Malade de ses « bips », l’hôpital doit faire sa mue sonore

Les alarmes sonores jouent un rôle central dans le système de surveillance et de soins à l’hôpital. Mais, sources de stress pour les patients et les soignants, elles devront être converties en sons moins agressifs et porteurs de plus d’information.

Par Stéphane Davoine

Il y a les portes qui s’ouvrent et qui se ferment, il y a le vrombissement des roues des chariots sur le sol des couloirs, il y a le brouhaha des conversations. Et surtout, il y a les « bips », ces sons d’alarmes brefs et perçants, qui disent mieux que tout autre chose que vous êtes à l’hôpital...

Une overdose de bips

reanimation alarme 2
Ensemble, ces multiples sources sonores créent une cacophonie à même de flirter avec les 90 dB. Même lorsque tout est « calme », les patients jouissent rarement d’un environnement sonore qui n’excède pas les 35 dB recommandés par l’OMS dans les établissements hospitaliers. En 2013, les agences régionales de santé du Centre et du Limousin avaient rapporté que les nourrissons des services de néonatologie étaient exposés à des pics de 120 dB. Les alarmes générées par les équipements de surveillance des malades constituent une pollution sonore prégnante et répétitive. Un patient en entendrait en moyenne plus d’une centaine quotidiennement. Souvent sans raison valable, puisque la plupart sont induites par des connexions défaillantes ou des fluctuations bénignes des signaux vitaux. On estime que 80 à 99 % des alarmes déclenchées dans les unités hospitalières sont fausses ou cliniquement insignifiantes.

Chez les patients, ce bouillon d’alarmes occasionne anxiété, perte de sommeil et parfois des troubles du stress post-traumatique. Pour le personnel soignant, il en résulte de la fatigue, une concentration diminuée, un temps de réaction allongé et, au final, un risque accru de non prise en charge d’une urgence. Une étude de 2016 rapporte que 200 décès annuels sont dus à des problèmes d’alertes sonores défectueuses ou à des défauts d’interprétation [1].

Rationaliser les alarmes

La métamorphose des systèmes d’alarmes hospitalières est ainsi indispensable. Rationaliser leur trajet et les diriger vers certains professionnels, plutôt que tous ne les reçoivent d’emblée, est un axe d’amélioration. Cela implique une nouvelle organisation où l’ensemble des équipements médicaux sont raccordés à un même système informatique qui dispatche les alarmes en temps réel. Le signal est initialement routé vers la personne la plus à même d’y répondre. Si elle n’y répond pas, l’alarme poursuit son chemin vers un autre soignant, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’elle soit prise en charge.

Afin de réduire le nombre d’alertes sonores provoquées par des variations sans gravité des signaux monitorés, des chercheurs allemands ont développé en 2015 un algorithme qui stoppe les déclenchements selon un intervalle déterminé autour d’un seuil prédéfini. Par exemple, l’alarme peut être désactivée si le rythme cardiaque augmente jusqu’à 3 %, et ne se relance qu’au-delà de ce pourcentage. Un tel garde-fou permet d’éliminer un pourcentage élevé de bips inutiles. Des chercheurs brésiliens et canadiens ont utilisé une approche similaire, s’appuyant sur l’intelligence artificielle pour déterminer si plusieurs signaux sonores se déclenchant sur une courte période peuvent être regroupés, sans compromettre la sécurité du patient [2].

Intégration d’information

Autre voie d’évolution complémentaire et prometteuse : la modification des sons utilisés par les appareils de surveillance, souvent désagréables pour les tympans. On peut aller plus loin dans cette voie en enrichissant ces signaux d’information. En 2020, la norme CEI 60601-1-8, qui avait été établie par la Commission électronique internationale (CEI) en 2006 pour fixer les tonalités de sept fonctions médicales, a été actualisée. Un comité de spécialistes a imaginé un système d’« icônes auditives » qui fonctionnent comme des métaphores [3]. Par exemple, un son liquide suggèrera le changement d’une perfusion alors qu’un bruit de battements de cœur attirera l’attention sur une variation du rythme cardiovasculaire. Ces marqueurs sonores demeurent audibles à des intensités inférieures à celles nécessaires aux « bips ». Des signaux vocaux ont également fait leur preuve. Ils ont l’avantage d’être particulièrement explicites et de ne pas obliger les soignants à mémoriser la signification des bips qui ne portent aucune information. À l’avenir, la CEI pourrait rendre obligatoire la mise en oeuvre de ce système d’icônes.

Intégrer progressivement de l’information dans les alarmes hospitalières, c’est créer des paysages sonores qui renseignent sur l’état et les besoins des patients. Dans cette optique, la sonification des données des malades mène jusqu’à la « biomusique », où la physiologie est traduite en notes, mélodies et tempos. Pour un résultat très « parlant », esthétique et agréable à l’oreille. Une musique posée et douce rendra compte d’un état calme et serein alors qu’une partition plus rythmée et aiguë exprimera une anxiété, un mal-être ou une douleur. Développée pour les enfants autistiques sans expression orale, cette musicalisation de l’état d’un patient pourrait trouver place dans l’organisation d’un environnement sonore plus paisible et efficient. Et plus hospitalier.

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