28 Juin 2021

Les déficiences auditives unilatérales chez l’enfant

Depuis plusieurs années déjà, nous sommes confrontés à l’arrivée d’enfants de plus en plus jeunes atteints de pertes auditives unilatérales. La systématisation du dépistage précoce et son efficacité pointent dès la naissance ces atteintes dont l’occurrence, toutes pertes confondues, se situe à environ 1 ‰ à la naissance et entre 3 et 6 % des enfants en âge scolaire(1, 2, 3). Il convient alors de différencier dès le diagnostic les surdités unilatérales (SSD ou single sided deafness) des pertes auditives unilatérales (UHL ou unilateral hearing loss) car la prise en charge n’est pas orientée de la même façon dans un cas comme dans l’autre.

Par Pierre Devos
Audioprothésiste – Audiologue, responsable du Réseau d’expertise Enfant Amplifon
flou lumiere surdites unilaterales

Pluridisciplinarité et guidance

Nous le savons, la prise en charge d’un enfant malentendant requiert inévitablement pluridisciplinarité et guidance parentale. Il ne faut pas faire l’économie du retour des différents intervenants tout au long du suivi (parents, orthophoniste, médecin, professeurs…) et des informations les plus précises possible quant à l’impact potentiel de la perte unilatérale sur le devenir de l’enfant, pour motiver ou « enrôler » la famille dans une prise en charge à long terme dont l’intérêt n’est pas toujours compris… puisque cet enfant « entend » sans son aide auditive ! La littérature s’enrichit depuis plusieurs années et décrit des conséquences évidentes telles que la perte de l’écoute binaurale (localisation spatiale, perte des ILD et ITD, perte de la sommation binaurale…) mais aussi moins connues comme le risque d’échec scolaire qui passe de 3% chez l’enfant normo-entendant à 25-30 % chez les enfants atteints de perte unilatérale, celui d’un score de QI verbal significativement moins bon, l’augmentation significative de l’effort d’écoute (et donc de la fatigue !), les difficultés accrues en double tâche ou encore l’impact négatif sur la qualité de vie subjective et l’estime de soi de l’enfant devenu grand(4,5,6).

Restaurer une fonction binaurale perdue (UHL acquise) ou en créer une absente (UHL congénitale) peut passer par la mise en place d’une aide auditive dont l’amplification doit être quantifiée sur la base d’une approche de stéréo-équilibrage, très large bande, en minimisant les « algorithmes filtrants » qui peuvent perturber le traitement central de l’information stéréophonique. Cette base de travail demande une participation subjective du patient qu’il est difficile voire parfois impossible à obtenir de la part d’un très jeune enfant.

Quelle approche audioprothétique ?

Évidemment, au-delà du travail de guidance et d’information, l’audioprothésiste doit mettre en oeuvre l’approche technologique la plus efficace pour répondre aux besoins de l’enfant, et ce le plus tôt possible. Une intervention avant l’âge de 2 ans doit améliorer significativement le QI verbal(5) et impacter positivement les capacités futures de localisation spatiale(5,8). Il va de soi qu’un appareillage auditif « conventionnel » (acoustique) reste réservé aux auditions résiduelles utilisables et qu’il vise à restaurer une stéréophonie efficace au regard des fonctions binaurales évoquées plus haut ! La littérature ne s’est pas encore accordée sur une approche d’amplification concrète. Les uns prônent l’utilisation de calculs de gain « classique » (NAL-NL2, DSL m[i/o]), lorsque d’autres, parfois même à la source de telles méthodes, conseillent de ne pas les utiliser(9) et de baser leur quantité d’amplification sur l’appréciation du SII (Speech Intelligibility Index) qu’il convient de faire tendre vers le 100 %. Rappelons que le SII représente la capacité de compréhension d’un locuteur éloigné de 2 m. La sélection d’aides auditives permettant un gain réel sur une très large bande fréquentielle s’impose donc. Dans ce cadre, on ne peut trop insister sur la nécessité d’utilisation des écouteurs inserts (type ER-3C) associés à la mesure du RECD, si possible sur une cavité de 0,4 cm3 (WBRECD – Wide Band RECD) dont la précision dans les fréquences supérieures à 4 000 Hz s’avère bien meilleure que sur une cavité de 2 cm3(10). S’assurer du bon apport quantitatif pour des signaux vocaux moyen et faible contribue à valider un réglage efficace notamment au regard de l’apprentissage fortuit dont l’enrichissement du vocabulaire des enfants est en grande partie dépendant(11). L’attention portée sur les réglages peut améliorer la situation décrite par Fitzpatrick et al.(7) qui, lors d’une étude multicentrique, évoquaient un abandon total de l’appareillage chez 37 % des sujets atteints de perte auditive unilatérale.

Les alternatives

Face à une perte plus importante, voire cophotique unilatérale, une multitude d’alternatives s’offre à nous : Cros, ancrage osseux, implant cochléaire… Encore faut-il sélectionner la bonne ! Il n’existe à ce jour aucune procédure officielle d’orientation vers l’une ou l’autre. Même si des recommandations émergent(12,13), l’analyse au cas par cas d’une situation sous un regard pluridisciplinaire s’impose. L’ancrage osseux, en fonction du tableau audiologique, peut révéler son potentiel si nous restons attentifs à certains paramètres liés à l’âge du patient. En effet, le jeune enfant ne bénéficie pas d’ancrage osseux et se voit poser l’appareil sur un bandeau (ou système de maintien type Sound Arc) jusqu’à 5 – 6 ans, relativisant immédiatement certains aspects fonctionnels, ergonomiques et esthétiques. Deux conséquences peuvent s’avérer délétères si nous n’y prêtons pas attention : la pose sur bandeau atténue d’environ 15 dB la transmission que le même système aurait offert sur un pilier et minimise donc l’accès aux intensités vocales réduites (apprentissage fortuit !) ainsi que le RSB qui peut baisser de l’ordre de 3,5 dB dans les cas où le signal utile est présenté du côté déficient(14). Elle rend aussi le réglage aléatoire en ce sens que le vibrateur peut être positionné chaque jour à un endroit différent du crâne. Ici aussi la guidance revêt toute son importance. Enfin, il reste une inconnue quant au masquage potentiel de la bonne oreille et il convient d’utiliser le système dans des situations réfléchies et d’évaluer la discrimination avec et sans appareillage aussitôt que possible, dans le silence et dans le bruit.

Le système Cros peut représenter une alternative dès lors que l’enfant peut maîtriser le maintien de sa tête et que le conduit auditif de l’oreille destinée à recueillir l’information auditive est suffisamment large pour s’assurer de la transparence acoustique du son incident. Il est en effet inenvisageable de créer une occlusion de la bonne oreille qui deviendrait moins performante avec appareillage que sans. Selon Hillary Snapp(15), c’est souvent une bonne raison de ne pas le faire ! Toute l’efficacité de ce type d’appareillage repose sur l’addition d’un microphone déporté, dont nous connaissons depuis bien longtemps le bénéfice en termes d’amélioration du RSB et dont la plupart des études vantent les effets sur les cas de perte unilatérale, quelle que soit la technologie auditive choisie.

Enfin l’implant cochléaire figure parmi les alternatives possibles avec des résultats dépendants en grande partie de l’aspect pré ou post-lingual de la déficience. Anne Sharma(16) place la plasticité crosmodale inverse comme facteur prédictif majeur du succès d’un implant cochléaire sur la perte unilatérale, plasticité dont la qualité établirait un terrain favorable en cas de déficience post-linguale. Dans les tableaux cliniques les plus optimistes, l’implant cochléaire semblerait ne rien apporter en termes d’amélioration de l’effort d’écoute mais il apporterait un bénéfice de discrimination dans le bruit de l’ordre de 2 dB RSB(17). Plusieurs études sont encore en cours à ce sujet et permettront peut-être de préciser le profil des candidats à l’implantation. Il est à noter que la surdité unilatérale n’est pas reconnue comme critère d’implantation en France, à l’exception de quelques protocoles de recherche et/ou de rares cas d’acouphènes invalidants.

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