« Notre priorité au SDA, c’est le décret de compétences »

Le 12 septembre, Luis Godinho annonçait sa démission, à la surprise générale, après dix années passées à la présidence du SDA. Le 28 septembre, le bureau du syndicat élisait son bras droit, Brice Jantzem, pour lui succéder. L’audioprothésiste brestois, engagé de longue date, reprend le flambeau. Dans un style très différent, certes, mais les deux hommes sont néanmoins habités des mêmes convictions.

Propos recueillis par Bruno Scala
brice jantzem
Brice Jantzem, nouveau président du SDA.

Votre engagement syndical remonte à avant la fusion des trois syndicats d’audioprothésistes, qui a donné naissance à l’Unsaf ? Qu’est-ce qui vous a motivé à vous engager ?

En effet, je n’étais pas toujours en accord avec les déclarations entendues ici ou là et certaines décisions prises. Un membre d’un syndicat m’avait fait remarquer que si j’avais envie de changer les choses, il fallait le faire de l’intérieur. J’ai choisi de m’engager en adhérant à la Fnaf (Fédération nationale des audioprothésiste français) et suis vite entré au bureau. J’y occupais le poste de vice-président et, à ce titre, je siégeais au conseil d’administration de l’Unsaf, qui réunissait les trois syndicats de l’époque. Ils se tiraient dans les pattes, c’était contre-productif. J’ai œuvré pour leur fusion, parallèlement à Luis Godinho. C’est comme cela que nous nous sommes connus. Au fil de l'eau, mon engagement s’est renforcé, jusqu’à ce que j’intègre le bureau de l’Unsaf, après l’union des syndicats et au moment de l’élection de Luis à la présidence, en 2012.

C’est à ce moment que j’ai commencé à vraiment m’investir pour le syndicat et à travailler avec Luis en particulier. La profession avait fait l’objet de plusieurs attaques par les réseaux de soins, par le biais d’un journaliste notamment, dont les articles avaient été abondamment relayés. C’était le début de ce que Luis a baptisé « l’audio bashing ». En tant que citoyen, je m’opposais à ce modèle à l’américaine (le « managed care »), refusé par les Suisses, et que je trouvais problématique. Et j’ai aussi beaucoup travaillé à construire une base documentaire à la profession, des statistiques, des études... J’ai obtenu une habilitation à interroger le Sniiram devenu SNDS. Nous avons contribué aux publications de l’étude des sociologues Pierre-André Juven et Frédéric Pierru sur l’ethnographie des audioprothésistes et des patients, du Livre blanc, de l’étude de Jean de Kervasdoué et Laurence Hartmann sur le bénéfice médico-économique de l’appareillage...

Que retenez-vous de ces dix années passées au bureau de l’Unsaf puis du SDA ?

Que nous avons évité le pire pour la profession à plusieurs reprises ! (Rires) Concernant par exemple la dissociation, le tout commerce, les assistants d’écoute, les réseaux de soins fermés, la classe I à très bas prix et très basse qualité – c’est-à-dire le low-cost. Il y a aussi certaines choses qui peuvent encore nous inquiéter, comme la verticalisation du marché de l’aide auditive avec le risque de devenir des « concessionnaires ».

Tout cela a demandé beaucoup de travail, de pugnacité de la part de Luis notamment, et beaucoup de pédagogie envers les autres professions, et même envers nos adhérents. Certains sont parfois très emballés par les nouvelles technologies, sans envisager les dérives que cela pourrait entraîner. La téléconsultation, par exemple, qui peut être un plus dans des cas précis mais il faut pousser le raisonnement jusqu’au bout. On a toujours pensé que les innovations faisaient partie de notre métier basé sur la technologie mais il est indispensable de poser les garde-fous au préalable.

Et quel bilan tirez-vous de la présidence de Luis Godinho ?

Un bilan très positif ! C’est vraiment grâce à lui que la profession est désormais reconnue auprès des administrations et des pouvoir publics. Sa présence parisienne a été primordiale.

Sur un plan plus collectif, nous avons, pendant sa présidence, obtenu le remboursement des aides auditives. Le SDA y est pour beaucoup et a été l’un des principaux artisans de la négociation à une époque où personne n’y croyait. Par ailleurs, nous avons réussi à graver dans les esprits que la réhabilitation auditive est importante en termes de santé publique.

Il s’est en effet passé beaucoup de choses ces dix dernières années. Est-ce que la reprise du flambeau vous paraît difficile ?

Oui, forcément ! C’est difficile de passer après une personne comme Luis, qui a beaucoup été sur le devant de la scène. Ce serait prétentieux de dire que je n’ai pas de crainte. Mais précisément parce que le bilan est riche et très positif, les bases sur lesquelles reposent la profession sont désormais meilleures, ce qui va faciliter la tâche du syndicat. On espère que les combats que nous aurons à porter seront moins lourds. Et puis, je ne suis pas seul : Luis est désormais vice-président et tout le conseil d’administration du SDA travaille en équipe.

En effet, Luis Godinho était sur le devant de la scène tandis que vous êtes plutôt un homme de l’ombre. Est-ce gênant pour continuer les travaux du SDA ?

Je ne suis pas timide. Et, est-il nécessaire de mettre un visage sur chaque action syndicale ? Je ne crois pas. Le style sera probablement différent, mais Luis et moi sommes d’accord sur les principaux sujets traités par le syndicat. Je crois qu’un de mes atouts est d’être brestois (d’adoption !), ce qui va permettre de faire sortir un peu l’action syndicale de Paris. Je pense que l’image du syndicat peut parfois souffrir d’une centralisation parisienne. On est à l’heure des « territoires » et il est bon de le rappeler. C’est aussi l’une des raisons, stratégique, de la démission de Luis. J’ai un sens du collectif et je souhaite être à l’écoute des attentes de nos adhérents.

Par ailleurs, il y a des dossiers que Luis continuera à gérer en interprofessionnel et dont je ne m’occuperai pas. Nous allons fonctionner en duo, avec l’aide du reste du bureau, qui abat un travail important. Et puis, je souhaite continuer à exercer le métier d’audioprothésiste. Je trouve que c’est important de rester au contact, et puis j’adore ça, être auprès des gens, c’est mon métier. J’avais déjà un peu levé le pied – j’ai eu la chance de réussir à recruter – mais je vais continuer à prendre des rendez-vous deux ou trois jours par semaine, surtout les enfants, que je trouve plus difficiles à confier.

Quels sont les dossiers prioritaires du SDA ?

Notre priorité, c’est le décret de compétences. Nous l’avons déjà demandé et l’Igas et l’IGÉSR l’ont évoqué dans leur rapport sur la filière auditive. Nous devons encore prêcher en sa faveur, mais notre réflexion à ce sujet est aboutie, à quelques détails près. On se demande par exemple si l’audiométrie doit être réservée à l’audioprothésiste ou si c’est une tâche que l’on pourrait déléguer. À l’instar de ce qui se passe à l’hôpital, où une infirmière réalise l’audiométrie, tandis que le médecin l’interprète. Certains imaginent qu’un audiométriste réalise l'audiométrie prothétique dans un centre auditif, et que l’audioprothésiste l’interprète pour l’appareillage. Aujourd’hui, c’est interdit, c’est à discuter.

Si c'est un ordre qu’il faut pour mettre fin aux dérives, alors c'est cette voie que nous suivrons.

Ce décret doit être explicite sur le rôle et les tâches qui sont réservées à l’audioprothésiste, comme pour n’importe quelle profession de santé. Celles qui ne seront ni réservées à l’audioprothésiste ni au médecin pourront donc être déléguées à un technicien ou un assistant. Le texte qui régit cela aujourd’hui est assez large et ouvre la porte à des dérives. De plus en plus, l’audioprothésiste est assimilé au centre d’audition. C’est une métonymie qui peut conduire à confier des tâches à des personnes qui ne sont pas censées les effectuer. Le décret de compétences permettrait de clarifier tout cela et, en conséquence, de lutter contre l’exercice illégal de la profession.

Le dernier communiqué du syndicat s’interrogeait sur la nécessité d’un ordre des audioprothésistes. C’est une chose que vous souhaitez ?

Ce communiqué est subtil : il ne dit pas que le syndicat souhaite un ordre, mais qu’il se demande s’il en faut un. La profession est divisée sur ce sujet, pour diverses raisons. Les cotisations des ordres sont souvent élevées, l’adhésion des professionnels de santé à leur ordre n’est pas toujours enthousiaste... Mais nous ne parvenons pas à nous faire entendre sur les dérives. Les contrôles de la DGCCRF ont beaucoup porté sur des aspects commerciaux ou administratifs : devis, factures, affichage en vitrine. C’est très bien, il faut certainement le faire. Mais ils n’ont pas vraiment contrôlé qu’on appareillait bien des personnes qui en avaient besoin, qu’on effectuait des réglages de bonne qualité, ou même qu’on avait un diplôme. Le rapport d’enquête parle pudiquement de « défaut de qualification », pour 4 des 163 centres auditifs contrôlés, mais appelons un chat un chat : il s’agit d’exercice illégal. Cela relève des ARS et elles ne le font pas. Si c'est un ordre qu’il faut pour obtenir le décret de compétences, un encadrement des pratiques commerciales publicitaires et des contrôles, et ainsi mettre fin aux dérives, alors c'est cette voie que nous suivrons.

Nous souhaitons accompagner des programmes de recherche sur le cœur de notre métier.

Un autre dossier chaud concerne la baisse possible du PLV de la classe I.

La baisse du PLV se traduirait par une baisse du service. Les audioprothésistes ne disposent pas de cinquante façons de baisser les prix : soit ils rognent leurs bénéfices, soit le service qu’ils offrent. En cette période d’inflation la question paraît anachronique. Et en plus, cela ne permettra pas d’améliorer l’accès aux soins : pour les patients, ça ne change rien puisque le reste à charge demeure nul. En revanche, cela dévalorise l’image de la classe I.

Et concernant l’accès à la prescription, est-ce que le SDA est favorable à ce que les médecins généralistes puissent primo-prescrire ?

Il faut évaluer le risque qu’un MG passe à côté d’une pathologie. Cette mission relève des pouvoirs publics, peut-être de la HAS, qui doivent, le cas échéant, trouver les limites à fixer.

Quels sont les autres axes de travail à venir du SDA ?

Nous souhaitons accompagner des programmes de recherche sur le cœur de notre métier, sous l’impulsion de Stéphane Gallégo. Notre profession a évolué. La recherche doit nous permettre de progresser. Par exemple, pour la vocale dans le bruit qui est devenue obligatoire, il n’y a pas vraiment de norme et plusieurs pratiques co-existent. Je pense que c’est à la recherche académique de nous donner une direction et de nous fournir les outils communs. Il faut notamment des outils pour mieux caractériser l’audition et aussi mieux connaître les appareils, leurs algorithmes, au-delà du discours marketing des fabricants. Le rôle de l’audioprothésiste qui était de veiller à l’adéquation de l’appareil à l’audiométrie va évoluer pour être d'assurer l’adéquation de l’algorithme au profil psychoacoustique.

L'audioprothésiste pourrait avoir un rôle un peu plus important à jouer dans la prévention aux différents âges de la vie.

Nous voulons aussi mener des réflexions sur la place de l’audio dans l’écosystème de santé. Nous sommes en première ligne auprès des personnes âgées. Nous pourrions être formés puis engagés pour dépister les troubles cognitifs ou des maladies type Alzheimer, des dépressions… Nous pouvons accompagner davantage. L'audioprothésiste pourrait avoir un rôle un peu plus important à jouer dans la prévention aux différents âges de la vie. C’est une chose à laquelle il faut que l’on réfléchisse dans les années à venir.

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