« Ma principale inquiétude, c'est l'impact que les OTC pourraient avoir sur la réputation des aides auditives »

L’actualité est riche sur le marché américain de l’aide auditive avec l’arrivée imminente des appareils OTC. Brandon Sawalich, PDG de de Starkey et également ex président de l’association américaine des entreprises de l’audition (HIA), livre son analyse de la situation et dévoile quelques informations sur les innovations actuelles et à venir de sa marque.

Propos recueillis par Bruno Scala
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Brandon Sawalich, PDG de Starkey Hearing Technologies

Audiologie Demain : Le marché américain des aides auditives est agité depuis quelques années par l’annonce de l’arrivée, désormais imminente, des solutions auditives OTC (over-the-counter – lire l’encadré ci-dessous). Quelle est votre opinion sur cette question et comment Starkey se prépare à cette vague ?

Brandon Sawalich : Cette discussion sur les OTC a vraiment commencé en 2012 par le biais de nombreuses associations. Nous en parlons depuis des années. Il y a eu de nombreux débats et nous commençons à y voir plus clair. Mais je ne pense pas que l’on doive se préparer à une vague. La presse en parle beaucoup et il y a beaucoup d’effervescence, mais peut-être que nous verrons un pic dans les ventes au début, puis une chute, ou bien peut-être une lente progression dans les 3 à 5 ans, en parallèle du marché des aides auditives... Les appareils OTC sont simplement des solutions auditives moins chères. Ce qu'il se passe, c'est que la FDA entre autres a mis un nom, une identité sur ces produits. Maintenant, il reste à en déterminer la définition exacte, les garde-fous, et la régulation. Il y a eu de nombreuses spéculations. Beaucoup d’entreprises spécialisées dans l'électronique grand public sont arrivées sur le marché et ont vraiment poussé à la mise en place de ces produits OTC au cours des six dernières années. Mais je suis dans l'industrie de l'aide auditive depuis 28 ans et j'ai vu beaucoup de ces sociétés, comme Johnson & Johnson, Panasonic ou encore Bose, entrer sur notre marché puis le quitter. Car notre activité s’intéresse au soin et à ce qu'il se passe après l'achat d’une aide auditive. Les deux problématiques importantes concernant les solutions OTC sont la sécurité et la satisfaction. Aux États-Unis, le taux de satisfaction des personnes appareillées atteint un score historique de 88 %. Dans ce contexte, il n'est pas certain que les OTC apportent quoi que ce soit de supplémentaire.

Les OTC en bref

En 2017, Donald Trump signait l’OTC Bill, faisant de ce texte une loi. Restait à la FDA d’établir le cahier des charges de cette nouvelle catégorie d’aides auditives. En raison de la crise, l’agence américaine de l’alimentation et des médicaments a pris un peu de retard dans cette tâche, mais en octobre 2021, et après un petit coup de pression du nouveau locataire de la Maison Blanche, elle a publié une proposition de réglementation. Une consultation publique est désormais en cours et devrait, selon les spécialistes américains du sujet, se terminer courant 2022.

AD : Selon vous, les OTC peuvent-ils faire du tort à l’industrie de l’aide auditive ?

BS : J’entends souvent dire que les fabricants d'aides auditives sont opposés à leur autorisation sur le marché parce que nous concevons et fabriquons des dispositifs que la réglementation sur les OTC a l'intention de rendre plus accessibles, aussi bien en termes de disponibilité que de prix. Mais cela n'est pas ma principale inquiétude. Mon principal souci est l’impact que les OTC pourraient avoir sur la réputation des aides auditives. Les personnes qui ont besoin de soins auditifs doivent s'équiper d'aides auditives réglées par un professionnel et non d'un appareil acheté une centaine de dollars, qui est en fait une sorte d'assistant d'écoute ou d’amplificateur qui porte maintenant le nom d'aide auditive. C'est cette confusion et les conséquences pour les personnes qui cherchent de l'aide pour leur déficit auditif qui m'inquiètent. Car, bien sûr, nous savons tous qu'il y a une différence de qualité et de technologie entre des aides auditives achetées chez un audiologiste et un produit qu'on se procure contre une centaine d’euros en ligne. Et d’ailleurs, on voit déjà des personnes, qui ont acheté ces produits, débarquer chez les audiologistes en se plaignant qu’ils ne fonctionnent pas. Mais les professionnels de l'audition ne peuvent rien faire, car il ne s’agit pas d’aides auditives !

AD : est-ce qu’il y a un potentiel danger pour la santé ?

BS : Bien sûr, si le niveau de sortie autorisé est de 120 dB, c’est problématique. Dans ce cas, moi, je porte des protections ! Encore une fois, il s’agit de satisfaction et de sécurité, et cela commence avec un bilan en amont. De plus, il faut tenir compte des personnes qui auront besoin de voir un médecin parce qu'elles présentent un problème autre qu’une simple perte d’audition. L’aide auditive n’est qu’un outil dans l’amélioration de l’audition ; il ne s’agit pas d’une pilule miraculeuse, c’est une procédure bien plus longue. C’est irresponsable d’ignorer cela. Et c’est une prise en charge à long terme, car l’audition change et il faut des réglages fins pour s’adapter à cette évolution.

Par ailleurs, initialement, l’OTC Bill parlait de réserver ces solutions pour les pertes auditives légères à moyennes. Mais qui sait ce que signifie « légère à moyenne » ? On sait ce qu’est un taux de cholestérol ou la tension artérielle, mais le niveau de la surdité, non. On risque vraiment de se retrouver avec des patients qui portent – ou pas d’ailleurs – des appareils pas du tout adaptés à leur pathologie.

AD : Malgré cela, est-ce que Starkey compte proposer des OTC quand cette catégorie entrera en vigueur ?

BS : Bien sûr, nous imaginons certains scénarios et nous formulons des hypothèses à ce sujet mais nous n'avons aucune certitude concernant les règles que la FDA va imposer pour cette catégorie d'aides auditives. Quoi qu’il en soit, il faudra garder à l’esprit la satisfaction et la sécurité des patients et continuer à soutenir nos clients et les professionnels de la santé auditive.

AD : Est-ce que les OTC ne vont pas amener de nouveaux patients sur le chemin de l’appareillage ?

BS : En effet, et il faut saisir cette opportunité. Une personne qui fera la démarche d’acquérir des OTC, c’est quelqu’un qui demande de l’aide et qui dit « j’ai un problème, j’ai une perte d’audition, j’entends mal ». Je pense que les professionnels de la santé auditive vont devoir intégrer ces patients dans l’équation. Comme on le sait, le temps entre la prise de conscience du trouble de l’audition et l’achat d’aides auditives est de sept années environ. Si les OTC permettent de réduire ce laps de temps, super ! Dans ce cas, nous pourrions en effet envisager de nous emparer de ce sujet, mais, encore une fois, tout dépendra des règles imposées par la FDA.

AD : Avec l’arrivée des OTC, certaines entreprises spécialisées dans l’électronique grand public empiètent sur le marché de l’aide auditive. Mais en proposant des fonctionnalités de type détecteur de chute, traduction instantanée, etc., n’avez-vous pas aussi empiété sur leur marché ?

BS : Je ne considère pas que le détecteur de chute soit une fonctionnalité qui sort du champ de la santé. Nous nous adressons à un public âgé, souvent de plus de 70 ans. Ce genre de fonctionnalité concerne la santé et le bien-être en général. Bien sûr, la traduction instantanée sort de ce champ, mais vise uniquement à simplifier la vie des utilisateurs. 95 % des technologies ou des fonctionnalités que nous proposons concernent la qualité du son. C’est notre priorité absolue, la base de l’aide auditive. Écoute dans le bruit, clarté du son, connectivité... Voici ce dont les patients ont besoin, et cela ne relève pas de l’électronique grand public.

Je ne m’attends pas à ce qu’il y ait un jour un bouton magique qui permettrait une audition parfaite. L’accompagnement humain sera toujours indispensable.

Je ne suis pas sûr que ces entreprises aient un quelconque intérêt à investir ce marché, cela représente une trop petite portion de leur activité. Et puis, elles n’ont pas la philosophie nécessaire pour cela. Quoi qu’il en soit, nous entretenons avec elles de bonnes relations. Nous avons même collaboré avec certaines comme Apple, mais nous ne faisons pas le même métier. Y compris dans le design du produit. Les earbuds, c’est confortable, mais après quelques heures, on a envie de les enlever. Nous, nous fabriquons des appareils qui doivent être portés 14 heures par jour.

AD : Est-ce que le fait de proposer ces fonctionnalités, de concevoir des designs similaires à des produits grand public, vous aide à déstigmatiser la perte auditive ?

BS : C’est vrai que les entreprises d’électronique grand public ont aidé à faire en sorte que mettre quelque chose dans l’oreille est cool ! C'est une bonne chose car il faut rappeler que nous fabriquons des appareils dont les gens ne veulent pas ! L’adoption de ces produits, en particulier par la génération X et les milléniaux, aide. Cela fait des années que nous attachons beaucoup d’attention au design de nos aides auditives mais la meilleure solution est toujours celle qu’on ne voit pas ! Néanmoins, nous nous adressons à des personnes plus âgées qui accordent moins d’importance à cette apparence et qui ont surtout besoin d’être connectées.

AD : Avec Evolv AI, les évolutions portent essentiellement sur la qualité du son, et non sur ces fonctionnalités « annexes ».

BS : Nous nous sommes en effet concentrés sur la qualité du son. Nous voulons que l’expérience des utilisateurs soit sans effort. La qualité sonore que nous proposons fournit aux utilisateurs la meilleure expérience, quel que soit l’environnement sonore. C’est ainsi que nous utilisons l’intelligence artificielle et nous allons poursuivre dans cette voie. Et nous proposerons quelque chose d’encore meilleur bientôt.

AD : Dites-nous en plus ! Quelles sont les prochaines étapes pour Starkey ?

BS : Ce que nous faisons actuellement est super, mais nous allons bientôt proposer un tout nouvel écosystème d’expérience sonore, différent de ce que nous proposons aujourd’hui. L’approche est plus large. Nous souhaitons toujours améliorer l’audition de nos patients, mais aussi leur expérience, ainsi que celle du professionnel. Nous voulons qu’elles soient, toutes deux, plus intuitives. De la même manière qu’il n’est pas nécessaire de lire une notice d’utilisation avant de conduire une Tesla, nous voulons que les professionnels de l’audition comprennent intuitivement comment fonctionnent nos produits, comment accéder aux besoins du patient en fonction de son profil, comment procéder facilement à des réglages fins, etc. Et ce, de façon à améliorer l’expérience du patient, qu’elle soit la meilleure de tout le marché. C’est dans ce sens que j’apprécie la concurrence, des OTC ou des autres, car elle nous pousse à développer d’excellents produits. D’ici le premier semestre 2023, ce sera le début d’une nouvelle ère pour Starkey et je crois que les patients seront impressionnés.

AD : Avec Livio AI et maintenant avec Evolv AI, vous faites appel à l’intelligence artificielle, qui est de plus en plus présente dans l’audiologie. Certains audioprothésistes s’inquiètent que leurs compétences ne soient un jour plus nécessaires. Qu’en pensez-vous ?

BS : Je vais être clair : tout est une affaire de prise en charge des patients. Vous pouvez avoir toute la technologie que vous voulez, il y a toujours un patient en face de vous. Bien sûr, on peut développer de nouvelles fonctionnalités, comme le mode Edge, pour simplifier le travail du professionnel et l’expérience du patient. C’est ce que j’appelle l’intelligence artificielle conviviale. Et nous devons continuer à développer de telles technologies.

Mais pourquoi avons-nous un si haut taux de satisfaction aux États-Unis ? Grâce aux professionnels de santé. Le soin et le suivi, c’est aussi cela qui aide le patient à entendre mieux. Il ne s’agit pas que d’un produit. Je ne m’attends pas à ce qu’il y ait un jour un bouton magique qui permette une audition parfaite. L’accompagnement humain sera toujours indispensable.

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