Les traitements destinés à l’oreille interne pourront-ils bientôt bénéficier du principe de la projection de microgouttelettes qu’utilisent les imprimantes à jet d’encre ? La réponse est oui si l’on se fie aux premiers résultats des travaux dirigés par le Dr Damien Bonnard et le Pr Raphaël Devillard. Depuis 2020, le premier coordonne le projet BIOIMPRESS en collaboration avec le laboratoire Inserm BioTis, spécialisé dans la bioimpression assistée par laser. L’objectif est de développer une solution inédite pour délivrer des agents thérapeutiques dans l’oreille interne. « Le terme bioimpression s’est imposé car toute la terminologie est dérivée de l’imprimante, avec notamment le terme encre désignant la substance d’intérêt qui, dans notre cas, est un médicament », précise Damien Bonnard, par ailleurs responsable de l’équipe d’implantologie cochléaire du CHU de Bordeaux.
À la force du laser
La première étape vers cette solution visant une administration ciblée et atraumatique a consisté à mettre au point un prototype adapté à l’oreille interne du modèle murin. Initialement développé pour la reconstruction de tissus par superposition de couches de cellules – comme le ferait une imprimante 3D –, le principe de la bioimpression assistée par laser a été modifié pour permettre la projection de substances médicamenteuses dans l’oreille interne. « Le laser fournit l’énergie servant à expulser la goutte d’encre : il traverse une lame de quartz sur laquelle est disposée une pellicule d’or enduite d’encre – le médicament sous forme liquide ou de gel – et, en pulvérisant la couche d’or, il crée une chaleur locale provocant une cavitation qui éjecte une gouttelette d’encre vers la membrane de la fenêtre ronde », détaille le chercheur. L’énergie cinétique impulsée par le laser fait passer l’encre à travers la membrane de la fenêtre ronde.
Une première publication [1] a validé la preuve de concept avec la dexaméthasone. « L’étude a montré que notre dispositif permet d’obtenir une concentration de corticoïde dans la cochlée comparable à celle qui résulterait de l’injection du produit à travers le tympan mais en utilisant une quantité de substance 10 000 fois inférieure », insiste l’ORL.
Efficace et atraumatique
Plus efficiente qu’une injection transtympanique, la bioimpression présente également un gros avantage sur l’injection intracochléaire directe. Au contraire de cette dernière, elle ne fait pas courir le risque de lésion dû à la perforation de la membrane de la fenêtre ronde par une aiguille. « Avec notre approche, nous nous situons entre l’injection transtympanique et l’injection intracochléaire : nous disposons d’un contrôle beaucoup plus précis de la quantité administrée par rapport à la première alors que le risque encouru pour les structures neurosensorielles est bien moindre que dans le cas de la seconde », synthétise le Dr Bonnard. Un argument de poids dans la perspective du traitement de surdités moyennes ou de traitements préventifs dont le mode d’administration ne devra pas endommager les cellules encore fonctionnelles.
Les chercheurs devront confirmer que le procédé est applicable à des molécules plus grosses, notamment les vecteurs viraux utilisés pour transporter les thérapies géniques. Pour cela il s’agira d’adapter les caractéristiques du laser qui induit la projection de l’encre. « L’énergie cinétique que le laser impulse doit être suffisante pour que la substance traverse la première couche de la membrane – un peu comme cela se produirait pour un tatouage –, car, une fois cette barrière franchie, la diffusion à travers les autres couches se fait facilement », explique le Dr Bonnard.
La thérapie génique n’est toutefois pas l’unique cible de l’équipe qui envisage un système polyvalent. « Nous souhaitons positionner le futur dispositif comme un nouvel instrument d’administration des thérapies dans la cochlée, également adaptable pour des thérapies cellulaires et des médicaments », anticipe le médecin. Un projet à suivre de près mais qui fait d’ores et déjà belle impression !