« L'ambition d'EssilorLuxottica est de contribuer à élargir le marché en audio »

Pourquoi le géant de l’optique se lance-t-il aujourd’hui sur le segment de la santé auditive ?

EssilorLuxottica est né de l’union entre Essilor, expert en verres correcteurs, et Luxottica, créateur de montures iconiques comme Ray-Ban, Oakley... Ce rapprochement s’est construit autour d’un ADN commun, l’innovation. Ensemble, ils se sont fixé une mission – éradiquer le mal voir d’ici 2050 –, pour laquelle ils consacrent d’importants investissements en R&D. Mais le groupe va plus loin, car bien voir participe du mieux vivre. Et les lunettes ne se limitent plus à corriger la vue ; elles deviennent des assistants de vie, embarquant des technologies au service du bien-être. C’est le cas des lunettes connectées Ray-Ban Meta, fruit d’un partenariat avec Meta. Avec les lunettes Nuance Audio, EssilorLuxottica franchit une nouvelle étape, en proposant une solution 2-en-1, à la croisée de la vue et de l’audition.

Pouvez-vous nous les présenter ainsi que leur fonctionnement ?

Ce sont des lunettes aux super pouvoirs, alliant correction visuelle et confort auditif dans un design élégant, destiné à convenir au plus grand nombre. Fruit du rachat de la startup Nuance Hearing en 2023, elles intègrent 6 micros directionnels, captant les sons vers lesquels l’utilisateur dirige son attention, et 2 haut-parleurs dans les branches. Ces lunettes ne sont pas des aides auditives mais un assistant d’écoute, délivrant une amplification jusqu’à 20 dB, à 4 000 Hz, conçu pour les personnes souffrant d’inconfort auditif, notamment dans les environnements bruyants. Proposées en deux modèles intemporels (Square ou Panthos), trois tailles et deux coloris (noir ou bordeaux), elles sont commercialisées au prix conseillé de 1 100 euros.

Leur fonctionnement est simple : grâce à une application mobile intuitive, l’utilisateur peut facilement personnaliser son expérience avec 4 préréglages d’amplification, un réducteur de bruit de fond, un contrôle de volume et le choix entre un mode frontal ou 360° pour s’adapter à chaque situation.

Quel est le potentiel sur le marché français ?

Nous avons lancé Nuance Audio avec l’objectif de répondre aux personnes, toutes classes d’âge confondues, qui ressentent une gêne auditive dans les environnements bruyants mais ne se reconnaissent pas dans les solutions traditionnelles. Nuance a pour mission d’adresser les tout premiers signes d’inconfort liés notamment à la presbyacousie et nous ambitionnons qu’il soit un moyen de questionner sa santé auditive. Alors que le marché de la vision est mature – 95 % des Français ayant déjà fait tester leur vue et 75 % portant des lunettes –, nous avons observé que celui de l'audition reste largement sous-équipé, malgré des besoins croissants. Selon une enquête menée par Ipsos pour EssilorLuxottica*, 44 % n’ont jamais réalisé de test auditif. Pourtant, 22 % des adultes déclarent souffrir d’un trouble auditif, soit plus de 10 millions de personnes, dont près de la moitié présentent une perte légère à modérée. En effet, malgré les progrès techniques réalisés dans leur miniaturisation, le tabou reste fort.

Nous travaillons avec les syndicats d’audioprothésistes et d’ORL sur un parcours de soins coordonné, avec des outils clairs d’aide à la décision.

Quel impact ces lunettes peuvent avoir sur le secteur de l’audition ?

L’innovation peut transformer les usages, comme nous l’avons vu dans l’optique avec la myopie infantile. Grâce aux verres freinateurs et à d’importantes campagnes de sensibilisation, nous sommes passés de 0 à 18 % d’enfants équipés en cinq ans. Nous pensons que l’arrivée de Nuance Audio peut déclencher une dynamique similaire en audition. L’ambition d’EssilorLuxottica n’est pas de concurrencer les aides auditives classiques, mais de contribuer à élargir le marché en audio, comme l'entreprise a su le faire en optique, en apportant une réponse technologique simple, accessible et non stigmatisante. C’est une première marche, en amont du parcours de soin, qui peut encourager une prise en charge plus précoce et démocratiser l’accès à la santé auditive.

Où en êtes-vous de leur déploiement et envisagez-vous de les vendre via les audioprothésistes ?

Lancé en mai 2025, Nuance Audio est déjà disponible chez 1 500 opticiens. Nous visons 2 300 points de vente d’ici la fin de l’année.

Le modèle est ouvert : qui veut les vendre le peut, aussi bien des magasins GrandVision appartenant à notre groupe (Générale d'Optique et GrandOptical), que les autres enseignes ou magasins indépendants, nos partenaires.

Nous travaillons aussi à l’extension de la distribution aux audioprothésistes. Des discussions sont en cours avec les syndicats du secteur et certaines enseignes. Nous devrions pouvoir déployer le produit rapidement. L’idée est de renforcer les passerelles entre opticiens, ORL et audioprothésistes, dans une logique de parcours de soin cohérent et non de simple démarche commerciale. Les lunettes Nuance Audio peuvent être vendues avec ou sans correction visuelle.

Comment les opticiens identifient-ils les bons candidats ?

Les opticiens ne sont pas là pour poser un diagnostic – ils n’en ont ni la formation ni les outils. Leur rôle, c’est d’ouvrir la discussion, de sensibiliser et surtout de repérer les signes qui doivent alerter. Certains intègrent Nuance Audio dans leur démarche santé, d’autres les proposent lors de la remise de verres progressifs ou systématiquement à partir d’un certain âge.

Quid du parcours de soin avec ce dispositif ?

Notre ambition est de créer un nouvel accès à la santé auditive, complémentaire et coopératif avec les acteurs traditionnels, sans jamais masquer d’éventuelles pathologies qui nécessiteraient une prise en charge médicalisée.

Nuance Audio est un dispositif médical de classe IIa et en aucun cas un simple gadget. Sa distribution repose sur une approche responsable et encadrée. Les opticiens partenaires doivent suivre une formation – en ligne via notre plateforme Leonardo et en présentiel – et faire remplir à leur client un questionnaire validé par les sociétés savantes, pour être en capacité d’identifier une gêne auditive ainsi que les signaux d’alerte. Au moindre doute, ils doivent orienter les clients vers un médecin généraliste ou un ORL. C’est une démarche qu’ils ont déjà intégrée depuis des années pour la santé visuelle et les opticiens déjà positionnés en audition savent naturellement créer ces passerelles.

Nous travaillons actuellement avec les syndicats d’audioprothésistes et d’ORL pour structurer un véritable parcours coordonné, avec des outils clairs d’aide à la décision et des critères d’alerte. Nous pensons que notre approche peut contribuer à une meilleure détection des troubles auditifs, notamment chez les personnes qui n’ont jamais fait tester leur audition.

Mais, avec la communication autour du produit, certains viendront sans doute avec des attentes élevées...

Notre discours est très clair. Les lunettes Nuance Audio ne corrigent pas une perte auditive mais apportent un soutien pour converser dans les environnements bruyants. Ce produit étant déstigmatisant, les gens en espèrent beaucoup, mais il n’apportera jamais plus que 20 dB. En attendre l'efficacité d'une aide auditive pour des pertes modérées à fortes ne peut qu’être déceptif ; ce n’est vraiment pas notre objectif. Il faut le positionner pour ce qu'il est, sans faire de surpromesse.

Quel accueil vous ont réservé les acteurs de l’audition ?

Notre démarche responsable, loin du modèle direct-to-consumer, est plutôt bien comprise par les acteurs de la filière auditive. Ils voient en Nuance Audio un outil de sensibilisation efficace, capable de toucher une population aujourd'hui non équipée et qui, de toute façon, refuse de porter des aides auditives en première intention. Les ORL sont attentifs à la construction d’un parcours de soins pertinent. Ils apprécient le fait que nous apportions une solution adaptée aux personnes qui, jusqu’à présent, s’entendaient répondre qu’il était « trop tôt » pour s’appareiller...

Y aura-t-il un jour des aides auditives EssilorLuxottica ?

À date, ce n’est pas à l’ordre du jour. En revanche, l'acquisition de Pulse Audition en 2024 nous permettra à terme d’optimiser encore le rendu sonore de nos lunettes grâce à l’intelligence artificielle.

Avez-vous des velléités de racheter un réseau d’audio pour disposer de votre propre canal de distribution ?

Nous nous concentrons sur le lancement de Nuance Audio, et nous apprenons tous les jours. Je dois dire que cela nous occupe déjà bien !

* sur un échantillon de 1 000 personnes âgées de 18 à 75 ans, mars 2025.