12 Juin 2023

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Lionel Collet : « Je ne vois pas quels arguments permettraient de dire qu’un audioprothésiste n'a pas la compétence pour réaliser une audiométrie »

Si ses nouvelles hautes fonctions le portent à considérer la santé au sens large, l’audiologie garde une place importante aux yeux de Lionel Collet. Le nouveau président de la HAS revient sur son parcours, ses missions et glisse quelques pistes aux acteurs de la filière audiologie pour avancer sur la mise en place d’un ordre, l’accès aux prescriptions et les partages de compétences.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
Lionel Collet

Votre nomination à la présidence de la HAS vient couronner une carrière à la fois hospitalo-universitaire et administrative. Pourriez-vous revenir sur les étapes marquantes de votre parcours ?

J’ai la carrière de tous les PU-PH, avec une trame qui est la fonction hospitalière et qui, dans mon cas, s’est déroulée à Lyon, en audiologie. Un universitaire mène aussi des activités de recherche et, à ce titre, j'ai dirigé un laboratoire CNRS en audition pendant 15 ans et dont j'ai démissionné en prenant la présidence de l'université Lyon I.

L’année 2012 a marqué un tournant dans mon parcours, puisque je suis devenu directeur de cabinet de la ministre de l'Enseignement supérieur. Et, en 2013, j'ai été nommé conseiller d'État. J’ai alors quitté les fonctions de PU-PH pour embrasser la partie administrative de ma carrière, et ce, pendant 10 ans. Durant cette période, il m’a été confié un certain nombre de missions, notamment en santé (lire l’encadré). Je ne pensais pas que cela me conduirait à présider la HAS.

Vous l’avez évoqué, vous avez également été appelé à des fonctions plus politiques au sein de deux cabinets ministériels...

Hormis ma fonction de directeur de cabinet de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso, en 2012, j'ai également exercé une activité en cabinet, en 2017, comme conseiller spécial auprès d'Agnès Buzyn, pendant neuf mois. Ainsi, entre le moment où j'ai décroché ma thèse de médecine, il y a 43 ans, et aujourd'hui, je n'ai véritablement passé que deux années en cabinets ministériels. Ce qui fait que je ne me considère pas comme un politique mais comme quelqu'un qui était là pour accompagner des dossiers par sa connaissance du milieu, qu'il soit hospitalo-universitaire ou de santé.

Dans une interview accordée à Acteurs publics, vous avez indiqué que « la HAS [était] un peu le Conseil d’État de la santé ». Quelles sont ces similitudes ?

Ce qui caractérise, entre autres, la HAS, c'est que ses membres, « ne doivent ni solliciter ni recevoir d'instruction d'aucune autorité ». Son président est nommé par le président de la République, après un vote des commissions des Affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat. Il s’agit donc d’une autorité indépendante qui revendique son indépendance et le Conseil d'État m'a appris ce que cela signifiait. C’est sur son modèle que je souhaite présider la HAS. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne doit pas y avoir de dialogue avec les pouvoirs publics, au contraire. Mais cette autorité doit être indépendante dans ses avis et dans la manière dont elle les élabore.

Le Conseil d'État repose par ailleurs sur un fonctionnement collégial. J’ai siégé pendant dix ans, à la section sociale où, selon la formule classique, l'intelligence collective permet de faire avancer la réflexion. Pour l'avoir pratiquée, on peut dire que c'est d’une remarquable efficacité. Je souhaite l’appliquer également au niveau du collège de la HAS.

Venons-en au rôle de la HAS. Quel est-il ? Les professionnels de santé le connaissent assez peu finalement…

Son objectif, et il ne doit y en avoir qu'un seul, est de garantir la qualité du système de santé. La HAS a été créée en août 2004 pour éclairer les décisions des pouvoirs publics dans le domaine de la régulation de notre système de santé. Elle est inscrite dans le code de la Sécurité sociale et l'article qui définit ses missions en est aujourd’hui à sa trentième version... C'est-à-dire qu’en 20 ans, il a paru opportun, plus d’une fois par an, d’ajouter de nouvelles missions – sans que des moyens supplémentaires aient accompagné cette évolution de la HAS. De cinq missions à l’origine, nous en sommes, en 2023, à plus de 22. C'est absolument considérable. Ce qui veut dire qu’il y a une attente importante des pouvoirs publics à l’égard de la HAS.

Elle exerce ses missions dans trois grands domaines. Il y a tout d’abord l'évaluation de la qualité des produits de santé, qui mobilise de nombreux moyens humains. Le second champ est celui des recommandations de bonnes pratiques professionnelles. Quant au troisième champ, c’est celui de la certification des établissements de santé et de l’accréditation des professions médicales à risque.

Cela pourrait avoir vraiment du sens dans le cadre du 100 % Santé qu'il y ait une recommandation sur l'appareillage auditif.

Le rôle de la HAS est de veiller à la qualité du système de santé. Pour garantir celle de la prise en charge audioprothétique, certains voix appellent à la mise en place de règles de bonnes pratiques, d'un décret de compétences voire d'un ordre. Lors de notre débat en février, vous jugiez qu’il manquait « gravement et cruellement un code de déontologie ou des règles professionnelles » en audioprothèse. Est-ce que ces travaux entrent dans le champ d’intervention de la HAS ?

La HAS n'a pas à se prononcer sur la création d'un ordre des audioprothésistes. En revanche, elle peut être saisie pour établir des recommandations de bonnes pratiques en audioprothèse. Et, s’il devait y en avoir, il faudrait bien qu'il y ait une structure derrière pour s'assurer de leur mise en œuvre.

La HAS peut également s’autosaisir mais je préfère, pour un sujet comme celui-ci, que l’initiative émane des professionnels de santé, des sociétés savantes en l'occurrence, voire des associations de patients, si ce n'est du ministre lui-même.

Cela pourrait avoir vraiment du sens, dans le cadre du 100 % Santé, qu'il y ait une recommandation sur l'appareillage auditif.

Face aux difficultés d’accès aux soins croissantes en audiologie, pensez-vous qu’il faille revenir sur la restriction de la primo-prescription par les MG, comme certains le souhaiteraient ?

Je rappelle que la HAS n’use pas d’arguments d’autorité pour émettre ses avis, mais s’appuie sur les données probantes de la science et les consensus d'experts. C'est donc là-dessus que la filière audio doit travailler. Et ce n’est qu’à partir de ce moment que nous pourrons répondre à ces questions. Est-il établi aujourd'hui que la restriction du nombre de prescripteurs conduit réellement à un retard de prise en charge ? Et, quelle est la conséquence de ce retard pour les malentendants ? Y a-t-il une perte de chance ? Démontrer l'existence de ce retard n'est pas du ressort de la HAS. En revanche, elle peut indiquer dans ses recommandations sous quel délai doit intervenir l’appareillage.

Cette réflexion pourrait être menée au travers d’une étude sur le parcours de soins des malentendants. Le rôle de la HAS ne serait alors pas d'établir une liste des professionnels compétents, mais plutôt de préciser les critères de qualité permettant d'examiner un conduit auditif, de regarder un tympan, ou de réaliser une audiométrie tonale, une audiométrie vocale. Il reviendrait ensuite aux pouvoirs publics de trancher.

Vous avez rappelé au cours de vos auditions que vous étiez un « adepte des compétences partagées ». Pensez-vous que cela soit une autre voie pour améliorer l’accès aux soins en audiologie ? La HAS peut-elle, là encore, intervenir ?

Je suis en effet favorable aux compétences partagées ; cela fait partie de mon parcours. Je prendrai l’exemple de l’autorisation de primo-vaccination contre la grippe par les infirmiers en 2018, obtenue après saisine de la HAS. Celle-ci s’est appuyée sur une revue de littérature pour estimer qu’il n’y avait pas plus d’accidents avec la primo-vaccination que les autres vaccinations quand elle était réalisée par un infirmier et non pas par un médecin. Et, c’est ce qui a conduit au décret qui a permis aux infirmiers de pratiquer cette primo-vaccination contre la grippe.

De manière plus générale, la HAS a déjà travaillé sur la délégation de tâches et a rendu un rapport en 2008 sur ce sujet. Elle va avoir de nouveau, tôt ou tard, à se repencher sur les compétences partagées, mais par domaine, en définissant ce qui peut être réalisé ou non par les uns et les autres, avec toujours la trame de la qualité. En montrant que cela ne nuit ni aux patients, ni au parcours de soins.
À supposer que la HAS ne soit pas prochainement saisie par la filière audio sur cette question, je pense que l'actualité nous impose de lancer ce travail...

Quelle forme pourrait prendre ce partage de compétences en audiologie ?

Le premier acte qui pourrait faire l’objet de compétences partagées est l'audiométrie. Depuis un arrêté de 1962, il s'agit d’un geste médical et l'audioprothésiste n'a le droit que de réaliser l'audiométrie à visée audioprothétique. Il faut remettre cette disposition dans le contexte des années 1960. L’audiométrie était le seul outil de mesure du fonctionnement auditif. Ce n’est plus le cas depuis la fin des années 1970 avec l’arrivée des outils de l'électrophysiologie auditive, l’électrocochléographie et les potentiels évoqués auditifs précoces puis des otoémissions acoustiques. De plus, les audiomètres et les conditions de réalisation des audiométries ont considérablement changé depuis les années 1960.

Par ailleurs, dès lors que l'audioprothésiste réalise une audiométrie pour un malentendant dans un but d'appareillage, on peut se demander pourquoi il ne peut pas le faire pour le tout-venant. Je ne vois pas, à titre personnel, quels sont les arguments qui permettraient de dire qu’un audioprothésiste n'a pas la compétence pour réaliser une audiométrie à certaines personnes mais qu’il le pourrait pour d’autres.

Dans le cadre du 100 % Santé, il ne me paraîtrait pas étonnant que l’on étudie d'assez près qui peut pratiquer l'audiométrie, d'une manière générale et très en amont de l'appareillage auditif.

Vous avez annoncé vouloir rencontrer les CNP et syndicats de toutes les professions de santé. Avez-vous déjà initié ces réunions ?

J’ai été nommé à la présidence de la HAS il y a un peu plus d’un mois. J’ai consacré l’essentiel de ce temps en interne, à faire le tour de cette grande maison et à rencontrer les équipes. J’entame une nouvelle période dédiée aux entretiens externes avec les interlocuteurs naturels que sont les ministères, Matignon, l’Elysée. Puis, j’entrerai dans la phase de rencontres avec les professionnels de santé. Je réfléchis au format que pourraient prendre ces réunions, car si certaines professions ne comptent que trois ou quatre CNP, d’autres en ont plus de quarante...

Quels vont être vos premiers chantiers ?

Je souhaiterais que le collège de la HAS identifie les sujets sur lesquels il paraîtrait opportun de définir une orientation. Je pense notamment au champ de l’évaluation des dispositifs médicaux. Nous devons nous demander comment faire pour que les patients en France aient encore plus accès à ces innovations tout en s’assurant de leur qualité justifiant une prise charge par la solidarité nationale.

Un deuxième axe important à mes yeux est l’amélioration de la diffusion et de l’impact des recommandations de la HAS auprès des professionnels de santé afin que celles-ci soient véritablement mises en œuvre. Cela devra sans doute passer par un travail de simplification de leur présentation et de l’instauration de liens plus importants avec les sociétés savantes.

L’intelligence artificielle est un autre thème central sur lequel la HAS va être de plus en plus amenée à travailler, par l’évaluation des outils bénéficiant de cette technologie, ainsi que de la place de celle-ci dans le parcours de soins et l’évolution des pratiques.

Un autre sujet me tient à cœur. La HAS a pour mission de réaliser une analyse prospective annuelle. Le thème de 2024 est déjà connu et a été arrêté par l'ancien collège. Je souhaiterais consacrer celle de 2025 aux innovations les plus significatives, qu’elles soient technologiques ou organisationnelles, et aux modifications auxquelles celles-ci pourraient conduire dans les années à venir dans le système de santé.

Outre l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques, sur quels aspects la HAS peut-elle encore intervenir en audiologie ?

Ce n’est pas encore d’actualité mais nous aurons peut-être à évaluer, demain, des biothérapies ou thérapies géniques pour des formes de surdités génétiques.

Et si j'avais un souhait, pendant mon mandat, ce serait d'avoir à évaluer une innovation de rupture dans le domaine des dispositifs médicaux en audiologie. J’en serais très heureux.

Audiologie Demain
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