Amplifon base sa prise en charge audioprothétique sur un protocole normé de tests et de questionnaires permettant de comprendre précisément les besoins et les attentes de chaque patient, avec l’objectif de proposer la technologie et les réglages les mieux adaptés à chaque individu. Appliqué dans nos 700 centres d’audition avec des outils et des modes de passation identiques, ce protocole nous permet par ailleurs de collecter un grand nombre de données homogènes et de développer des approches « Big Data » d’analyse des problématiques audiologiques. Les résultats de ces études enrichissent nos réflexions et nous permettent d’aller un cran plus loin dans la pertinence et la personnalisation de nos soins.
Les audioprothésistes référents de notre réseau d’expertise Acouphènes ont utilisé cette approche pour analyser le profil auditif de nos patients acouphéniques et mieux comprendre les problèmes auditifs associés à l’acouphène. Ils ont présenté les résultats de cette étude à l’occasion du congrès de l’Afrépa 2021.
Identification des patients acouphéniques
La première étape de ce travail a consisté à identifier, dans notre base de données, les patients acouphéniques. Deux indicateurs nous permettent de les repérer :
- la note que le patient attribue à l’EVA Gêne, lors de l’interrogatoire du premier rendez-vous. À la question « sur une échelle de 1 à 10, ressentez-vous une gêne liée à un phénomène d’acouphène ? », 15 % des patients attribuent une note supérieure à 5. La gêne est pour eux significative, et ils sont considérés comme acouphéniques (1) ;
- l’analyse sémantique des réponses du patient au questionnaire Cosi administré au premier rendez-vous. Au travers de leurs réponses, les patients listent les points concrets qu’ils souhaitent en priorité voir améliorer grâce à l’appareillage auditif. 8 % des patients mentionnent l’acouphène et en font une priorité de leur démarche d’appareillage.
Nous avons ainsi pu déterminer que 15 % de nos patients souffraient d’acouphènes. Pour plus de la moitié d’entre eux, l’acouphène constitue une des principales motivations à l’appareillage. La figure 1 compare les représentations sémantiques des Cosi des patients non acouphéniques (à gauche) et acouphéniques (à droite). Elle reflète à quel point leurs attentes diffèrent et illustre la nécessité d’une prise en charge spécifique du patient acouphénique.
Profil auditif des patients acouphéniques
Notre analyse du profil auditif des patients acouphéniques repose sur un échantillon de 1 577 patients ayant obtenu une note EVA Gêne supérieure à 5. Ce sont à 61 % des hommes. Ils ont en moyenne 63 ans et présentent une perte auditive moyenne de 31 dB (contre 72 ans et 46 dB pour nos nouveaux patients non acouphéniques). Comme le montre la figure 2, la perte d’audibilité de ces patients intervient principalement à partir du 4 000 Hz. C’est également dans cette zone que se situe la fréquence de l’acouphène dans une grande majorité des cas (figure 3). Il y a donc souvent concordance entre fréquence de l’acouphène et problème d’audibilité.
Si l’on se réfère aux critères d’appareillage, 54 % de ces patients ont une perte tonale moyenne de plus de 30 dB, qualifiante à l’appareillage auditif. 76 % des patients avec une PTA inférieure à 30 dB ont une perte d’intelligibilité (dans le silence et/ou le bruit) leur permettant de rentrer dans les critères d’appareillage définis par la loi du 100 % Santé. On constate ainsi qu’une grande majorité de nos patients acouphéniques présentent un problème d’audition associé.
Cette première analyse conforte l’intérêt de considérer l’appareillage auditif comme un moyen efficace d’atténuer la perception de l’acouphène. Il permet d’associer stratégie de masquage et amélioration de l’audibilité (enrichissement sonore) sur les fréquences de l’acouphène.
Concordance entre acouphène et perte d’audition
Nous avons par ailleurs étudié les différentes typologies de patients acouphéniques en fonction de leur perte d’audition. Trois profils se détachent :
- des patients avec une surdité asymétrique. Si l’on considère un écart d’au moins 15 dB entre les pertes auditives des deux oreilles, ces patients représentent 16 % de l’échantillon. Près de 50 % d’entre eux ont un acouphène à moins d’une octave de la fréquence où l’écart est le plus grand entre les deux oreilles ;
- des patients avec un scotome. Si l’on considère un écart d’au moins 10 dB entre la fréquence du scotome et les fréquences voisines (figure 4), ces patients représentent 13 % de l’échantillon. Pour 65 % d’entre eux, la fréquence de l’acouphène est située à moins d’une octave de la fréquence du scotome ;
- des patients avec une perte auditive dans les aigus, dont l’audiogramme peut être statistiquement modélisé dans 90 % des cas suivant un modèle mathématique à 2 pentes (Spline linéaire à noeud variable) et pour lequel l'acouphène se situe sur la deuxième pente, plus pentue, à une fréquence supérieure à celle du nœud. Dans l'exemple ci-dessous (figure 5), le noeud se situe à 4 000 Hz. Ce profil concerne 56 % de nos patients acouphéniques.
Pour chacune de ces trois typologies de patients, la fréquence de l’acouphène concorde, dans une large majorité de cas, avec celle sur laquelle le déficit d’audibilité est le plus important. La prise en charge de l’acouphène par l’appareillage auditif prend ici tout son sens et doit cibler l’amplification sur une ou quelques fréquences précises, situées au-delà du 4 000 Hz. Les outils de mesure utilisés par l’audioprothésiste et les technologies auditives préconisées au patient, doivent être adaptés à cette problématique.
Plusieurs conditions nous semblent ainsi nécessaires pour que l’appareillage auditif puisse être bénéfique dans la prise en charge de l’acouphène :
- utiliser des outils de mesure adaptés (audiométrie en demi- octave, acouphénométrie, inhibition résiduelle) ;
- que le patient présente une perte auditive, y compris limitée aux aigus, dont la localisation corresponde à celle de l’acouphène ;
- que la solution auditive retenue permette de traiter le problème auditif situé dans la zone de l’acouphène (bande passante élargie, amplification précise des aigus) ;
- qu’il soit associé à du counselling : l’adaptation d’appareils renforce l’effet des conseils qui eux-mêmes améliorent l’efficacité de l’appareillage auditif ;
- que l’audioprothésiste formé à la prise en charge de l’acouphène assure un suivi dans le temps : de l’appareillage, de l’audition, de la gêne liée à l’acouphène. Enfin, la combinaison d'applications « smartphone » aux appareils auditifs ouvre de nouvelles possibilités pour les utilisateurs.
L’approche big data qui a guidé cette étude nous permet ainsi, pour l’acouphène comme pour les autres problématiques audiologiques, d’intégrer à nos pratiques une démarche d’amélioration continue de notre service au patient, objectivée dans une logique « evidence-based ».