L’éco-acoustique à l’écoute de la biodiversité

Quand l’homme s’efface, la nature reprend-t-elle ses droits ? En ces temps de confinement et de parenthèse silencieuse liée à l’arrêt de l’activité humaine, partons à la découverte d’une discipline à l’écoute de la nature et de la biodiversité, l’éco-acoustique.

Par Ludivine Aubin-Karpinski
Eco acoustique

Chaque écosystème interprète sa propre symphonie que le tumulte des hommes bouleverse. L’exploration et l’analyse de ces sons, réalisées à l’aide de capteurs postés au cœur des forêts, parcs, fonds sous-marins, sont les objectifs de deux disciplines : la bio-acoustique et son héritière, l’éco-acoustique. Si cette dernière est apparue très récemment, la bio-acoustique, elle, est née après la seconde guerre mondiale aux États-Unis, puis en France. À la croisée de l’éthologie, la physiologie, la neurobiologie, la biomécanique, l’écologie et l’acoustique, elle vise à identifier, localiser les espèces animales et à comprendre leurs comportements par l’analyse de l’émission, la propagation et la réception des sons qu’elles produisent. « Nous travaillons sur deux grands modèles en raison de la sophistication de leurs communications : les insectes et les oiseaux, explique Thierry Aubin, directeur de recherche de l’équipe Communication acoustique au laboratoire NeuroPSI, CNRS UMR 9197, à l’université Paris-sud d’Orsay. Les animaux, comme les humains, ont leurs propres voix. Et, nous cherchons à décoder leurs phonèmes, à comprendre les signaux émis et leurs réponses. » Depuis quelques années, la discipline connaît un second souffle avec le développement d’une nouvelle approche, l’éco-acoustique.

L’éco-acoustique, outil de suivi de la biodiversité

Celle-ci se place à l’échelle supérieure, au niveau d’un écosystème ou d’un environnement plus global. « Elle écoute et suit les sons de la nature sans chercher à détecter des espèces, elle apprécie la richesse d’un environnement », précise Thierry Aubin. L’analyse de cet enchevêtrement de sons permet aux scientifiques d’estimer et suivre les changements de la biodiversité animale en fonction des perturbations affectant les habitats naturels (pollution, changements climatiques, expansion de l’activité humaine). Cette discipline a été « popularisée » par Bernie Krause, preneur de son américain qui a notamment notamment collaboré avec les Doors. Dès les années 1980, l’ex-musicien a enregistré les sons de la nature et constaté que la moitié d’entre eux ont disparu en l’espace de cinquante ans…
Ce n’est que très récemment, dans les années 2010, que les contours de cette nouvelle branche de la bio-acoustique ont été définis. Jérôme Sueur, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle, a contribué à sa formalisation. « L’éco-acoustique ne traite pas de comportements mais d’écologie, explique-t-il. Nous travaillons sur le même matériau que les bio-acousticiens, les sons du vivant, mais nous ne les étudions pas pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils représentent ». C’est la mise sur le marché d’une nouvelle génération de magnétophones automatiques qui a signé l’essor de l’éco-acoustique en permettant d’observer les modifications du paysage sonore sur de larges échelles de temps et d’espace, sans présence humaine. « Parfois pendant plusieurs semaines, mois voire années », précise Jérôme Sueur.
Ces nouveaux outils collectent des centaines de milliers d’enregistrements. « De ce méli-mélo de sons, nous essayons d’extraire des informations, notamment identifier les espèces présentes, ajoute-t-il. Une autre approche consiste à les quantifier en partant du postulat que plus un paysage sonore est complexe et plus il est riche en termes de biodiversité, c’est-à-dire en nombre d’espèces présentes ».
Même si les enregistrements n’offrent pas encore beaucoup de recul, les chercheurs constatent néanmoins une érosion de la diversité sonore dans les écosystèmes perturbés. « Mais il faudra attendre quelques années pour obtenir des chiffres probants », commente Jérôme Sueur.

Éco-acoustique et Covid-19

Alors que l’épidémie de Covid-19 nous a imposé une retraite forcée, cette baisse drastique de l’agitation humaine est-elle une parenthèse enchantée pour la biodiversité ? Selon l’éco-acousticien, la diminution du trafic aérien et de la circulation automobile et ferroviaire a entraîné une baisse du niveau sonore ambiant de 8 à 12 dB, voire de 23 dB près des aéroports. « Le virus a changé le paysage sonore, explique-t-il. C’est comme si l’equalizer était mieux réglé. Les sons de la nature réapparaissent. Le fait de supprimer le bruit rend les communications des animaux plus efficaces et leur demande moins d’énergie. En temps normal, le bruit couvre leurs sons, par effet de masque, les obligeant à chanter plus fort voire à réduire leur production sonore. Il génère du stress physiologique. Ainsi, la soustraction du bruit peut avoir un impact positif sur leur reproduction. »
À quelque chose malheur est bon : quand les humains se taisent, on peut entendre les oiseaux chanter…

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