Les mots pour le dire

Comment nommer une personne dont les capacités auditives ne sont pas parfaites ? Si la question peut paraître anodine, elle est primordiale pour les personnes sourdes ou malentendantes. À la demande de la Fondation pour l’audition, le cabinet d’études et de conseil Elabe s’est penché sur le sujet. Retour sur les principaux résultats avec Laurence Bedeau, associée au cabinet Elabe.

Propos recueillis par Bruno Scala
malentendu discussion

Audiologie Demain : Qu’est-ce qui a motivé cette étude ?

Laurence Bedeau : Le projet est né d’un constat de la Fondation pour l’audition : une difficulté à se parler, à se comprendre, évidemment entre personnes sourdes ou malentendantes et entendants, mais aussi entre personnes sourdes ou malentendantes. Certains mots n’ont pas forcément le même sens pour les deux interlocuteurs et, parfois, ces malentendus peuvent rompre le dialogue. L’un des interlocuteurs peut en effet se sentir attaqué ou mal considéré. Nous avons donc travaillé sur le sens que chacun prête à différents mots.

AD : Quel a été votre protocole ?

LB : Pour identifier les mots d’intérêt, nous avons procédé à une analyse sémio-linguistique, à partir de deux corpus : l’un écrit, l’autre oral. Le premier était formé de tous les mots utilisés par les associations de sourds ou malentendants, par les médecins ORL et les audioprothésistes, que nous avons recueillis sur les sites Internet. Le corpus oral était constitué d’une trentaine de personnes, le plus souvent des personnes sourdes ou malentendantes, avec une importante diversité de profils (sourd de naissance, devenu sourd, signant, oralisant...), mais également des accompagnants et quelques experts (médecins ou associatifs). C’est de ces corpus que nous avons identifié les termes et sujets d’intérêt.

AD : Quels sont les mots de la discorde ?

LB : L’utilisation des mots sourd et malentendant est un exemple frappant. Il est toutefois impossible d’établir une règle, ce qui accentue l’importance du dialogue. Le terme malentendant pourra être vécu comme une véritable agression alors même qu’il fait plutôt partie du langage socialement ou politiquement correct, qui consiste souvent à vouloir atténuer. Mais nous avons noté que cela dépend beaucoup de la trajectoire linguistique que la personne a choisie. Par exemple, pour une personne ayant fait le choix de la langue des signes, malentendant sera perçu comme une négation de son identité. Mais pour une personne qui a fait le choix de l’oralisation et qui se trouve donc dans une trajectoire empruntant aux deux mondes, avec souvent une position de médiation entre les deux, l’emploi de l’un ou l’autre terme ne provoque pas de sur-réaction. Et elle s’adapte davantage à son interlocuteur ou à la situation pour se qualifier elle-même. C’est en analysant les différents parcours, les choix qui ont été faits par ces personnes sourdes ou malentendantes que l’on découvre qu’il ne s’agit pas d’ergotage.

Les mots déficience, réhabilitation ou réparation, pourtant très utilisés dans le milieu médical, sont perçus avec une extrême violence, en raison de leur vision mécaniste

AD : Y a-t-il, à l’inverse, des mots fédérateurs ou qui font consensus ?

LB : Certains mots font l’unanimité. Ainsi, tous rejettent les termes handicap ou handicapé, très mal connotés et stigmatisants. De même, les mots déficience, réhabilitation ou réparation, pourtant très utilisés dans le milieu médical, sont perçus avec une extrême violence, en raison de leur vision mécaniste, qualifiant un être humain qui a été cassé, abîmé et donc diminué. Et cela coupe toute interaction humaine et transforme la personne en objet. Il y a un quasi consensus, même chez les personnes qui ont fait le choix de la santé auditive et qui sont porteuses d’implants cochléaires.

D’autres termes sont revenus très fréquemment dans les entretiens que nous avons eus : accessibilité, inclusion et visibilité. Le premier fait consensus absolu, dans le sens de l’accès aux services essentiels. Le consensus porte non seulement sur la définition, mais aussi sur la nécessité de se battre pour faire progresser l’accessibilité. Le mot inclusion est ramené majoritairement au cercle scolaire. Dans la société en revanche, l’inclusion est un sujet différent pour les personnes qui font le choix de la langue des signes, car être inclus, c’est être dilué. Donc, être intégré, oui, mais être inclus peut engendrer la disparition de la culture sourde. La visibilité est un sujet passionnant car complexe. Pour les personnes qui font le choix de la santé auditive, il y a la tentation de masquer la difficulté, pour être dans la norme. Mais paradoxalement, ces personnes souffrent de l’invisibilité des personnes sourdes et malentendantes dans la vie publique. Quant aux personnes signantes, elles sont très visibles et, souvent, les personnes qui ont fait le choix de la santé auditive ou de l’oralisation éprouvent une sorte de désirabilité de cette situation, qui offre la liberté d’être soi-même et d’appartenir à une communauté.

AD : Quelle portée va avoir cette étude ?

LB : Le premier objectif est de diffuser les résultats auprès d’un grand public entendant qui ignore la réalité de ce qu’est être sourd. L’étude a vocation à faire tomber des murs, plus que des plafonds de verre. Il ne s’agit pas de mépris, mais d’une pro- fonde méconnaissance, aux conséquences importantes, notamment dans le milieu professionnel. Il y a aussi une volonté de pousser auprès des pouvoirs publics des projets sur des chantiers visant à faire progresser l’inclusion et l’accessibilité notamment.

L’étude est accessible en intégralité sur le site de la Fondation pour l’audition : https://www.fondationpourlaudition.org/fr/ connaitre-et-comprendre-les-surdites-602

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