L’aventurière des sons perdus

Mylène Pardoen est archéologue du paysage sonore, en quête des bruits du passé. Cette nouvelle discipline, dont elle est à l’origine, s’appuie sur une approche sensorielle de l’histoire et puise dans le présent la matière pour restituer les ambiances sonores d’autrefois.

Par Ludivine Aubin-Karpinski
(c)PI2A AudioMSH LSEUAR2000CNRS
Campagne de captation à Guédelon, à l'atelier de menuiserie, en avril 2023.

Qu’entendaient les riverains du chantier de construction de Notre-Dame de Paris en 1170 ? Quelle pouvait être la « bande son » de la cour à Versailles sous Louis XIV ? Ou encore celle du quartier du Grand Châtelet, au 18e siècle ? Pour répondre à ces questions, Mylène Pardoen a créé une nouvelle discipline : l’archéologie du paysage sonore.

Un parcours atypique

Le parcours qui a mené la chercheuse sur cette voie est atypique. Tout d’abord mécanicienne dans l’armée, elle doit abandonner cette carrière à 30 ans pour raison de santé. Elle choisit alors de reprendre ses études. « Je voulais faire de l’histoire mais, sans le bac, j’ai dû m’orienter là où il y avait de la place », raconte-t-elle. Elle choisit musicologie et réalise sa thèse sur la musique militaire. Le Musée des Invalides lui commande la sonorisation de plans de bataille. Puis, c’est le projet Bretez, du nom du cartographe auteur d’un plan de Paris au 18e siècle sur lequel elle s’appuie pour réaliser une fresque sonore du quartier du Grand Châtelet. Ce travail, fondateur, lui permet d’établir la méthodologie de sa nouvelle discipline. « J’ai cherché la façon de restituer des sons scientifiquement valides pour répondre à la demande des chercheurs et des musées, explique l’archéologue. Ils sont très preneurs car l’immersion dans un paysage sonore permet une meilleure compréhension de l’histoire. Mais ils ne souhaitent pas un “son Walt Disney”. »

À la recherche d’indices

Afin de reconstituer des ambiances sonores disparues, Mylène Pardoen plonge dans les archives de l’époque pour y glaner des indices. Un travail naturel pour la chercheuse pour qui « tout est son ». Elle présente en effet une forme de synesthésie qui lui permet d’associer de l’audio à tout document visuel ou écrit. Plans d’architecte et cartes, devis de chantier « chantent » ainsi à ses oreilles et lui permettent de cerner le cadre acoustique de la période et du lieu étudiés. Puis, l’analyse de journaux d’époque, d’actes judiciaires et administratifs, de tableaux contribue à poser les différents éléments du « décor », à identifier les sources sonores. Cette étape de collecte s’apparente à la constitution d’un « mille-feuilles d’informations », un entrelacs complexe dont il faut rendre toute la densité. « Il y a plusieurs couches, commente la chercheuse. Les sons présents sur un lieu – l’eau qui coule, le vent… –, les bruits des insectes, des animaux et ceux de l’homme, des métiers, de la circulation… La compilation de ces différentes strates rend possible la représentation sonore d’un lieu avec ses activités, ses rythmes, ses spécificités. Pour 2-3 minutes de restitution, 280 heures de recherche sont nécessaires. »

Faire entendre les sons du passé

Mylène Pardoen
Campagne de captation à Guédelon, dans la carrière, en avril 2023.
Il faut ensuite retrouver ces sons. Pour cela, Mylène Pardoen n’utilise pas de machine à remonter le temps mais une kyrielle de micros afin d’aller saisir et enregistrer les sons du passé encore présents à notre époque. Le chantier expérimental du château de Guédelon (Yonne), construit selon les techniques et les matériaux utilisés au Moyen Âge, est l’un de ses terrains de jeu. Elle s’y rend trois jours chaque mois pour y récupérer les sons des artisans – forgerons, menuisiers, lauziers, vanniers… « On part parfois avec 25 micros pour recueillir un seul geste, dont un micro-canon placé à 3-4 cm de l’artisan et un micro surfacique collé à la matière pour saisir le bruit de sa transformation sous son travail », explique l’archéologue. La phase de captation dure 22 à 30 jours.

L’ensemble est ensuite « jeté sur logiciel » et « dérushé » avec l’aide d’un ingénieur du son, Martin Guesney. Il faut ensuite 300 à 350 heures pour la restitution puis sa diffusion. « Pour 3 minutes d’ambiance sonore, 250-300 fichiers audio sont nécessaires, ajoute Mylène Pardoen. Aucun son n’est inventé. S’il a disparu, il y a un trou. Je ne fais pas de sound design ou de bruitage pour combler les vides. » La mosaïque ainsi créée ne prétend pas constituer une vérité historique mais propose une hypothèse sonore la plus proche possible de la réalité.

Patrimonialisation

La captation des gestes artisanaux ancestraux participe également d’une œuvre de patrimonialisation. Celle-ci constitue un autre pan des projets de la chercheuse, nommé Esphaistoss*, qui vise à sauvegarder et valoriser le patrimoine culturel immatériel, par le biais de la sensorialité. Dans ce cadre, Mylène Pardoen participe au chantier de rénovation de Notre-Dame de Paris, pour y enregistrer les gestes des artisans. Elle y poursuit en parallèle deux autres objectifs. L’un est historique, avec la restitution sonore de deux phases de sa construction ; l’autre est mémoriel, avec « la captation H24 des bruits du chantier actuel ».

Mais, l’archéologue sensibilise aussi à l’importance des sons de notre présent. « Il s’agit d’une matière assez fabuleuse, pleine de couleurs, argumente-t-elle. Mais, aujourd’hui, nous devenons fainéants des oreilles. On enterre la saveur de notre environnement sonore en écoutant des MP3 carrés, exécrables. C’est comme si on tentait de respirer avec du coton dans le nez. Plus on remonte dans le temps, plus les sons étaient informatifs. Il faut retrouver cette sensorialité. »

* Étude et analyse Sensorielle des métiers du Patrimoine Historique (bÂti et artISanat d’arT) et leur restitutiOn Sonore et Sauvegarde numérique

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