Enseignement, recherche fondamentale et clinique. C’est le triptyque qui caractérise la nouvelle plate-forme AudACE [1] qui a vu le jour l’an dernier à la faculté de médecine de l’université Clermont Auvergne. Dirigée par le Dr Fabrice Giraudet, elle succède à l’équipe de recherche du Pr Paul Avan (une restructuration imposée par de triviales motivations administratives…), forte des nombreux étudiants ou post-doctorants et de la multitude de collaborations nationales et internationales que ce laboratoire a su tisser au cours des années. Parallèlement au volet recherche s’ajoute un pan enseignement ainsi qu’une volonté de valorisation du savoir-faire et des services.
Partage et transmission
AudACE participe activement au récent DIU Audiologie et Otologie médicale (conjointement organisé avec les universités de Lyon et Paris 7). Désormais, ORL, internes, audioprothésistes et médecins généralistes viennent découvrir (ou perfectionnent leurs connaissances sur) l’électrophysiologie de l’audition. Outre cet enseignement, Fabrice Giraudet dispense des cours de biophysique et d’audiologie aux étudiants en médecine et en orthophonie. « Nous les sensibilisons à l’électrophysiologie, aux otoémissions... – qui est le cœur de la pratique de notre laboratoire – ; nous leur transmettons cette culture », explique-t-il.
Vision translationnelle
L'electrophysiologie est en effet le fil rouge de cette plate-forme. Du point de vue recherche, les membres du laboratoire s’intéressent à tout ce qui peut toucher de près ou de loin aux neuropathies auditives. Ce qui peut parfois les amener au-delà de l’audiologie. Une autre caractéristique de cette équipe est sa double expertise clinique et pré-clinique. « Notre thématique de recherche est centrée sur la notion de translationnalité et le développement de nouveaux outils non-invasifs d’exploration fonctionnelle, philosophie chère à mon maître Paul Avan, résume Fabrice Giraudet. Nous partons du patient et nous tentons de modéliser sa pathologie chez le petit rongeur. L’intérêt de cette approche est de pouvoir indiquer au clinicien que le profil audiologique du patient – identique au profil déterminé chez l’animal – est sans doute associé aux altérations cellulaires que nous avons pu observer en microscopie. »
Volontaires sains et patients
Ce passage du pré-clinique à la clinique est rendu possible par le fait que toute la plate-forme est rassemblée en un seul lieu, au sein de la faculté de médecine – avec une magnifique vue sur les volcans ! Sur plus de 300 m², les salles dédiées aux projets pré-cliniques jouxtent les salles d’enseignements pratiques et deux « cabines » (30 m² chacune) pour le versant clinique.
Car, un peu à l’image du Centre de recherche et d’innovation en audiologie humaine (Ceriah) et des Centres de recherche en audiologie (Crea), la plate-forme AudACE – reconnue comme lieu de recherche par l’ARS – accueille pour ses projets validés de recherche clinique des volontaires et des patients pour lesquels leurs praticiens ou leurs audioprothésistes se retrouvent dans une impasse, à court d’explications, et sont à la recherche d’un phénotypage plus fin.
De temps à autres, à la demande des cliniciens, AudACE se délocalise au CHU de Clermont-Ferrand dans les services de néonatalogie, réanimation pédiatrique ou de génétique. « Le but n’est pas de vérifier l’audition, puisque les enfants bénéficient du test de dépistage de la surdité, explique Fabrice Giraudet. Mais devant les tableaux cliniques des enfants, les praticiens s’interrogent parfois sur la réactivité de leur tronc cérébral. Les potentiels évoqués auditifs précoces (PEAp) sont la seule technique électrophysiologique permettant de l’explorer. Si aujourd’hui nos explorations audiologiques permettent en partie de compléter le dossier médical du patient, nous espérons pouvoir déterminer certains facteurs pronostiques de l’évolution de ces jeunes enfants. En effet, nous avons caractérisé un profil très particulier de PEAp dans un syndrome malformatif (séquence de Pierre-Robin). Les anomalies fonctionnelles retrouvées (troubles de l’oralité, de la déglutition) seraient dues à un trouble développemental au niveau de leur tronc cérébral. »
De nombreuses collaborations et partenariats
Depuis 2005, l’équipe de Paul Avan a développé une étroite collaboration avec l’équipe de la Pr Christine Petit. La plate-forme AudACE perpétue ce lien avec de nombreuses équipes de l’Institut de l’audition pour tenter, à l’aide de modèles murins, de mettre en lumière la physiopathologie des surdités génétiques.
Parmi les projets cliniques découlant des études précliniques publiées par l’équipe [2], Ludivine Beaud finalise son projet doctoral de validation d’un nouveau protocole d’électrocochléographie. Celui-ci permet de révéler la fonctionnalité des différents contingents de fibres nerveuses auditives chez l’humain et ceci, de façon totalement non-invasive, et ainsi de mieux caractériser les surdités cachées.
En outre, AudACE a tissé des partenariats divers comme avec le Centre de recherche en audiologie adulte (Pitié-Salpêtrière, Paris). Le rapprochement de ces deux entités vise à mieux documenter fonctionnellement certaines neuropathies auditives et plus particulièrement les troubles auditifs de patients atteints de l’ataxie de Friedreich. Cette maladie neurologique se caractérise entre autres par une fatigabilité objectivable par un épuisement des PEAp, comme l’a montré Fabrice Giraudet [3]. Une nouvelle doctorante, Marine Hauchère, tente de mieux caractériser l’audition d’enfants présentant un trouble développemental du langage sans surdité. Il s’agit là encore d’un projet collaboratif, avec le service de Génétique, les orthophonistes, et la Dr Élise Gazzano, ORL au CH d’Avignon. L’objectif de ce projet : révéler des atteintes subtiles de l’audition chez ces enfants à l’aide des produits de distorsion acoustiques hautes fréquences.
Comme pour la clinique, AudACE semble parfois s’éloigner de l'audiologie dans le cadre de ses projets précliniques. En effet, Guillaume Sabourin, dans son projet doctoral, traque des troubles neuronaux subtils silencieux, « invisibles à l’audiogramme », qui pourraient apparaître dans le contexte du diabète ou des traitements de chimiothérapie avec l’oxaliplatine.
Forte de cette expérience dans le domaine de l’électrophysiologie, la plate-forme AudACE bénéficie d’une expertise et d’un savoir-faire sur lesquels l’université aimerait désormais capitaliser... AudACE est en mesure de nouer des partenariats avec des industriels. mais si la valorisation de la recherche tend de plus en plus à se développer, il n’est pas aisé pour un directeur de recherche de se transformer du jour au lendemain en entrepreneur.