Le grand albatros navigue au son

En suivant les infrasons produits par le vent et les vagues, le grand albatros peut localiser les dépressions atmosphériques favorables à son vol à des milliers de kilomètres alentour. Une stratégie lui assurant une dépense énergétique minimale.

Par Violaine Colmet Daâge
albatros

C’est l’un des grands mystères du règne animal mais la science vient de l’élucider partiellement : comment les oiseaux marins arrivent-ils à naviguer en pleine mer, sans aucun relief apparent, sur des dizaines de milliers de kilomètres ? Alors que la vue et l’odorat peuvent les aider à se repérer sur de courtes distances, leurs capacités auditives expliqueraient, en partie, leur incroyable aptitude à localiser les conditions météorologiques favorables à leur voyage. Et ce, sur des milliers de kilomètres alentour. Cette hypothèse a été confirmée chez le grand albatros, par les travaux d’une équipe internationale de chercheurs dont les résultats ont été publiés dans la revue PNAS, en 2023.

Un oiseau hors norme

Taille, longévité, distance parcourue : le grand albatros (Diomedea exulans) est incomparable. Encore appelé albatros hurleur, cet oiseau marin d’une dizaine de kilogrammes dont l’envergure peut atteindre 3,5 mètres niche sur les îles Crozet et Kerguelen, à l’extrême Sud de l’océan Indien. « Certains oiseaux marqués ont 60 voire 70 ans, rapporte le directeur de recherche au laboratoire CNRS de Chizé, co-auteur de l’étude, Henri Weimerskirch. Mais ils commencent à se reproduire tardivement et font naitre, au mieux, un jeune tous les deux ans. » Réputés pour leur fidélité envers leur partenaire, les grands albatros alternent une saison de reproduction d’un an en région subantarctique, et une saison dite « sabbatique » de même durée au cours de laquelle ils migrent autour de l’océan Austral. « Globalement, ils passent 90 % de leur vie en mer », précise le spécialiste. Pour se déplacer sur de si longues périodes, ils utilisent l’énergie des vents dominants, leur assurant une dépense énergétique minimale. « Pour revenir en Antarctique, ils préféreront faire le tour du pôle et parcourir 20 000 km (vent arrière) que d’en faire 5 000 (de face) », détaille Henri Weimerskirch. Une économie d’énergie bienvenue durant la reproduction, où les allers-retours pour nourrir leur petit sont permanents. « L’albatros est capable de faire 15 voire 20 000 km en 10 jours pour pêcher. C’est comme s’il se reproduisait en Bretagne et allait se nourrir au large des États-Unis ! », illustre le chercheur. Mais comment établissent-ils leur plan de vol ?

Cartographier la « voix de la mer »

La sensibilité des oiseaux aux infrasons est connue de longue date. En 1979, il a été prouvé que les pigeons domestiques étaient sensibles à ces basses fréquences, inaudibles à l’oreille humaine. À la surface des océans, les infrasons générés par les tempêtes et la houle marine, encore nommés microbaroms ou « voix de la mer », présentent des fréquences de 0,1 à 0,6 Hz. En raison de leur faible absorption atmosphérique et de l’absence d’obstacle, celles-ci peuvent se propager sur des milliers, voire des dizaines de milliers de kilomètres.

Les chercheurs ont étudié les itinéraires choisis par 89 albatros bagués et nichant sur les îles Crozet, pour rechercher de la nourriture. Puis, ils les ont comparés en fonction du vent et de la pression sonore. Pour connaitre cette dernière, ils ont utilisé une cartographie des microbaroms obtenue grâce aux données satellitaires de la vitesse du vent et de la hauteur des vagues. Au total, 3 175 « points de décision » ont été identifiés durant les vols des oiseaux et analysés. Résultats : les albatros ont tendance à se diriger vers les aires où la pression infrasonique est la plus forte. « Les albatros se dirigent vers les zones de turbulences » afin de profiter des vents forts situés sur le pourtour des dépressions, conclut Henri Weimerskirch. Il est toutefois possible qu’ils associent ces données à d’autres signaux, telles que la pression barométrique ou la polarisation de la lumière, précisent les auteurs.

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