se situe au carrefour d’une donnée scientifique et d’une phrase absurde que Louise aurait pu croire avoir entendu.

Les méduses n’ont pas d’oreilles, Adèle Rosenfeld, éditions Grasset

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