12 Septembre 2024

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L’otoneurologie vestibulaire, le parent pauvre de l’ORL

En France, les médecins spécialisés dans l'exploration de la fonction vestibulaire sont rares. Pourtant la pathologie est commune, et souvent liée à la fonction auditive. Des initiatives fleurissent pour proposer une offre de soins conjointe.

Par Violaine Colmet Daâge
(c)Vadym AdobeStock

Les vertiges coutent cher. Très cher. Aux États-Unis, les pathologies vestibulaires aigües (maladie de Menière, migraine vestibulaire, vertiges positionnels paroxystiques bénins ou VPPB) pèsent près de 150 milliards de dollars par an*, l’équivalent de la moitié du budget** consacré au diabète de type 2 outre-Atlantique. En cause : la réalisation d’examens onéreux inadaptés en raison de la méconnaissance de ces pathologies par les professionnels de santé. « Et ce chiffre ne tient pas compte des couts liés aux arrêts de travail ! », souligne le président de la SFORL, le Pr Vincent Darrouzet.

En France, le constat n’est pas meilleur. Les vertiges constituent le troisième motif de consultation chez le généraliste et environ « 1 % du recours aux urgences », évalue le directeur de recherche CNRS au GDR Vertiges, Christian Chabbert. Jusqu’à 30 % des Français connaitront un vertige au cours de leur vie mais faute de spécialistes, « les patients vertigineux sont souvent en errance médicale », poursuit le Pr Darrouzet. Résultat : ils multiplient les examens inutiles. Chaque année, quelque quinze millions de consultations [1] concernent ce symptôme ! Une prise en charge optimisée permettrait donc de réduire considérablement les couts de santé mais aussi d’améliorer la santé de la population. Selon une étude parue en 2009 [2], aux États-Unis, un quart des vertiges pourraient être liés à un accident ischémique transitoire prémonitoire ou un accident vasculaire constitué. Or « une IRM faite “à chaud” ignore 15 à 20 % des atteintes vasculaires », s’inquiète le Pr Darrouzet. Dans une tribune publiée sur What’s up doc, il rappelle pourtant que les sociétés savantes ont clairement défini les critères diagnostiques qui permettent de déterminer en quelques minutes la nécessité de poursuivre ou non ces explorations. En outre, l’étiologie de ces pathologies restent souvent méconnues et la recherche demeure encore très peu soutenue.

Avec le vieillissement de la population, le nombre de patients vertigineux pourrait croitre alors que l’offre de soins reste largement sous-développée en France et que les soignants de premier recours sont mal formés. L’urgence est donc « de développer à la fois la recherche et tout l’écosystème des soins », résume Christian Chabbert.

Un nouveau centre à Monaco

À Monaco, une nouvelle offre a vu le jour en janvier dernier (lire l’encadré). Créé par l’ancien chef du service ORL du CH Princesse-Grace à Monaco, le Dr Pierre Lavagna, le centre Otoneuro Monaco propose des bilans et traitements pour la surdité, les acouphènes, les vertiges et les troubles de l’équilibre avec un plateau technique particulièrement étoffé. « Tous les bilans durent une heure », précise le médecin. Les explorations auditives comprennent les audiométries et les tests vocaux, pour l’adulte et l’enfant. Des explorations électrophysiologiques (otoémissions provoquées, produits de distorsion acoustique, potentiels évoqués auditifs, ASSR) et le bilan pré-implant sont également réalisés sur place. Le tout complété par des tests auditifs centraux à la recherche de troubles du traitement auditif ou de surdités cachées.

Otoneuro Monaco : un centre dédié à l'audition et à l'équilibre

Dans un espace cosy et chaleureux au coeur de la principauté monégasque, les Drs Pierre Lavagna, Catherine Schosseler et Brigitte Lehner, tous trois spécialistes ORL aguerris à l’otoneurologie vestibulaire, reçoivent depuis janvier enfants et adultes souffrant de surdité, d’acouphènes, de vertiges ou de troubles de l’équilibre, pour des bilans approfondis. Deux « audiologistes » – l’audioprothésiste Elisa Zhan et la technicienne audioprothétique Émilie Settinieri – et deux assistantes complètent l’équipe.

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centre otoneuro2
Le Dr Pierre Lavagna réalise une vidéonystagmoscopie sur une patiente.
Sur 300 m2, Otoneuro Monaco dispose d’un plateau technique de pointe. Trois salles sont dédiées aux explorations auditives qui comprennent les audiométries, la tympanométrie, les potentiels évoqués auditifs, les otoémissions acoustiques, l’électrocochléographie. Le centre propose un bilan auditif complet pour les acouphènes, ainsi que des thérapies comportementales et cognitives sur place, ou le traitement Lenire, une thérapie innovante de neuromodulation bimodale. Les examens pour les vertiges sont également étoffés : vidéonystagmosgraphie, VHIT (video head impulse test), potentiels évoqués otolithiques, vidéooculographie, stabilométrie, bilan orthoptique et neurovisuel. Une plateforme de diagnostic et de rééducation Motion VR avec un casque de réalité virtuelle, un siège TRV pour la rééducation des vertiges positionnels sont également disponibles. Des collaborations étroites ont été développées avec un réseau de professionnels (neurologues, neuroradiologues, ophtalmologistes, médecins du sport, orthoptistes, orthophonistes, audioprothésistes, kinésithérapeutes vestibulaires, CHPG, IUFC), mais aussi avec le CNRS, l’Inserm et le GDR Vertiges.

Une tendance nationale

Cette offre de soins privée en otoneurologie vestibulaire répond à une demande forte et d’autres initiatives ont fleuri ces dernières années en France, comme à Lille, Toulouse ou Marseille. À Paris, le centre dédié aux troubles de l’équilibre – le centre d’exploration fonctionnelle otoneurologique, Cefon – sera prochainement remplacé par un nouveau centre dédié aux troubles vestibulaires, rue du Louvre. « Nous avions proposé une expérimentation d’un parcours de soins (avec l’article 51) pour la prise en charge du patient vertigineux à l’hôpital, mais l’ARS ne nous a pas soutenus », raconte l’ORL de Lariboisière, la Dr Charlotte Hautefort, qui rejoindra à mi-temps le nouveau centre parisien. En cause : des actes chronophages et peu rémunérateurs, impossible à supporter pour une structure publique. « Les bilans et la prise en charge du patient vertigineux sont longs et compliqués. La valorisation CCAM n'a pas évolué depuis des années », déplore la Dr Hautefort. Résultat : les médecins sont contraints de proposer ces bilans avec des dépassements d’honoraires.

En France, les explorations fonctionnelles attirent peu la nouvelle génération d’ORL et nous avons formé principalement des chirurgiens.

Pr Vincent Darrouzet

« Les troubles de l’équilibre peuvent venir de l'oreille interne, mais aussi de la vision ou du système de l’équilibre neurologique suite à une commotion cérébrale ou dans le cadre d’une maladie neurologique (démences, SEP, Parkinson, AVC) », explique le Dr Lavagna. Or, c’est principalement à l’hôpital que les passerelles entre spécialités (ORL, neurologie, médecine interne, etc.) s’organisent. Les patients y sont donc dirigés. Mais « aujourd’hui, les hôpitaux ne peuvent plus faire face à l’afflux de patients », regrette la Dr Hautefort. Ces centres privés offrent ainsi une alternative. « L’idée est de se rassembler par petits groupes d’experts », en mutualisant un matériel volumineux et en collaborant avec d’autres spécialistes, explique-t-elle. À Monaco, le centre travaille par exemple avec des kinésithérapeutes vestibulaires, des ophtalmologues, des orthoptistes ou des neurologues. Il est également adossé à un centre d'imagerie médicale.

Un institut dédié à l’otoneurologie vestibulaire

« C'est important que des centres privés s’emparent de cette question mais il doit exister en parallèle une offre de soins publique, en accès simple et sans dépassement d'honoraires », défend le Pr Darrouzet. Avec Christian Chabbert, il travaille à la création d’un réseau de spécialistes à l’échelle nationale. Cet institut de recherche Équilibre et Vertiges (IREV) identifiera l’offre de soins « de haut niveau » (publique et privée) adossée à des centres de recherche. « L’idée est de donner de la visibilité à cette thématique et de rassembler cliniciens et chercheurs autour, sur la période 2025-30 », pointe Christian Chabbert. Le projet comprendra trois piliers : un soutien à la recherche, à la formation des soignants impliqués dans la prise en charge du patient vertigineux – neurologues, ORL, médecin physique et réadaptation, kiné vestibulaire, orthoptistes, etc. –, et à la valorisation translationnelle. Il sera soumis à ses ministères de tutelle à l’automne prochain.

Le Pr Darrouzet appelle à former davantage les médecins ORL et les professionnels de santé de premier recours. Il explique : « En Allemagne, en Espagne, en Italie, l’offre de soins est bien plus importante. Mais en France, les explorations fonctionnelles attirent peu la nouvelle génération d’ORL et nous avons formé principalement des chirurgiens. » Une sous-spécialité mieux structurée et plus rentable à terme. Les médecins ORL et les neurologues formés à l’otoneurologie vestibulaire sont pourtant les seuls à maitriser l’ensemble des outils d’évaluation de la fonction vestibulaire et cochléaire et leur manque est aujourd’hui criant. Ainsi, en 2021, l’otoneurologie vestibulaire a été reconnue comme discipline rare, en raison notamment « de la proposition d’enseignements très insuffisante pour faire face aux besoins du domaine ». « Il faut lancer une dynamique et que, dans chaque CHU, il y ait un référent vertige », insiste-t-il. La recherche doit, elle aussi, être mobilisée. En France, seule une dizaine de chercheurs investiguent cette problématique, regrette Christian Chabbert. À Monaco, un partenariat de recherche sera mis en place avec le CNRS et l’Inserm. Les recherches permettront l'exploitation des data collectées lors des consultations d’otoneurologie. Elles seront complétées par des études cliniques.

*Selon une étude publiée en 2022, sur les données de 2018.

** 301 milliards de dollars, la même année (2018)

centre otoneuro
Au centre Otoneuro de Monaco : fauteuil TRV, traitement de référence pour le traitement des vertiges paroxystiques positionnels bénins.
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