C’est acquis depuis maintenant plusieurs années : il y a un lien entre audition et cognition. Mais la nature de ce lien n’a encore jamais été élucidée et seules des hypothèses ont été émises. Dans un article qui a fait date [1], l’équipe de Timothy Griffiths identifiait plusieurs scénarios, dont un en lien avec la maladie d’Alzheimer.
Elle indiquait qu’il pouvait y avoir entre les deux phénomènes une cause commune. Les chercheurs qui travaillent sur la maladie d’Alzheimer ont d’ailleurs déjà remarqué que leurs modèles de souris – génétiquement modifiées pour mimer la maladie – présentent des problèmes d’audition précoces. En outre, il a été montré que la perte d'audition est l'un des principaux facteurs de risque de la maladie d'Alzheimer.
Biomarqueur d’Alzheimer
De récentes études indiquent aussi que la perte d’audition est l’un des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer, et qu’elle pourrait être utilisée comme biomarqueur de la maladie. C’est la piste que poursuit l’équipe de Hong-Bo Zhao, à l’université Yale (États- Unis). En 2020, ces chercheurs ont travaillé sur des modèles de souris de la maladie d’Alzheimer [2]. Ils ont observé les potentiels évoqués auditifs corticaux chez ces animaux, et sur des lignées sauvages. Les courbes étaient différentes : entre autres, l’amplitude de l’onde P1 était moins grande chez les souris Alzheimer.
Ces travaux ne disent néanmoins pas grand-chose de la nature du lien entre Alzheimer et perte auditive. De nombreux chercheurs planchent sur ce sujet et les résultats sont parfois contradictoires. Mais l'équipe chinoise de l’université de Wuhan, dirigée par le neurologue Zhentao Zhang, a fait une découverte cruciale. Elle vient de mettre en lumière le rôle clé d’une protéine, GDF1 [3]. Le gène qui la code est sous-exprimé dans le cerveau des souris qui ont une perte auditive.
Causalité indirecte
Chez ces souris, la perte d’audition est associée à une multiplication des plaques amyloïdes – un marqueur de la maladie d’Alzheimer – dans l'hippocampe, le cortex auditif et le cortex associatif. Ces rongeurs affichent également des performances cognitives moindres. En cause : une faible expression du gène codant GDF1. Et d’ailleurs, lorsqu’on complémente ces souris en GDF1, les effets sont atténués. À l’inverse, si on induit une réduction de l’expression du gène chez des souris normales, ces effets apparaissent. Pour les auteurs, cela suggère que la perte d’audition pourrait induire une réduction de l’expression de gdf1, favorisant le développement de la maladie d’Alzheimer.
Les travaux des auteurs montrent par ailleurs qu’une faible expression de gdf1 active une enzyme (la б-secrétase), déclenchant un dysfonctionnement synaptique et des troubles cognitifs.
Pour l’équipe de Zhentao Zhang, ces résultats ouvrent la voie à un traitement à base de GDF1 qui empêcherait les effets néfastes de la perte d’audition. Pour le monde de l’audiologie, l’étude est une preuve supplémentaire de la pertinence de la prévention.