Hearables, le futur (présent ?) inévitable de l’industrie auditive

Les écouteurs high-tech pour normo-entendants inspirent les fabricants d’aides auditives. Et inversement… Tant et si bien que les nouveaux projets à l’étude pourraient changer radicalement les aides auditives et notre relation à elles d’ici quelques années.

Par Charline Morange
hearables

À quoi ressemblera l'aide auditive de demain ? Nous sommes à une époque charnière : alors que tous les fabricants ont passé le cap de la restitution d'un son de qualité, à une meilleure compréhension de la parole dans le bruit, l'enjeu est maintenant de dépasser cette fonction première pour offrir d'autres possibilités. Il est déjà possible d’écouter de la musique ou le son de la télévision ainsi que de téléphoner via des aides auditives grâce à leur accès bluetooth aux smartphones. Dès lors, les aides auditives entrent dans la catégorie des hearables. Mais ce n'est qu'un début : à l'instar des téléphones portables devenus smartphones, les aides auditives entendent connaître leur révolution pour devenir des appareils plus intelligents et polyvalents.

Intelligence artificielle

Avec Livio Edge AI , dévoilé le 17 janvier 2020 lors de la Starkey Hearing Innovation Expo, à Las Vegas, Starkey propose un intra-auriculaire doté d'une forme d'intelligence artificielle. « En tapotant deux fois sur l'aide auditive, le patient a accès au mode Edge, qui analyse automatiquement l'environnement et propose plus de confort, argue Christophe Micheyl, directeur Europe de la recherche chez Starkey. Edge offre de nouvelles fonctionnalités ; le patient peut notamment faire un réglage par une commande vocale. Le moteur apprend ensuite par lui-même à reconnaître le type de demande dans le langage naturel. » Et si la personne n'est pas satisfaite du son restitué, elle peut revenir au mode précédent en tapotant à nouveau. Progressivement, le système apprend les préférences du patient et propose des réglages en fonction des choix précédents. Même orientation chez GN Hearing : « Tous nos produits bénéficient de l'intelligence artificielle pour changer de programme à la voix depuis le CES de Las Vegas en 2018, avance Jean-Baptiste Lemasson, directeur Audiologie chez GN Hearing France. Le patient peut créer un programme favori et le sauvegarder en lui associant une géolocalisation : ainsi, lorsqu'il retournera à cet endroit, le programme lui sera immédiatement suggéré. » Widex aussi a doté ses aides auditives d’intelligence artificielle, grâce à la technologie SoundSense Learn : les utilisateurs notent les programmes proposés en fonction de l’environnement sonore, ce qui nourrit un réseau d’apprentissage. Au fur et à mesure, les programmes suggérés deviennent plus pertinents.

Biosurveillance

Mais ce n'est pas tout : portée près de douze heures par jour dans un organe clé pour mesurer de nombreux paramètres biologiques, l'aide auditive est un appareil idéal pour des fonctionnalités médicales. D’ores et déjà, « l'aide auditive peut servir de biomonitoring, explique Christophe Micheyl. Depuis Livio AI , elle détecte la chute et émet un message dans l'oreille du patient ; s'il ne répond pas, elle envoie un message jusqu'à cinq personnes choisies auparavant pour les prévenir. » Chez GN Hearing, la biométrie est perçue comme le secteur d'avenir : « Les capteurs de biométrie intéressent de plus en plus de monde, affirme Jean-Baptiste Lemasson. On le sait grâce à notre branche grand public de la marque Jabra, dont la clientèle est plutôt sportive et adepte d'écouteurs capables d'analyser le rythme cardiaque, la capacité respiratoire etc. C'est sur ce secteur-là que les deux branches du groupe GN vont se rejoindre. Les hearables, ce sont nos lunettes de soleil : ils seront portés sans besoin de correction. » Et pour cause : l'oreille est un vrai centre d'informations médicales. Outre l'équilibre et le rythme cardiaque, on peut y mesurer le taux de sucre dans le sang (intéressant pour les personnes diabétiques) ainsi que la température, deux secteurs qu'il reste à investir. De plus, « l'aide auditive devient un véritable outil de santé connectée qui peut notamment servir à suivre l'activité cognitive de celui qui la porte, poursuit Christophe Micheyl. Or nous savons que les personnes malentendantes sont particulièrement exposées au risque de déclin cognitif. Aujourd'hui, nous avons les moyens d'analyser l'environnement acoustique (paroles, musique, bruit) d'une personne : ainsi, nous pouvons déduire que si elle est dans le calme pendant huit heures chaque jour, cette personne est peu stimulée cognitivement. Les progrès en intelligence artificielle vont nous permettre d'affiner la caractérisation des modes de vie afin de détecter les crises dues à des pathologies neurologiques ou psychiatriques. ».

Les hearables, ce sont nos lunettes de soleil : ils seront portés sans besoin de correction.

Jean-Baptiste Lemasson (GN Hearing)

En outre, des dispositifs intra-auriculaires, par exemple ceux développés par les ingénieurs d’Oticon au centre de recherche Eriksholm, sont déjà capables de capter l’activité cérébrale (EEG).

Traduction instantanée

Autre secteur d'avenir : la traduction instantanée. Les plus hightech des aides auditives, comme les Livio AI de Starkey, proposent actuellement des traductions via la technologie embarquée dans le smartphone (type Google Translate). « L'idéal serait d'arriver à une traduction instantanée et indépendante du téléphone, reconnaît Jean-Baptiste Lemasson, mais pour l'heure le problème est l'énergie que cette puissance de calcul requiert. » Avec des aides auditives toujours plus discrètes, quasi invisibles, il est impossible de disposer d'une grosse batterie. Mais si un système plus imposant, ressemblant à un Airpod (les écouteurs sans fil d'Apple) ou à une oreillette, parvenait à se démocratiser, le champ des possibles serait alors incroyablement élargi. Un projet qui enthousiasme Jean-Baptiste Lemasson : « On peut se lancer dans ces projections ! Cela passera certainement par un public jeune d'abord, via notre branche Jabra, et il faudra ensuite attendre une génération pour que les malentendants l'acceptent à leur tour. »

Et dans un futur encore plus lointain, pourrait-on imaginer une aide auditive qui ne se contente pas simplement de mesurer mais aussi de « soigner » ? Rééquilibrer les personnes afin d'éviter les chutes, les stimuler cognitivement, leur injecter des traitements via des implants cochléaires… « Il y a actuellement des essais cliniques pour faire passer des traitements en injection via les implants cochléaires. Si tout le monde avait un implant, pour avoir une audition augmentée, on pourrait tous en bénéficier », sourit Jean-Baptiste Lemasson.

Les chemins se croisent entre les marchés de la santé et du bienêtre. En témoigne la quantité de brevets déposés par les marques high-tech dans le domaine de l’audition. Il y a fort à parier que ces fabricants feront prochainement une incursion dans l’univers de la santé auditive. Et vice versa ?

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