Audiologie Demain : Pourquoi avoir choisi le sujet des « devenus sourds » ?
Fanny Germain : J’ai été confrontée à la problématique des devenus sourds en rencontrant par hasard Jérôme, l’audioprothésiste qui apparaît dans le documentaire. Quand il m’a révélé qu’il était sourd, j’étais déconcertée, car j’avais en tête, comme beaucoup de personnes, le cliché des sourds qui ont des difficultés à parler, ce qui n’était pas son cas. Le contraste entre ce que les entendants perçoivent du monde sonore et ce que les sourds ou malentendants vivent réellement m’a intéressée.
Le format du documentaire s’est imposé pour permettre une immersion dans ce monde tel que, moi, je l’ai ressenti.
AD : Vous présentez dans votre documentaire quatre personnes devenues malentendantes. Comment les avez-vous choisies ?
FG : Je voulais montrer une pluralité de situations et de pathologies. Jérôme est un audioprothésiste, atteint de surdité depuis l’âge de onze ans à la suite d’une méningite, Solène, employée au Messageur*, a compris à dix-huit ans qu’elle n’entendait plus très bien, Gwennola est devenue sourde à la suite d’un accident et Gerald d’une maladie. Chaque personnage porte une histoire particulière et incarne une difficulté à laquelle les sourds ou malentendants peuvent être confrontés : le regard des autres, le déni du handicap, le déni de la famille... Je souhaitais mettre en lumière des portraits qui inspirent l’empathie. Ce qui m’a le plus marquée chez mes quatre personnages, c’est leur résilience, leur auto-dérision et leur humour. Dans mon film, ils ne se voient pas comme des victimes, mais comme des héros du quotidien, en tout cas c’est ainsi que je les ai traités.
AD : Pourquoi ce basculement dans le monde de la surdité était-il un moment important à mettre en avant ?
FG : C’est un sujet très peu traité. L’objectif était de montrer une catégorie de sourds ou malentendants assez peu visibles, car ils viennent du monde des entendants et ont la volonté d'y rester.
À travers le parcours de Jérôme, j’ai découvert les difficultés à participer à une conversation en groupe, par exemple. On oublie vite ces problématiques car l’oralisation des devenus sourds est très bonne et ils sont souvent bien inclus dans la société. Les parents de Gwennola, par exemple, ont cru pendant deux ans que leur fille n’était pas vraiment sourde et qu’elle jouait la comédie. Gerald, avocat, a renié sa surdité pendant trente-cinq ans et est passé maître dans l’art du déchiffrage pour continuer à exercer son métier avant de décider finalement de s’appareiller. Aujourd’hui, Gwennola et Jérôme sont implantés.
AD : Vous proposez au spectateur de découvrir ce qu’entendent vos personnages à l’aide d’effets acoustiques.
FG : J’ai demandé aux protagonistes mais également aux autres sourds ou malentendants que j’ai rencontrés de décrire ce qu’ils entendaient. Je me suis appuyée aussi sur mes recherches et celles de l’équipe médicale de l’hôpital Rothschild. J’ai donc élaboré avec un designer sonore et un ingénieur du son ces effets acoustiques. Cependant, aucun sourd ou malentendant ne possède la même perception ni est capable de décrire précisément ce qu’il entend. Je souhaitais ainsi dépeindre le monde intérieur des sourds ou malentendants et que le spectateur soit émotionnellement et sensoriellement immergé dans cet entre-deux-mondes.
* Le Messageur est une entreprise coopérative qui s’engage pour l’accès des personnes malentendantes à la communication, notamment dans le secteur professionnel.