Vous êtes la première personne en situation de handicap nommée à la présidence du CNCPH et à laquelle vous avez été reconduit. Vous avez aussi instauré un quota de personnes en situation de handicap dans le bureau. Pourquoi est-ce important à vos yeux ?
J’ai été nommé à ce poste non pas parce que j’étais député ou sénateur en phase avec le gouvernement, mais parce que j'ai à mon actif un engagement et une représentation de personnes sourdes, fort en plus de ma propre expérience, étant moi-même concerné. Puis j’ai été confirmé alors que mon attachement à la représentation des personnes en situation de handicap au sein de cette instance était connu. Ce qui veut dire qu’elle était probablement partagée.
Au cours de mon premier mandat, j’ai animé de nombreuses réunions. Beaucoup de monde y assistait, apportant pas mal de recommandations et d’idées. Mais les personnes directement concernées, elles, étaient absentes de ces discussions.
Mon arrivée au CNCPH il y a trois ans, avec celles d’autres personnes concernées, a montré une volonté de changer les choses mais nombre d’entre elles ont abandonné le projet en cours de route. Il fallait donc être plus radical. Nous avons ainsi proposé de modifier les règles. Entretemps, le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU a relevé plusieurs points qui montraient que la France n'appliquait pas correctement la Convention internationale des droits des personnes handicapées. Et notamment que ces dernières ne prenaient en effet pas assez part au processus de co-construction des politiques publiques en matière de handicap.
Je préconisais ainsi que 100 % des membres soient des personnes concernées directement ou indirectement (membre de la famille) ; ce sera 80 %*. C'est déjà une avancée.
Est-ce que cela veut dire que les personnes non handicapées représentent mal les personnes handicapées ?
Ce n’est pas qu’elles les représentent mal, mais qu’elles ne les représentent pas. Elles ne sont pas mal intentionnées, mais ce fonctionnement est obsolète aujourd’hui. Ça ne signifie pas non plus que chacun ne peut pas parler de handicap ou s’insurger quand le droit des personnes handicapées n’est pas respecté. Mais la représentation, c’est un autre propos.
Dans le cadre de la réforme du 100 % Santé, les personnes sourdes ou malentendantes ont-elles été assez incluses dans les discussions ?
Non, pas du tout. On observe un déficit de représentation important des personnes sourdes. Il y a une sorte de fatalisme et de résignation, peut-être aussi parce que la situation des personnes sourdes s'est améliorée, il faut le reconnaître. C’est aussi dû au rapport au handicap auditif, qu’on a tendance à vouloir cacher. Ce n’est pas facile de s’engager pour une cause dont on ne veut pas parler.
Mais il y a aussi de bonnes nouvelles comme l’acculturation croissante des associations de personnes sourdes ou de patients à la démocratie sanitaire. Le 100 % Santé est une réforme de santé, alors qu’historiquement la surdité a plutôt été tenue éloignée de ces sujets. Des associations comme France Assos Santé font avancer les choses dans ce sens.
On ne peut pas nier la révolution que représente le 100 % Santé en audiologie. On a aujourd’hui la preuve qu’il fallait le mettre en place. En revanche, on s’est complètement assis sur la situation – pas majoritaire mais réelle – des sourds profonds.
Qu’aurait-il fallu faire pour que cette réforme soit vraiment adaptée aux sourds profonds ?
Que les règles de la réforme s’adaptent à la réalité du coût des équipements qui sont nécessaires quand on est atteint de surdité profonde.
En plus, paradoxalement, la réforme a entraîné le désengagement de financeurs qui, modestement, intervenaient dans le parcours du combattant des sourds, auprès desquelles ces derniers se tournaient pour obtenir un petit financement. Et aujourd’hui ce parcours du combattant est maintenu pour ces personnes. C’est un vrai trou dans la raquette, et c’est incompréhensible. J’espère qu’on arrivera à convaincre les décideurs qu’il faut traiter de ce sujet maintenant.
On a réussi à mettre en place le 100 % Santé en peu de temps, je ne vois pas pourquoi on ne parviendrait pas à régler ce problème rapidement, d’autant que cela a une incidence importante pour les personnes concernées.
Je sais que la Fondation pour l’audition a fait un travail remarquable auprès des associations dans un souci de mobilisation collective et de cohésion pour interpeller le ministère de la Santé, les audioprothésistes et toutes les parties prenantes. C’est une confirmation de l’intérêt de l’espace de travail et de collaboration que représente cette fondation.
L’accessibilité n’est pas un concept fumeux, c’est factuel et normé. Soit c’est accessible, soit ça ne l’est pas.
Dans votre discours à la Conférence national du handicap, qui s’est tenue le 26 avril 2023, vous avez rappelé tous les manquements, en France, notamment en termes d’accessibilité. En fait, notre pays est hors-la-loi !
C’est exactement ça. En 1975 ont été posées les bases de ce que devait être l’accessibilité en France. L’accessibilité, c’est quoi ? C’est faire en sorte que l’environnement dans lequel on est, quelles que soient les contraintes, soit adapté. Dans le cas contraire, on se retrouve en position de handicap. L’inaccessibilité est donc le résultat, non pas de la déficience, mais de l’inadaptation de cet espace commun. D’où l’importance, l’urgence même, d’obtenir cette règle d’accessibilité. De la voirie, des bâtiments, des modes de transport, mais aussi des supports de communication. L’accessibilité n’est pas un concept fumeux, c’est factuel et normé. Soit c’est accessible, soit ça ne l’est pas.
En France, il y a un phénomène que je ne m’explique pas : on a beau mettre tout ce qu’il faut dans la loi, on peut s’en affranchir. Et en toute impunité. Et pourtant, quand on a un handicap, on a parfois intérêt à être dans notre pays plutôt qu’ailleurs. Mais ici, on manifeste, on gueule, on fait des belles lois, et puis rien. C’est impressionnant ! Cela contribue à maintenir l’exclusion et remet en question l’effectivité de la loi, et ça pose un problème de confiance dans le débat public. On a déjà tout retripatouillé en 2014, pour revenir sur la loi de 2005 et afin de mieux expliquer, de clarifier, on a reporté l’application en 2024... Mais cette fois-ci, pas question de reporter une nouvelle fois. Je ne souhaite pas développer une accessibilité punitive, mais à un moment, il faut contraindre les acteurs. C’est primordial car l’accessibilité est la première étape, la condition de toutes les politiques publiques que l’on souhaite ensuite développer.
Il y a eu une première réponse du président de la République lors de la CNH 2023, qui a fait de l’accessibilité un des cinq grands axes de travail. Il y aussi la promesse d’une accélération de sa mise en place grâce aux Jeux olympiques de 2024. On attend de voir... Charge à nous de rester très pédagogues et convaincants sur la diversité des canaux et des modalités d’accessibilité à développer pour prendre en compte toutes les situations. Mais certaines choses ont bien progressé, comme l’accessibilité audiovisuelle, la téléphonie. Ce sont des réussites.
La boucle magnétique est l’un des meilleurs exemples qui soient pour illustrer le mépris à l’égard des règles de l’accessibilité.
La boucle magnétique est un outil qui permet l’accessibilité des sourds ou malentendants. Mais on ne la trouve pas partout.
Ce sujet est l’un des meilleurs exemples qui soient pour illustrer ce mépris à l’égard des règles de l’accessibilité. Il y a moins de boucles magnétiques aujourd’hui que par le passé, alors que c’est inscrit dans la loi. On a laissé dire longtemps que c’était compliqué, que ça ne marchait pas, que les gens n’en voulaient pas, qu’elle causait des interférences dans les cinémas... On nous dit qu’aujourd’hui il existe des solutions individuelles, des applications smartphones, etc. Mais rien ne vaut pas la boucle magnétique réglée convenablement. Les dispositifs individuels vont à l’encontre de la logique d’accessibilité, qui est de faire en sorte que ce soit l’environnement qui soit adapté, de façon à ce que les personnes concernées n’aient pas à le réclamer à titre individuel. À Paris, un grand nombre de salles de cinéma annoncent disposer de la boucle magnétique, mais quand on se rend sur place, elle n’est pas installée, elle est dans le placard... C’est un sujet qui m’agace.
Cela montre aussi que l’offre de service n’a pas suivi. Et la réalité, c’est que les audioprothésistes, dans leur majorité, ne font pas non plus le boulot de prérégler ou pré-équiper les prothèses pour que les personnes s’éduquent à l’utilisation de cette fonction. On mise tout sur les micros déportés et autres dispositifs individuels, qui sont très bien, mais qui doivent venir en complément et non à la place de la boucle magnétique.
Parmi les chantiers à venir, et qui concernent de près les sourds ou malentendants, il y a celui de l’école.
Depuis 2005, il y a une croissance exceptionnelle d’enfants qui revendiquent leur handicap. Dans le même temps, l’idée qu’il pourrait y avoir des écoles « sur le côté » pour ce public refait surface, sous la pression de syndicats d’enseignants, de parents d’élèves... Est-ce que la réponse à une situation compliquée est l’exclusion ? Je ne crois pas. Il faut faire réadhérer au principe de la promesse républicaine de l’école pour tous. Pour cela, il faut accélérer ce mouvement, qui est encore beaucoup trop timide, de transfert des ressources spécialisées du médico-social dans l’environnement ordinaire de l’éducation. Et il faut que ce soit irréversible. C’est à partir de l’école ordinaire que les choses doivent s’organiser, même si on n’a pas encore trouvé la réponse à tout.
Plus particulièrement, pour les personnes sourdes, c’est la reconnaissance du droit à un environnement linguistique adapté au choix qu’on a fait. Pour cela, il faut une mutualisation des ressources, au niveau académique ou départemental, afin que les élèves puissent aller dans l’établissement de leur secteur, et être à chaque fois dans un environnement adapté à leur choix. C’est la même chose pour l’université, il faut qu’on accepte que cette accessibilité passe aussi par une mutualisation localisée.
* Le CNCPH sera composé de trois collèges. Le premier (60 %) constitué de représentants d’associations de patients (qui doivent elles-mêmes avoir une majorité de personnes handicapées dans leur gouvernance). Le deuxième (20 %), constitué de membres de famille de personnes en situation de handicap. Le troisième (20 %) regroupe les autres personnes.