L’inflation, le prix à payer pour maintenir l’activité ?

Fabricants d’aides auditives comme audioprothésistes n’ont d’autre choix que de composer avec la hausse généralisée des coûts. Chacun explore des solutions pour limiter ses charges… Et celles des autres.

Par Pauline Machard

Le secteur de l’audioprothèse n’étant pas une « île déserte », « il subit, comme le reste de l’activité économique, une hausse de ses coûts », pose Richard Darmon, président du Syndicat national des entreprises de l’audition (Synea).

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Celle-ci concerne les frais généraux, les salaires et le prix d’achat des produits, car « les fabricants ont appliqué des augmentations ces derniers mois », parfois plusieurs. Et, pour Richard Darmon, la situation ne va pas s’améliorer : « Nous ne nous dirigeons pas vers des baisses de prix, dans les prochains mois. »

Les industriels sont les premiers touchés et répercutent cette augmentation de leurs coûts sur les tarifs de leurs aides auditives, leurs frais de port et en facturant chargeurs ou écouteurs, jusque-là gracieusement offerts. Récemment, Starkey, Signia, Widex, Biotone et Phonak ont annoncé une évolution d’au moins 5 % de leurs prix ; Oticon a choisi, pour le moment, d’épargner les produits de classe I de cette hausse. GN Hearing fait figure d’exception en choisissant de ne pas pratiquer d’augmentation tarifaire des contrats existants en cours d’année. « Nous ne sommes pas dans une bulle et subissons l’inflation, au même titre que nos concurrents, commente Xavier Temmos, directeur général de GN Hearing France. Mais, nous avons choisi d’absorber une partie de ces coûts pour ne pas impacter davantage nos clients, dans notre logique de partenariat. Nous pouvons nous le permettre car nous sommes en phase de croissance, en termes de parts de marché. Pour le moment, seule notre nouveauté ReSound Omnia est plus chère mais c’est une augmentation classique liée à une nouvelle technologie. »

Nous ne nous dirigeons pas vers des baisses de prix dans les prochains mois.

Richard Darmon, président du Synea

Un coût de production accru

Christophe Aubert, directeur Oticon France, avoue n’avoir connu, depuis qu’il travaille pour l’entreprise, que « de petites augmentations, plutôt liées à des évolutions de technologie. » Pour lui, « celle-ci, appliquée en cours d’exercice, est une première ». En cause cette fois : « Les circonstances mondiales exceptionnelles » de ces trois dernières années. Rien de moins qu’une pandémie ayant fait irruption fin 2019 en Chine, et qu’une guerre ayant éclaté en Ukraine en mars 2022.

Ces événements ont charrié de multiples hausses de coûts : des matières premières ; des composants électroniques, qui ont « fait l’objet d’enchères et de surenchères », relate Fabrice Vigneron, directeur général de Starkey France. Mais aussi des transports, de la main d'œuvre, de l’énergie, du carburant. Les fabricants, aussi fragilisés par des coûts fixes qui gonflent, ont dû fournir un important effort financier pour répondre à la demande. Et un autre, organisationnel, pour absorber le plus possible l’inflation. Ils ont alors grignoté leurs marges, recherché l’efficience sur la chaîne logistique et en interne et parfois limité la casse grâce à des choix stratégiques payants, comme celui de produire au plus près – en France pour Starkey, en Europe pour Oticon. Mais à un moment, la charge est devenue trop lourde. Il leur a fallu en déposer une petite partie en procédant à une première hausse. Leurs clients n’ont pas été surpris : « Tout le monde l’a compris, notamment parce que c’était une augmentation limitée par rapport à l’inflation », commente Christophe Aubert. C’était aussi nécessaire pour assurer les produits de demain.

Des audioprothésistes pris en tenaille

La profession s’active depuis longtemps pour contenir les hausses de prix, met en perspective le nouveau président du Syndicat des audioprothésistes (SDA), Brice Jantzem : « Le tarif catalogue augmente à chaque évolution technologique. Les remises aussi, sous la pression des centrales d’achats et de la taille des entreprises. Au final, le prix d’achat par les audioprothésistes (B2B) a cru de façon très progressive depuis une vingtaine d’années, et nous n’avons pas ressenti d’inflation brutale au cours du dernier exercice. » Les professionnels limitent aussi l’impact de ces augmentations dans des proportions acceptables pour les patients. Ainsi, illustre le président du SDA, le prix du marché des produits les plus performants, « fruit d’une concurrence entre acteurs, est plafonné à environ 4 000 € la paire depuis longtemps ». Le prix moyen, de l’ordre de 3 000 €, est « également resté constant depuis une dizaine d’années ». Et « le prix limite de vente (PLV) de la classe I a fait baisser le prix moyen de 10 % environ ». « Souvent, on voit le côté volume apporté par la réforme [le 100 % Santé], soulève Richard Darmon, mais il faut aussi voir les efforts de baisse de prix ainsi que le renforcement du service. »

Pour le président du Synea, « ce sont les audioprothésistes qui apportent la contribution la plus importante à la diminution du reste à charge, grâce à la forte baisse de leur prix moyen de vente », et ce alors que « leurs coûts augmentent, avec une inflation générale de 9 %, depuis 2018 ». Problème : même s’ils voulaient répercuter une partie sur les prix de vente, ceux-ci sont majoritairement encadrés. La classe I, avec un PLV à 950 €. Mais aussi une partie de la classe II, soulève Richard Darmon, une portion de l’activité se faisant via les réseaux de soins. Or, « dans les conventionnements des réseaux de soins, il y a presque toujours des prix limites de vente pour l’ensemble des produits ».

Revoir les PLV à la hausse ?

Face au contexte actuel, le Synea plaide pour « lever certaines contraintes ». « Il va falloir qu’on travaille avec les différents acteurs pour préparer des hausses de l’ensemble des prix limite de vente, que ce soit celui de la classe I ou ceux des Ocam », milite son président Richard Darmon. Pour lui, « il est important que tout le monde soit conscient que la qualité de service au patient nécessite du temps de travail, temps qui doit être rémunéré ».

Brice Jantzem passe en revue quelques pistes pour mieux cohabiter avec l’inflation : « La négociation avec les fabricants et une amélioration de la productivité ». « Mais à trop vouloir gagner sur cet axe, il y a un risque d’encourager l’exercice illégal ou de voir la qualité des prestations diminuer », souligne-t-il. Ou encore « la chasse au gaspi, en particulier sur les frais de port, les frais de chauffage ou d’éclairage des vitrines » et « si la situation se tendait, ce sont les centres secondaires exclusifs qui pourraient être remis en question, donc le maillage territorial ».

Quant à la piste d’une augmentation des tarifs libres de la classe II, Brice Jantzem y voit le risque d’une audioprothèse à deux vitesses, « avec d’un côté des audioprothésistes "low-cost" concentrés sur l’offre 100 % Santé avec un service minimal et une rentabilité liée à un volume très important, versus des audioprothésistes "classiques" avec une offre complète, un suivi long et qualitatif et une proportion moindre de classe I ». Franchir ce pas est à la discrétion de chacun, mais ce n’est pas simple, note Richard Darmon : du fait de « la forte concurrence, les acteurs n’ont pas de latitude pour adapter leurs prix ». Il constate d’ailleurs que « depuis la mise en place de la réforme, les prix de la classe II n’ont pratiquement pas augmenté. »

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