Après Charles Liberman l’an dernier et Robert Zatorre en 2021, c’est Barbara Canlon qui se voit cette année attribuer le Grand prix scientifique de la Fondation pour l’audition. « Merci beaucoup pour cet honneur et cette récompense, cela signifie beaucoup pour moi, pour mon laboratoire et pour les recherches que nous y faisons », a-t-elle commenté à l’annonce de ce prix, à Paris, en novembre 2023.
Professeure de physiologie de l’audition à l’Institut Karolinska de Stockholm et membre de l’Académie des Sciences suédoise, la chercheuse – d’origine américaine – est notamment connue pour avoir, avec son équipe et dès 2014, mis en lumière l’existence d’une mécanique moléculaire circadienne au sein de la cochlée, se manifestant par le biais d’une physiologie différente selon le moment de la journée. Le groupe de recherche a ainsi démontré qu’une partie des gènes régulant la signalisation cellulaire, la sécrétion d’hormones et l’inflammation dans la cochlée sont soumis à un rythme circadien et un pic d’expression nocturne qui rendent l’organe plus sensible à l’exposition au bruit la nuit. « Ce furent les expériences parmi les plus excitantes de ma carrière », confiait-elle lors de la remise des prix.
Une découverte de poids tant pour la prévention des pertes auditives que dans la perspective de la chronothérapie appliquée aux traitements médicamenteux de l’oreille interne. Une voie qu’a commencé à explorer l’équipe de Barbara Canlon. En 2019, une étude a montré que la dexaméthasone, un glucocorticoïde utilisé pour traiter certaines surdités brusques, est plus efficace quand elle est administrée de jour, alors que le cisplatine, un anticancéreux courant, cause des dommages plus marqués aux synapses auditives lorsqu’il est injecté la nuit.
Neuro-endocrinologie auditive
Autre thème d’intérêt du groupe : les traumas acoustiques. Dès les années 1990, les travaux menés au sein du laboratoire de Barbara Canlon avaient mis en évidence la motilité des cellules ciliés externes, c’est-à-dire leur aptitude à se déformer sous l’effet des sons. Une connaissance qui a permis de montrer plus tard que ces cellules bénéficiaient d’une résistance accrue aux traumas acoustiques lorsqu’elles étaient soumises au préalable à un « entraînement » aux stimuli sonores. Derrière cet effet de conditionnement protecteur, les chercheurs ont démontré le rôle de facteurs neurotrophiques – telle la neurotrophine 3. Ces études ont ouvert le champ de la neuro-endocrinologie auditive.
La chercheuse s’est encore distinguée en 2023 dans une étude publiée avec la neuroscientifique danoise Maiken Nedergaard et qui détaille pour la première fois l’utilisation de l’aqueduc cochléaire pour une thérapie génique chez la souris. Injecté dans le liquide céphalo-rachidien, le virus adéno-associé porteur de la protéine réparatrice a pu atteindre l’oreille interne via l’aqueduc cochléaire sans qu’il soit nécessaire de recourir à une chirurgie, option qui fait peser un risque sur les structures de la cochlée.
Avec Barbara Canlon, le Grand prix scientifique 2023 de la Fondation pour l’audition récompense un parcours scientifique interdisciplinaire remarquable, aux confins de champs aussi divers que l’audiologie, la génétique, l’épidémiologie, la pharmacologie ou encore les nanotechnologies.