Triste emblème de la crise sanitaire, les masques constituent une barrière... y compris pour le signal de parole. C’est ce que montrent notamment les travaux de l'équipe de Ryan Corey, du Laboratoire d’écoute augmentée de l’Illinois (États- Unis). Ces chercheurs ont procédé à une batterie de tests sur tout type de masques : chirurgicaux, tissus (coton, nylon...), à fenêtre transparente, visière1… Leur analyse indique que certains types de masques s’en sortent plutôt bien, d’autres moins.
Le masque à fenêtre en question
L’audioprothésiste Pierre Devos, avec le soutien de la Commission technique (CoTech) d’Amplifon, a reproduit ces travaux en mesurant le spectre moyen à long terme d’un ISTS généré par un haut parleur X-mini Capsule encastré dans une tête artificielle, placée à 1,5 m d’un MiniDSP EARS. « Les conclusions de l'étude américaine et les nôtres convergent et ne sont pas du tout à l’avantage acoustique de l’utilisation généralisée des masques. Toutes deux plaident pour que nous répondions de toute urgence à cette nouvelle problématique », avertit l’audioprothésiste.
Les résultats sont en effet sans appel, comme l’illustre le graphe de l’équipe de Ryan Corey, ci-dessous : le signal de parole est nettement atténué à partir de 1 kHz et de façon très importante pour les masques à fenêtre en plastique.
Dans le détail, l'atténuation atteint entre 10 et 20 dB avec les masques à fenêtre et les visières, contre maximum 8 dB pour les autres types de masques, selon les études. Ce sont les masques chirurgicaux qui s’en sortent le mieux, avec une atténuation inférieure à 5 dB. Les résultats obtenus par Pierre Devos et la Cotech sont similaires (graphe 2).
En outre, les masques détériorent certains indices sonores indispensables à la compréhension de la parole, comme les transitions de formants.
Microphone déporté, la solution
Faut-il pour autant éviter la généralisation du masque transparent ? Pas si vite… Pour les patients qui se reposent fortement sur la lecture labiale et les expressions du visage, ces masques sont indispensables et il faut continuer de les utiliser. Mais les professionnels de l’audition « doivent à tout prix prendre conscience de cet effet acoustique et réagir de la façon la plus adéquate possible ». Les réglages « masque » proposés désormais par la plupart des fabricants ne suffisent pas « car ils omettent l’amplification des signaux les plus faibles, en-deçà de la phase de compression, dont il conviendra de modifier les seuils d'enclenchement, au risque de fortement perturber les repères des patients. C’est un dilemme ! », concède l'audioprothésiste.
Les microphones déportés constituent la solution la plus efficace face à la perte d’intensité, au bruit de fond et à la mauvaise acoustique des locaux.
Pierre Devos, audioprothésiste Amplifon
En revanche, rappelle-t-il, « en complément de l’attention portée sur les réglages, il faut insister sur la guidance à l’attention des accompagnants : parler posément, porter sa voix sans crier, articuler, éviter la pollution acoustique de l’environnement (pas de télévision ni radio en fond sonore, etc.). Du bon sens ! »
Mais comme le montrent différents travaux2, la meilleure solution reste le microphone déporté : « C’est la solution la plus efficace face à la perte d’intensité (masque + distance), au bruit de fond et à la mauvaise acoustique des locaux (réverbération) », plaide Pierre Devos. Selon les travaux de Ryan Corey et ses collègues, un microphone porté à la poitrine diminue l’atténuation quel que soit le type de masque porté par le locuteur, et pourrait compenser entièrement les effets acoustiques délétères des masques3. « Afin de préserver les indices visuels sans détruire les indices sonores dans les hautes fréquences, les utilisateurs peuvent porter des masques transparents et un microphone à la poitrine », concluent ainsi les auteurs.
« Au cas par cas »
« En définitive, le choix d’un type de masque reste individuel et à considérer au cas par cas selon le degré d’attachement aux informations visuelles du patient, ajoute Pierre Devos. Pour les enfants, l’avis de l’orthophoniste aura une importance majeure et nous ne saurions trop recommander les échanges pluridisciplinaires à ce sujet ! »