29 Octobre 2024

« La France a le modèle de financement des aides auditives le plus favorable »

L’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) a récemment publié, dans ses Questions d’économie de la santé, les résultats d’une étude comparant le système de financement des aides auditives de quatre pays d’Europe, dont la France. Retour sur les principaux enseignements, avec Sylvain Pichetti, directeur de recherche à l’IRDES et premier auteur de ces travaux.

Propos recueillis par Bruno Scala
medaille paris

Vous avez récemment publié une analyse comparant différents modèles de financement des aides auditives et leur accessibilité [1]. Qu’est-ce qui a motivé votre intérêt et celui de l’IRDES pour ce thème ?

Cette étude s’inscrit dans un projet plus large, baptisé Compatec, qui vise à comparer la solvabilisation de différentes aides techniques : les fauteuils roulants, les aides visuelles (loupes, afficheurs Braille, etc.) et les aides auditives.

Pourquoi les aides auditives ? Parce que selon les pays, le taux de recours aux aides auditives est assez variable : en 2022, il était de 34 % en Belgique, 37 % en Suède, 46 % en France, et 53 % au Royaume-Uni. Il nous a paru intéressant d’analyser les causes de ces différences.

Pourquoi ces quatre pays ?

Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ils sont relativement comparables à la France, et ont fait l’expérience récente de réforme dans les différents secteurs étudiés dans le cadre du projet Compatec. La Belgique et l’Angleterre avec les fauteuils roulants notamment, la Suède a lancé sa réforme du libre choix pour les aides auditives, et en France, le 100 % Santé a été lancé.

Les modèles sont-ils différents d’un pays à l’autre ?

Il y a deux grands systèmes. L’un est basé sur la distribution privée, c’est le modèle de la France et de la Belgique. En France, l’offre est scindée en deux paniers, tandis qu’il n’y a pas de régulation en Belgique. Quant au financement, il est également différent. En Belgique, il repose sur la solidarité nationale. Il existe des complémentaires santé, mais pas sur le poste des aides auditives pour adulte. En France, le financement est mixte.

L’autre système repose sur une distribution publique. Le reste à charge est nul ou très faible. Mais en contrepartie, on observe un manque de diversité de l’offre et une moindre qualité des aides auditives. En Angleterre, le catalogue est le fruit d’un appel d’offres à l’échelle nationale auquel répondent les fabricants. Ce système permet de négocier les prix. En Angleterre, une aide auditive coute ainsi 50 € environ. On peut être ébloui par ce prix au premier abord, mais avec le suivi, il faut compter 420 €, aux frais du NHS. Autre inconvénient de ce système, c’est que, selon les experts que nous avons interrogés, l’offre accuse un retard technologique de 10 ans environ. En outre, le NHS ne propose que des contours d’oreille non rechargeables, ce qui ne correspond pas aux attentes des patients.

En Suède, le modèle fonctionne également par appels d’offres, mais régionalisés, ce qui ne permet pas de négocier aussi bien les prix. En outre, cela entraine une forte disparité de l’offre en fonction des régions.

Par ailleurs, ce système public s'accompagne de longues files d’attente. En Suède, dans certaines régions, des patients attendent jusqu’à deux ans avant de pouvoir s’équiper. Certains sont décédés avant même de pouvoir obtenir leurs aides auditives !

Dans votre analyse, vous écrivez que la France est le modèle le plus « favorable » ? Qu’entendez-vous par là ? Est-ce en termes de taux d'appareillage ? De solidarité ?

C’est une appréciation multidimensionnelle. Nous avons regardé la diversité de l’offre, sa qualité, et le reste à charge.

Si l’on considère le panier de soin équivalent au 100 % Santé, la diversité de l’offre est plus importante dans le système privé adopté par la France et la Belgique. Comme dit précédemment, le système des appels d’offres réduit cette diversité. La qualité est également meilleure. En France et en Belgique, on est sur des produits de gamme moyenne : en général il s’agit de l’avant-dernière gamme des fabricants, qui date donc d’environ 5 ans. C'est mieux qu’en Angleterre. En France, ce panier est en outre plus sollicité qu’en Belgique (40 % contre 25 % respectivement).

Concernant le panier libre, il n’y a aucun financement au NHS ou en Suède (à part des vouchers dans certaines régions). En France, même la situation la plus défavorable, où la complémentaire ne rembourse que le ticket modérateur (c’est le minimum légal, NDLR), offre une meilleure prise en charge qu’en Belgique.

En considérant ces différents paramètres, la France offre le modèle le plus favorable.

Pourtant, vous écrivez dans votre analyse : « Le périmètre de solidarité du 100 % Santé français n’est pas universel : il est fondé sur le financement par les assureurs privés qui répercutent le coût sur les cotisants, et exclut les personnes sans couverture complémentaire ». Quel serait donc le système parfait ?

Tout dépend de ce que l’on souhaite privilégier. L’objectif est-il de réduire la dépense publique ? Ou bien cherche-t-on ce qui est le mieux du point de vue de l’usager ? C’est plutôt sous ce deuxième angle que nous avons étudié la situation. Au début de notre étude, nous étions plutôt éblouis par le système d’appel d’offres des Anglais, qui parvenaient ainsi à payer leurs aides auditives beaucoup moins cher qu’en France. Mais les contreparties sont vraiment importantes, notamment les files d’attente.

Outre des délais courts, un modèle idéal propose une grande diversité de produits, de bonne qualité, et une solvabilisation publique peu dépendante des complémentaires santé.

Le modèle français s’est beaucoup amélioré, avec un doublement du financement de l’Assurance maladie obligatoire par rapport à la base de remboursement qui prévalait avant la mise en place de la réforme, ou encore la mise en place de prix limites de vente.

Mais le système français n’est pas idéal, loin s’en faut. D’abord parce que le remboursement n’est pas universel, il exclut les personnes sans couverture – même si le taux de couverture est très élevé. En outre, il peut induire une augmentation des primes des contrats individuels des personnes âgées, qui sont déjà des contrats qui couvrent moins et avec une prime tarifée à l’âge. Ces primes pour les plus de 65 ans ont fortement augmenté entre 2019 et 2021, et le 100 % Santé a pu y contribuer. C'est la conséquence du déport du remboursement sur les complémentaires. C’est vraiment un choix différent par rapport aux autres pays qui font davantage porter le financement sur la solidarité nationale.

Finalement, un système idéal, ce serait le système français avec du 100 % Sécu ?

Ce pourrait être ça. Mais compte tenu des contraintes qui pèsent sur les finances publiques, on essaie de rester un peu réaliste.

Dans votre analyse, vous esquissez aussi des points de vigilance ou d’amélioration du système. Quels sont-ils ?

La gratuité peut induire des dérives et des fraudes. Et il faut rester vigilant sur ce point, peut-être en revoyant l’encadrement et en régulant la profession d’audioprothésiste... C’est un enjeu important. Pour améliorer le système, un autre enjeu consiste à faire évoluer le panier de soin sans reste à charge, afin qu’il épouse le progrès technique. C’est aussi une réflexion qu’entreprend le NHS, mais ils sont confrontés à un dilemme : d’un côté, ils sont très contents de leur système qui permet de réduire les prix, et de l’autre, ils se disent que le rechargeable pourrait avoir du sens.

Le dernier point de vigilance est de veiller à ce que les primes des complémentaires restent accessibles pour les personnes âgées. Il existe des leviers, comme l’extension de la complémentaire santé solidaire (CSS) à cette population, pour qu’elle bénéficie d’une couverture à moindre cout. Il s’agit d’ailleurs d’une préconisation du rapport sénatorial, remis en septembre par Xavier Iacovelli [2].

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