MDR, la loi qui ne fait pas rire les fabricants

Le nouveau règlement européen sur les dispositifs médicaux (MDR) entre en vigueur le 26 mai 2021, après un an de report en raison de la crise sanitaire. Un encadrement plus strict qui devrait avoir un impact important sur la filière et sur le rythme des lancements de produits.

Par Bruno Scala
MDR parcours obstacle

En 2014, une reporter néerlandaise passait avec succès les premières étapes en vue de l'obtention d'un marquage CE pour... un filet de mandarine ! Elle l’avait fait passer pour un implant vaginal ! Cet événement médiatique, déclencheur d’une vaste enquête nommée « implant files »1 , avait pointé du doigt certaines lacunes dans la réglementation des dispositifs médicaux (DM). Le 26 mai 2021, une nouvelle réglementation, baptisée MDR (pour medical device regulation), entre en vigueur. C’est le résultat d’une longue évolution des règles qui prévalaient jusque-là. « La réglementation concernant la mise sur le marché des dispositifs médicaux date des années 19902 : elle repose sur une directive sur les DM implantables de 1990 et une autre sur les DM en général de 1993, explique Cécile Vaugelade, directrice des affaires technico-réglementaires au Snitem. Depuis, cette réglementation est dans un processus d’actualisation permanent. Elle a notamment connu une importante mise à jour en 2007. Et, dès 2008, la Commission européenne a mené des enquêtes pour anticiper les évolutions suivantes. En 2013, elle a adopté un règlement d'exécution (un texte précisant les modalités d’application, NDLR) concernant les organismes notifiés chargés de réaliser les audits en vue du marquage CE. Ce texte laissait présager les exigences renforcées du nouveau règlement, adopté en 20173 : le MDR. » Sa mise en application devait intervenir le 26 mai 2020, mais a été repoussée d’un an en raison de la crise sanitaire.

« Niveau d’exigence rehaussé »

« Plusieurs facteurs ont influencé cette nouvelle réglementation, explique la représentante du Snitem : l’évolution des produits, l’amélioration des démonstrations, notamment cliniques, la nécessité d’harmoniser les pratiques des organismes notifiés, etc. Le scandale des prothèses PIP a également nourri la réflexion. » Résultat, le Conseil européen a accouché d’un texte plus strict. En témoigne sa longueur : 175 pages alors que la directive de 1990 n'en comptait que 65. « L’architecture ne change pas, les étapes qui mènent à un marquage CE non plus, précise Cécile Vaugelade. En revanche, c’est le niveau d’exigence des démonstrations cliniques qui est rehaussé. De même, l’exigence des procédures de vérification par les organismes notifiés augmente avec le niveau de risque du dispositif médical*. »

La fin des équivalences

Concrètement, les dossiers que les fabricants vont devoir monter en vue de l’obtention du marquage CE seront plus complexes, notamment en ce qui concerne la démonstration clinique. « Jusqu’à maintenant, les DM étaient marqués CE sur la base d’une démonstration de la performance (balance bénéfice/risque) et de la sécurité, explique Dan Gnansia, qui dirige le pôle Recherche & Technique chez Oticon Medical. Pour cela, il était possible d’utiliser des données par équivalence, notamment avec des produits concurrents similaires. C’est un peu comme cela que le filet de mandarine a pu passer les premières étapes de la procédure de marquage. Cela ne sera plus possible. Il faudra donc collecter des données cliniques pour quasiment tout. Un processus qui va ajouter environ deux ans pour chaque marquage ! On se rapproche ainsi d’une réglementation pharma. » Cécile Vaugelade confirme : « Un fabricant ne pourra procéder par équivalence que s’il a accès à l’intégralité de la documentation technique du produit – concurrent – sur lequel se base l’équivalence, ce qui n’est jamais le cas dans les faits. Il y a donc une obligation d’investigation clinique. »

Autre exemple de cette exigence accrue : les DM de classe III, comme les implants cochléaires, devront être évalués par un panel d’experts qui donnera un avis sur l'évaluation clinique réalisée par l’organisme notifié, assurant une double vérification (lire l'interview dans l'encadré ci-dessous).

Le système du marquage CE est déjà saturé. Est-ce qu'il va réussir à absorber ce nouveau règlement ? Cette question est en suspens.

Cécile Vaugelade, directrice des affaires technico-réglementaires au Snitem

« Un système déjà saturé »

En plus de ces nouvelles difficultés, le nombre d’organismes notifiés a fortement chuté. En 2012, on en dénombrait 80. En avril 2020, à quelques semaines de l’entrée en vigueur théorique du MDR, ils étaient 11. Ils sont 20 aujourd'hui (parmi lesquels les deux généralement sollicités par les fabricants d’implants cochléaires). D’autres sont engagés dans le processus de certification, mais il est long et la crise sanitaire l’a encore considérablement ralenti. « Chaque organisme notifié est compétent sur un certain nombre de domaines, correspondant à des codes, détaille Cécile Vaugelade. Dans le cadre du MDR et afin de rehausser le niveau d'exigence, ces codes ont été “redécoupés” et les organismes doivent donc à nouveau faire la preuve de leurs compétences pour chacun d’eux. » Ainsi, le système risque de se retrouver dans un goulot d'étranglement. « Il était déjà saturé, rapporte-t-elle. Or, on ajoute du temps d’évaluation pour répondre à ce nouveau règlement. Est-ce que le système va réussir à absorber cela ? Cette question est en suspens. » En mai 2019, l’Ehima s’était d’ailleurs inquiétée de cette situation et avait appelé la Commission européenne et les États membres « à accélérer l’implémentation du système réglementaire afin d’éviter une importante perturbation de l’approvisionnement de produits aux patients et aux hôpitaux ». Une chose est certaine, cela va avoir une répercussion sur la façon dont les industriels vont travailler et notamment sur le rythme des lancements. « On va assister à de la rationalisation de gamme, prévoit Cécile Vaugelade. Car la réglementation s'applique aussi aux produits déjà sur le marché. Un fabricant ne consacrera probablement pas une énergie et des ressources importantes pour la mise en conformité de produits “en fin de vie”. D’autant que la mise en conformité au MDR a déplacé certaines ressources de R&D. » Dan Gnansia confirme : « Nous avons dû créer une équipe dédiée à la production de preuves cliniques pour les marquages CE et FDA. » L’innovation pourrait donc connaître un léger coup de frein dans le domaine des dispositifs médicaux...

* Les implants cochléaires appartiennent à la classe de risque la plus élevée (classe III).

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