Les laissés pour compte du 100 % Santé

Malgré le succès de la réforme, de nombreux Français restent exclus du 100 % Santé. Ces laissés pour compte, souvent précaires et mal informés, souffrent pourtant davantage des troubles auditifs que le reste de la population. Sur le terrain, des associations tentent de combler ce « trou dans la raquette ».

Par Laura Maldri
foule exclu laisses pour compte web

La réforme du 100 % Santé, qui a vu le jour le 1er janvier 2021, est une réussite. Les chiffres l’attestent : selon le dernier comité de suivi, les données des onze premiers mois de 2021 montrent une augmentation du nombre de patients équipés de 77 % entre 2019 et 2021 et un recours au panier 100 % Santé de 39 % entre janvier et novembre 2021. Mais deux ans et demi après la mise en place de cette réforme, une partie de la population n’en bénéficie toujours pas. Des personnes disposant pourtant d’une complémentaire santé ignorent toujours l’existence de ce dispositif auxquelles il faut ajouter les Français éligibles à la complémentaire santé solidaire qui n’ont pas fait valoir leurs droits – plus d’un quart selon la Drees. Enfin, 3,6 % de la population ne bénéficient d’aucune couverture complémentaire d’après l'IRDES. Il s’agit le plus souvent de personnes vivant sous le seuil de pauvreté et éloignées du système de santé classique.

Informer les populations défavorisées sur le 100 % Santé

Pour pallier ces « trous dans la raquette », Guillaume Flahaut et Marc Greco, anciens présidents du Synea et du Synam et négociateurs du 100 % Santé, ont créé en 2022 l’association Mission Audition. Son but : ouvrir des centres d’audiologie dans les banlieues urbaines, « où vivent les deux tiers de la population exclue de cette réforme, explique Guillaume Flahaut. Il s'agit d'un enjeu capital. Il est du devoir des audioprothésistes d'aborder les populations défavorisées. »

Le premier centre Mission Audition a ouvert en janvier 2023 dans le centre commercial Leclerc de Gennevilliers. Ici, on ne propose que du 100 % Santé, comme l’annoncent les affiches sur la devanture de l’enseigne.

Intervenir dans l’écosystème des populations marginalisées

mission
Guillaume Flahault et des collaboratrices dans le centre Mission Audition de Gennevilliers.
Et pour informer le plus grand nombre, l’association organise régulièrement des actions de sensibilisation « hors-les murs ». « On veut s’inscrire dans l’écosystème de ces quartiers afin de toucher le plus grand nombre », détaille Guillaume Flahaut. Régulièrement, aux côtés des acteurs de terrain, comme Les Restos du cœur, La Croix Rouge mais aussi les centres de santé ou les médecins de quartier, l’association propose des dépistages gratuits et, si besoin, des appareillages.

« Notre offre de proximité s'illustre par ce que la médecine de terrain appelle le "aller vers", précise le co-fondateur de Mission Audition. On va vers ces populations parce qu'elles ne viennent pas vers nous volontiers. Elles ne poussent pas la porte d'un cabinet médical parce que 25 €, c'est cher. Et je ne vous parle même pas de 40 € chez un spécialiste... » Cette démarche permet d’informer de l'existence du 100 % Santé et des enjeux d'une perte d'audition mais aussi de rassurer ces populations souvent méfiantes vis-à-vis du système de santé classique. « Même dans une enseigne qui communique beaucoup sur le reste à charge zéro, certains craignent d'avoir quelque chose à payer… », ajoute Guillaume Flahault.

Quand l’audition n’est pas la priorité

Ce travail de terrain est d’autant plus important que les priorités de cette population défavorisée sont souvent l’alimentation et le logement plutôt que la santé, encore moins la santé auditive. Pourtant, « ces personnes défavorisées ont souvent une santé précaire avec des pathologies chroniques qui peuvent altérer leur audition, comme l’hypertension ou le diabète », explique Guillaume Flahaut. Par ailleurs, elles exercent souvent des métiers qui peuvent altérer leur audition. Selon la Drees, les personnes titulaires d'un bac +3 et plus ont une probabilité d'avoir des problèmes auditifs inférieure de 60 % à celle des non-diplômés. « Il y a une véritable inégalité sociale devant la malentendance », insiste le co-fondateur de Mission Audition.

Il y a une véritable inégalité sociale devant la malentendance.

Guillaume Flahault, co-fondateur de Mission Audition

Le parti pris économique et solidaire de Mission Audition a posé un autre défi, celui du recrutement de l’équipe d’audioprothésistes. Mais six professionnels ont déjà rejoint la structure depuis début 2023. « Un succès quand on connaît la tension qui règne sur le secteur », se félicite Guillaume Flahaut. Selon lui, c’est l’originalité et l’unicité en France de cette initiative qui motivé ses nouvelles recrues : « Les audioprothésistes qui nous rejoignent vont certes avoir moins de défis commerciaux à relever. En revanche, ils vont se rapprocher du monde médical et ils vont ajouter une dimension sociale à leur métier. »

Des aides auditives pour les populations sans complémentaire santé

L’objectif de Mission Audition n’est pas uniquement d’informer les personnes précaires et malentendantes de leur droit au 100 % Santé. Elle s’adresse aussi à celles qui n’ont aucune complémentaire santé, soit environ 5 % de la population. Avec quatre appareillages 100 % Santé vendus, l’association peut offrir un appareillage gratuit à une personne sans complémentaire. Un dispositif rendu possible grâce au modèle financier de l’association. « Nous n’avons pas de bénéfices à reverser, c’est une économie considérable qu'on peut consacrer à autre chose », commente Guillaume Flahault. Et les implantations dans des banlieues défavorisées sont moins coûteuses que dans les centres-villes.

Depuis le début de l’année, 63 personnes ont déjà été appareillées dans les trois antennes déjà ouvertes par Mission Audition à Gennevilliers, La Courneuve et Bagneux. De nouvelles ouvertures sont prévues prochainement à Ivry, Tremblay et Stains. « Notre objectif d’ici 5 ans est d'ouvrir une cinquantaine d’installations dans les quartiers difficiles dans tout l’Hexagone, pour proposer une offre de proximité », explique Guillaume Flahaut.

En vitesse de croisière, Mission Audition ambitionne d'équiper 5 000 personnes par an dont 20 % sans couverture complémentaire. 

AuditionSolidarité pour les plus démunis

Mission humanitaire appareillage
Malentendante appareillée lors d'une mission d'AuditionSolidarité à Paris (février 2020).
Pour celles qui n’ont ni couverture complémentaire, ni couverture sociale, il existe également des initiatives, et notamment celles proposées par AuditionSolidarité. Ces personnes, souvent sans-papiers ou bénéficiaires de l’AME, peuvent, elles aussi, bénéficier d’un appareillage gratuit. En complément de ses missions ponctuelles à Paris et Marseille, l’association intervient partout ailleurs en France grâce à ses « Rendez-vous solidaires » et s’appuie pour cela sur un réseau d'audioprothésistes solidaires qui regroupent plus de 280 centres auditifs. Dans le cadre de ces rendez-vous, les professionnels, qui sont également mécènes de l’association, prennent en charge gratuitement les personnes démunies qui leur sont envoyées par l’association après passage chez un ORL. Quant aux aides auditives, elles proviennent de l'atelier de reconditionnement d’AuditionSolidarité et sont envoyées en amont de chaque « rendez-vous solidaire ». Grâce à ce dispositif et à ses missions, plus de 200 personnes sont ainsi appareillées chaque année.

À elles deux, Mission Audition et AuditionSolidarité pourraient ainsi équiper gratuitement chaque année plus de 5 000 personnes, laissées de côté par la réforme. Guillaume Flahaut se veut philosophe : « L’État fait déjà beaucoup avec le 100 % Santé. Et finalement, c’est grâce à lui et à ce dispositif que je peux financer mon approche solidaire pour ceux qui n’ont pas couverture complémentaire. »

Newsletter

Newsletter

La newsletter Audiologie Demain,

le plus sûr moyen de ne jamais rater les infos essentielles de votre secteur...

Je m'inscris