« J’aime l’idée que l’on puisse écouter la musique sans l’entendre, vibrer autrement et la ressentir avec le corps ». Ces mots sont ceux d’Olivier Mantéi, directeur de la Philharmonie de Paris. Ressentir la musique sans l’entendre, c’est l’expérience qu’il proposera lors de prochains concerts à la Philharmonie aux personnes sourdes et malentendantes grâce à une nouvelle collaboration avec l’entreprise SoundX. « L’accessibilité fait partie de l’ADN de la Philharmonie. Tous les ans nous développons de nouveaux projets et cette année nous souhaitons mettre l’accent sur l’expérimentation de ces gilets vibrants en particulier pour la programmation symphonique », explique Helen Lamotte, responsable de l’accessibilité de l’établissement culturel.
Transmettre les émotions musicales grâce à une IA
Le dispositif SoundX permet de traduire la musique en vibrations grâce à une intelligence artificielle et à un sac à dos que la personne porte sur elle. L’objectif n’est pas de faire entendre la musique mais de susciter les émotions qu’elle crée chez les spectateurs sourds ou malentendants.
Cette idée est née d’une expérience vécue par Damien Quintard, concepteur de SoundX, ingénieur du son et aussi cofondateur de Miraval Studios avec Brad Pitt, au cours d’un enregistrement de la 3e Symphonie de Gustav Mahler. Invité par le chef d’orchestre à s’asseoir au milieu des musiciens, il a constaté que si les sons ne se distinguaient plus dans leur globalité, il avait ressenti une forte émotion musicale, grâce aux vibrations : « Je n’entendais rien mais je ressentais tout, c’est à ce moment-là que j’ai eu le déclic : pourquoi ne fait-on pas la même chose pour la communauté sourde ? »
Une analyse très large du spectre audio
Cette idée n’est pas nouvelle. Depuis les années 1970, l’audiologie explore la perception des sons via les vibrations. Mais souvent celles-ci « ne sont pas assez fortes pour être ressenties, explique Jérémy Marozeau, chercheur spécialisé dans la perception de la musique chez les malentendants. Beaucoup de notes se situent entre 400, 800 ou 1 000 Hz. Mais, en matière de vibrations, notre corps est le plus sensible autour de 250 Hz. Ensuite, notre perception décroit très rapidement. Notre corps ne peut pas ressentir un son à 1 000 Hz. » Jusqu’à présent, les dispositifs permettaient essentiellement de ressentir les fréquences les plus basses du spectre audio. « On n’a pas encore trouvé le produit magique », conclut le chercheur.
Le dispositif SoundX va-t-il révolutionner le domaine ? C’est en tout cas ce que peuvent laisser penser les premières annonces de la société. « La nouveauté avec notre système, c’est qu’il parvient à transformer les fréquences les plus aiguës. On analyse la totalité du spectre audio de 0 à 20 000 Hz. Les hautes fréquences sont retranscrites avec une très grande précision, dans la plage de fréquences – basses – des vibrations », explique Daniela Garcia, directrice générale de SoundX. Ce dispositif a été rendu possible grâce à une intelligence artificielle activée depuis un téléphone ou une tablette « qui s’adapte en temps réel à toutes les subtilités du son » et un sac à dos qui émet les vibrations. « Notre pack comprend deux vibreurs, un en haut pour les fréquences les plus aiguës, un second, en bas du dos pour les fréquences basses », précise Daniela Garcia.
Une collaboration avec l’Institut national de jeunes sourds de Paris
Cette technologie, encore en cours d’expérimentation, est le résultat d’une étroite collaboration avec l’Institut national de jeunes sourds de Paris.
Baptiste Haudos de Possesse et Elsa Falcucci, respectivement coordinateur de séances de parole et professeure de musique, testent les prototypes de SoundX depuis trois ans. Grâce à leurs retours très réguliers, l’équipe de chercheurs affine les réglages des packs.
Pour les deux professeurs habitués à utiliser différents équipements, l’apport des packs SoundX est indéniable. « C’est plus subtil, il y a plus de nuances, plus de facilités à capter les aigus, plus d’informations en général, commentent-ils. Nos élèves en sont très friands. » « L’objectif ce n’est pas d’entendre mais de ressentir les émotions transmises par la musique », explique Elsa Falcucci. Un objectif atteint selon Baptiste Haudos de Possesse qui avoue avoir été lui-même ému en testant le pack. « C’est un peu comme si on avait des doigts dans le dos qui caressent, qui frôlent, un peu comme une vague qui ondule ».
D’ici la fin de cette année, ces packs devraient être proposés à l’occasion de deux concerts de musique classique à la Philharmonie. Si les essais sont concluants, la liste des évènements accessibles sera élargie et diversifiée la saison prochaine.
En attendant, l’établissement propose des concerts en chansigné (accompagné en langue des signes) ainsi qu’un colloque « Surdités et expériences musicales », les 8 et 9 décembre 2023.