Formations paramédicales : tergiversations autour de l'universitarisation

Dans les tuyaux depuis plus de dix ans, l’universitarisation des études paramédicales – et leur intégration dans le schéma licence-master-doctorat – s’invite à nouveau dans les débats avec le rapport d’information [1] de la députée Annie Chapelier, paru cet été. Destinée à préparer les professionnels de demain à répondre à l’évolution des technologies et aux besoins de santé croissants, l'universitarisation porte en elle les ferments d’une réforme profonde. Entretien avec Annie Chapelier et Lionel Collet, Conseiller d’État, à l’initiative de la Grande conférence santé de 2016.

Propos recueillis par Laura Huynh Quang et Ludivine Aubin-Karpinski
universitarisation

Audiologie Demain (AD) : L’universitarisation des formations paramédicales est un sujet évoqué depuis déjà de nombreuses années. Pourquoi sa mise en place prend-elle autant de temps et, surtout, pourquoi est-ce nécessaire ?

Pr Lionel Collet (LC) : L'entrée dans le schéma LMD (licence-master-doctorat) des formations paramédicales est un serpent de mer ; il en est question depuis près de vingt ans. Si elle est peut-être considérée comme une priorité par les étudiants concernés, elle l’est sans doute un peu moins par les professionnels déjà diplômés. Pourtant, c’est un dossier qui devrait être porté avec insistance, notamment par le Collège national d’audioprothèse, dont c’est le rôle (lire l’encadré ci-dessous).

De l’autre côté, le ministère de l’enseignement supérieur dispose de ressources limitées pour ce qui concerne les professions de santé et, parmi elles, l’audioprothèse n’est pas de celles qui concentrent le plus de professionnels ou d’étudiants. Ces deux paramètres conjugués ne concourent pas à mettre une pression suffisante pour que, en haut lieu, on considère ce dossier comme prioritaire.

Or, il serait bon que l’enseignement supérieur achève une remise à plat de toutes ces formations paramédicales pour les faire rentrer pleinement dans le schéma LMD, y compris celles qui présentent de petits viviers d’étudiants comme l’audioprothèse. elles doivent être assurées par les universités, comme le sont celles des médecins, ce que personne ne discute.

Cette universitarisation est nécessaire pour se mettre en conformité avec les accords de Bologne, qui avaient pour objet l’harmonisation des systèmes d’études supérieures européens par l’instauration d’un schéma licence-master-doctorat. Il s’agit de garantir la reconnaissance mutuelle des diplômes et de faciliter la mobilité des étudiants dans d’autres pays ou de permettre la poursuite des études, de manière naturelle, au-delà de la licence. C’est aussi répondre à un enjeu d’homogénéisation des formations paramédicales en France.

Annie Chapelier (AC) : Il existe une telle hétérogénéité dans l’avancement de l’universitarisation des différentes professions paramédicales que cela prend beaucoup de temps. La crise sanitaire a également repoussé certains projets. L’universitarisation de la formation en audioprothèse est l’une des plus avancées ; elle est même quasi achevée, aux dires des représentants syndicaux de cette profession. Selon moi, elle ne le sera véritablement que le jour où les audioprothésistes seront bénéficiaires d’une licence.

L’objectif est précisément d’aller vers une reconnaissance universitaire et une harmonisation européenne. C’est un enjeu majeur. Si l’on veut apporter une offre de soins de qualité, il faut des professions qui soient adaptées à notre époque, à la société, une formation initiale qui soit valorisée par un diplôme universitaire et des effectifs qui correspondent aux besoins.

AD : En quoi le schéma LMD pour les audioprothésistes est-il souhaitable ? Quels sont ses avantages ?

LC : C’est en effet une reconnaissance universitaire. Une vraie universitarisation, ce n’est pas accorder le grade de licence aux diplômés en audioprothèse mais une licence de plein droit. C’est ce qui permet d’obtenir un véritable bac+3 et d’accéder à un master voire à un doctorat. Aujourd’hui, les audioprothésistes peuvent demander à poursuivre leurs études mais cela ne relève que du bon vouloir des universités.

C’est un processus qui ne s’envisage pas sans difficultés. Entrer dans le schéma LMD suppose une réorganisation des formations pour correspondre au système européen de crédits – le fameux ECTS (pour European Credit Transfer and Accumulation System) –, qui permet de valider un diplôme par l’obtention de crédits reconnus et transférables entre pays. Cela signifie revoir la maquette des formations, le nombre d’heures de cours, l’organisation des différents semestres, l’attribution des crédits… autrement dit, reconsidérer la structuration-même de la formation. et, en audioprothèse, elle a vingt ans. C’est donc l’ensemble du référentiel qu’il faut revoir. Tout cela aurait dû se faire depuis longtemps. Il est urgent de se mettre autour de la table…

AC : Un autre enjeu essentiel découlera de l’universitarisation : la recherche. Les professionnels actifs qui se tournent vers la recherche ne peuvent le faire que s’ils sont dans un cycle universitaire. Nous en avons besoin parce que l’approche du soin pour un métier aussi technique que l’audioprothèse nécessite une expérience et une démarche scientifique poussées pour permettre l’innovation, les nouvelles formes d’appareillage ou de technologies.

La recherche participe à tirer vers le haut cette profession qui appartient à un secteur de pointe. elle concourt également à la formation d’un corps d’enseignants, indispensables pour transmettre leur savoir-faire. Cette transmission est essentielle pour la qualité d’une profession.

Schema universitarisation

AD : L’universitarisation engendrera-t-elle une réingénierie des formations ?

LC : C’est majeur. Il s’agit, à ma connaissance, de la seule formation dont la troisième année comporte deux mois pleins sans cours ni stages, théoriquement pour préparer le mémoire… Il y a donc de la place pour la réorganiser, sans difficulté. Le contenu est déjà connu. Les technologies, les connaissances sur l’audition, ses explorations, les indications ont évolué depuis le décret de juillet 2001 qui a instauré le passage à trois ans. La refonte de la formation doit ainsi tenir compte de l’évolution du métier et des besoins de la population. Je n’ai aucun doute que les professionnels sauront se mettre d’accord sur les nouveaux référentiels. Aujourd’hui, trois ans suffisent. Compte tenu du manque d’audioprothésistes, si l’on décidait de prolonger la formation de deux ans, cela signifierait se passer de diplômés pendant ces deux années. Ce n’est pas envisageable. En revanche, un certain nombre de professionnels pourraient poursuivre leurs études pour acquérir, dans le cadre de pratiques avancées ou non, des compétences supplémentaires.

AC : La mission de l’Igas devrait apporter un certain nombre de réponses à cette question. Je suis plutôt confiante sur ce qui en ressortira. Il est évident qu'une adaptation de la formation initiale est nécessaire. Le modèle actuel ne correspond plus aux technologies d’aujourd’hui et aux besoins de la population.

Cependant, l’universitarisation des formations – et celle de l‘audioprothèse en particulier – doit éviter l’écueil d’une théorisation purement intellectuelle, éloignée du patient et des besoins. L’audioprothèse est avant tout un métier du soin, de relation, qui nécessite une formation professionnalisante. Dans son rapport de février 2018 [2], Stéphane Le Bouler ne préconise pas l’universitarisation franche et massive des professions paramédicales car, selon lui, il persiste une incompatibilité entre les formations professionnalisantes et l’universitarisation. Transformer la formation pour que les étudiants passent toutes leurs études sur les bancs de l’université n’a aucun sens. Dans la plupart des pays européens, on peut obtenir un diplôme universitaire à l’issue d’enseignements conjuguant cours et stages. En France, nous devons dépasser cette dichotomie si nous voulons continuer de proposer des formations de qualité.

Un master en audioprothèse, ouvert à une partie des professionnels dans le cadre d’une pratique avancée, ou à l’ensemble de la profession, est une piste évoquée pour améliorer l’offre de soins de la filière auditive.

Annie Chapelier, députée (groupe Agir ensemble) de la 4e circonscription du Gard.

AD : Le rapport prône l’extension de l’exercice en pratique avancée à de nouveaux métiers. Cette évolution serait-elle adaptée en audioprothèse ?

LC : Je suis assez partagé sur l’intérêt des pratiques avancées en audioprothèse. La véritable question qui se pose est celle des compétences supplémentaires que l’on pourrait confier à certains audioprothésistes. Tout audioprothésiste a aujourd’hui une clause de compétence générale. C’est-à-dire qu’ils peuvent appareiller tout le monde, du nouveau-né à la personne très âgée. Je trouve cela anormal alors que l’on exige des ORL qu’ils aient une surspécialisation en audiophonologie pédiatrique pour la primo-prescription de l’enfant de moins de 6 ans. Il faudrait donc restreindre l’exercice des audioprothésistes et confier des compétences supplémentaires pour ceux qui souhaiteraient prendre en charge les enfants, les patients implantés cochléaires, les personnes acouphéniques... Cela pourrait se faire dans le cadre d’une formation supplémentaire sur une ou deux années.

AC : Le prolongement de la formation à 5 ans est réclamé par une partie de la profession. Le rapport Igas doit là aussi s’emparer de la question. Un master en audioprothèse, ouvert à une partie des professionnels dans le cadre d’une pratique avancée, ou à l’ensemble de la profession, est une piste évoquée pour améliorer l’offre de soins de la filière auditive. Il permettrait de répondre à l'enjeu majeur du premier recours en audition en s‘appuyant sur des professionnels spécialisés dans la prise en charge des patients implantés cochléaires, acouphéniques, des enfants... Ces professionnels pourraient réaliser le premier bilan voire prescrire, sans la nécessité systématique de passer par un médecin. Mais, en France, le modèle de pratique avancée, qui n'existe pour le moment que pour les infirmiers, n’est actuellement pas celui d’un accès aux soins primaires avec primo-consultation, primo-diagnostic et primo-prescription. Il permet uniquement le suivi et la prescription sous la responsabilité d’un médecin. Il faut faire évoluer cette notion de pratique avancée dans notre pays. Je vais prochainement déposer une proposition qui remet en question le système tel qu’il est conçu en France, pour se rapprocher d’autres modèles internationaux, plus en adéquation avec le développement des professions de santé dans le monde et ainsi éviter de s’enfoncer dans une singularisation française.

Cependant, le calendrier est complètement bouché jusqu’à juin 2022 car il est suspendu aux élections, qui conditionneront les choix et les orientations que l’on prendra. Avec le rapport de l’Igas, nous pouvons espérer d’ici l’année prochaine des bases solides pour conduire une évolution de la profession, vers une ouverture de l’exercice nécessaire pour la filière auditive.

Les quotas, que j’ai contribué à mettre en place, n’ont aujourd’hui plus de sens.

Le Pr Lionel Collet, Conseiller d’État.

AD : La réingénierie de la formation serait-elle aussi l’occasion de revoir les quotas des professionnels pour assurer l’accès à la réhabilitation auditive ?

LC : Je suis de ceux qui considèrent que la prescription, si elle doit rester médicale, ne peut pas être restreinte aux seuls ORL. Un quart des primo-prescriptions d’aides auditives sont réalisées par des médecins généralistes. Or, ces derniers ne pourront continuer à primo-prescrire qu’après avoir fait une formation en otologie médicale et s’être équipés pour réaliser les bilans nécessaires… Il faut être réaliste, ce ne sera pas suffisant. Pour garantir l’accès à l’appareillage, qui est l’ambition du 100 % Santé, faut-il alors revenir en arrière et permettre à tout médecin de prescrire ou élargir cette possibilité au-delà de l’ORL, par exemple aux pédiatres, aux gériatres, aux neurologues… ? À mon sens, il faudra augmenter le vivier de prescripteurs. et, cela doit rester une prescription médicale.

Admettons qu’il y ait suffisamment de prescripteurs, a-t-on suffisamment d’audioprothésistes ? Pour rappel, personne ne voulait de numerus clausus en 2015, quand est paru l’arrêté fixant les quotas en audioprothèse. Les professionnels, par peur qu’on forme trop d’audioprothésistes ; les grandes chaînes, par peur qu’on n’en forme pas assez. Il y a dix ans, on comptait environ 2 500 diplômés et 500 000 aides auditives étaient vendues chaque année, soit 200 appareils par audioprothésiste. Cette année, ils sont environ 4 300 et on prévoit près de 1,5 millions d’aides auditives vendues, soit 350 appareils par audioprothésiste. En dix ans, nous sommes passés de 200 aides auditives, qui était la quantité indiquée par les professionnels comme leur permettant de garantir la qualité de la prestation et aussi un modèle économique satisfaisant, à 350. Les quotas, que j’ai contribué à mettre en place, n’ont aujourd’hui plus de sens.

Comme l’on forme très bien en France, si nous formons plus, il n’y aura plus besoin d’aller chercher les diplômés ailleurs…

Le Pr Lionel Collet, Conseiller d’État.

Soit, et c’est le sens de l’histoire, on les supprime purement et simplement comme le numerus clausus en médecine, en laissant le soin aux établissements de formation d’évaluer leur capacité d’accueil et à la direction générale de l’ARS ou à une collectivité territoriale de quantifier les besoins du territoire, pour fixer ensemble le nombre de places. Soit, on augmente significativement et dès cette année les quotas. Certains sont contre cette solution mais je suis toujours étonné de constater que l’opposition contre l’augmentation des effectifs vient de ceux-là mêmes qui se plaignent de leur contournement par les formations « espagnoles ». La logique voudrait que, comme l’on forme très bien en France, si nous formons plus, il n’y aura plus besoin d’aller chercher les diplômés ailleurs… on ne peut pas se satisfaire du statu quo actuel. 300 diplômés par an, c’est notoirement insuffisant. C’est une question importante et j’ose espérer qu’elle sera abordée par la mission Igas.

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