08 Octobre 2024

« Nous avons toujours trouvé intéressant d’avoir plusieurs marques fortes et complémentaires ; c'est dans notre ADN »

Acuitis, GrandAudition, Unisson, Direct Optic et Audition... toutes ces enseignes appartiennent au discret Groupe Héron, créé par les serials entrepreneurs, Daniel et Jonathan Abittan. En mars 2023, Bernhard Nuesser a été nommé à sa direction générale pour en accélérer le développement. Il dévoile pour la première fois les valeurs, la stratégie et quelques chiffres clés de cet acteur de poids.

Propos recueillis par Ludivine Aubin-Karpinski
B. Nuesser3web
Bernhard Nuesser, DG du Groupe Héron

Le groupe Héron est peu connu. Pouvez-vous nous le présenter ?

Il s’agit d’une aventure humaine, initiée par Daniel et Jonathan Abittan, et à laquelle se sont associés dans un premier temps Cédric Gilson chez GrandAudition et des proches collaborateurs de GrandOptical pour Acuitis : Manuel Conejero, Manuel Cezar et Frédéric Beausoleil. Le groupe est né avec les créations de GrandAudition en 2005, puis d’Acuitis en 2009. Il s’est ensuite développé, notamment avec les acquisitions d’Acousti-Centre en 2013, de Direct Optic en 2018, d’Unisson en 2019, puis de la Maison de l’Appareil Auditif et de Sensee/Lentillesmoinscheres.com en 2020. Il fallait une structure qui anime ce bel ensemble, avec des fonctions transversales, tout en garantissant à chaque entité de pouvoir se focaliser sur le service client et sa propre proposition de valeur. Ainsi, le groupe Héron existe depuis près de 20 ans mais nous ne le faisons émerger que depuis mon arrivée en mars 2023 et notre déménagement en juin 2024 sur un site commun, rue de Madrid à Paris. C’est avant tout pour nos équipes, pour entretenir un sentiment d’appartenance, favoriser l’entraide et le partage de bonnes pratiques entre nos différentes enseignes et aussi ouvrir des perspectives de carrière à nos collaborateurs. Mais, à l’extérieur, vous ne verrez jamais le groupe Héron sur un salon ou des campagnes de pub ; nous préférons communiquer sur nos marques.

Le groupe Héron compte huit enseignes dans le monde (Acuitis, GrandAudition, Direct Optic et Audition, Frédéric Beausoleil, Unisson, Auzen, Sensee et AcoustiCentre). Quel est le dénominateur commun entre ces différentes entités ?

La mission du groupe, sa raison d’être, est d’améliorer l’expérience humaine, en permettant aux individus de se connecter, de communiquer et de percevoir le monde qui les entoure, grâce à une intégration harmonieuse des technologies optiques et auditives. Le groupe Héron, fondé sur des principes humanistes, repose sur plusieurs grandes valeurs dont la principale à nos yeux est la bienveillance vis-à-vis de nos collaborateurs. La plupart travaillent avec la famille Abittan depuis des années : comme moi, un tiers d'entre eux sont des anciens de GrandOptical. Daniel entretient et favorise cet esprit familial, cette culture d’entreprise. Ces valeurs humaines se traduisent notamment par un programme de responsabilité sociétale, poussé par nos équipes, et notre fondation, qui intervient au Rwanda, en partenariat avec le ministère de la Santé, pour améliorer la vie des enfants souffrant de troubles visuels ou auditifs de la région de Kiboungo.

La disruption et l’innovation sont également des moteurs pour le groupe, que ce soit en termes de produits, de formes de distribution, d’organisation. Les créations de GrandAudition et son Laboratoire 1 heure, d’Acuitis et son modèle hybride ou encore le lancement d’Auzen, notre centre d'audition 100 % en ligne (l’offre n’est aujourd’hui disponible qu’en Suisse, en Italie et en Espagne, NDLR), en sont de parfaites illustrations.

Nous portons également attention à l’expertise, garante de la satisfaction de nos clients, et à la recherche du prix juste. Il s’agit d’une posture quasi militante. Au travers de la plupart de nos marques, nous promouvons l’accessibilité pour tous. Avec Acuitis, nous proposons à nos clients des « lunettes de créateur à prix très, très doux ». C’est également le positionnement d’Auzen (qui revendique des prix « 65 % moins chers que les centres de soins auditifs traditionnels », NDLR) ou d’Unisson (« Les meilleurs appareils auditifs au prix le moins cher »).

Entre 2019 à 2024, nous avons doublé notre CA et nous comptons bien récidiver les cinq prochaines années, pour atteindre les 500 millions d'euros.

Où en est le groupe aujourd’hui et quel est le poids respectif des différentes marques ?

Nous comptons près de 1 500 collaborateurs et 350 magasins. Nous avons trois sites de e-commerce (lentillesmoinscheres.com, Auzen, Direct Optic) et nous sommes présents dans sept pays : la France, la Suisse, l’Espagne, le Luxembourg, la Belgique, le Canada, l’Angleterre et les États-Unis (Floride). Nous proposons plusieurs marques en audioprothèse, qui pèsent pour moitié dans notre chiffre d’affaires.

Tout d’abord, GrandAudition qui se positionne comme l’hyperspécialiste, cultivant des valeurs d’innovation et d’excellence et sa proximité avec le corps médical.

Ensuite, Acuitis, qui a été la toute première enseigne hybride, à combiner d’emblée optique et audition. La part de l’audition y est de 30 % quand elle avoisine les 10 % chez les opticiens ayant une activité audio conséquente. Les mix produits et les prix moyens sont différents chez ces deux enseignes, avec une proportion de classe 1 de 10 % pour GrandAudition et de 40 % pour Acuitis.

Quant à Unisson, à l’origine il s’agissait du réseau numéro 1 de l’acquisition clients par Internet. L’enseigne est aujourd’hui positionnée sur le meilleur rapport qualité prix.

Les deux tiers du chiffre d’affaires audio sont réalisés par les marques pure players (GrandAudition, Unisson et Auzen), un tiers par Acuitis.

Quelle est la stratégie du groupe ?

Nous avons toujours trouvé intéressant d’avoir plusieurs marques fortes et complémentaires ; c'est dans notre ADN. À l’époque de GrandVision, nous avions à la fois GrandOptical et la Générale d’optique... Nous n’avons pas peur de nous faire notre propre concurrence pour mettre nos modèles à l’épreuve et, aussi, parce qu’il n’y a pas un consommateur unique, mais une diversité de profils avec des besoins bien distincts.

Nous restons à l’affût des nouveautés et sommes ouverts à de nouvelles acquisitions. Nous avons ainsi récemment pris une participation majoritaire de cinq centres d’audioprothèse à Pau. Nous développons notre partenariat en mettant à disposition nos outils, tel que centrale d’achats, CRM, expertise marketing et digital afin qu’au bout du compte 1+1 fasse 2,5.

En une dizaine d’années, entre la croissance organique, les ouvertures, et quelques achats, nous sommes ainsi passés de 15 millions d’euros de chiffre d’affaires à 226 millions d’euros. Entre 2019 à 2024, nous avons tout simplement doublé et nous comptons bien récidiver les cinq prochaines années, pour atteindre les 500 millions, en nous basant sur une croissance organique annuelle d’environ 8 % et l’ouverture de 50 nouveaux magasins par an.

Comment comptez-vous y parvenir ?

Notre stratégie est de croitre rapidement et intelligemment pour atteindre une taille critique et ainsi rentabiliser l’ensemble du système. Nous disposons de quatre leviers pour atteindre ces objectifs : améliorer l’expérience des clients en cultivant nos aspects de différenciation – nous travaillons actuellement à réinventer Acuitis – tout en gardant à l’esprit que nous sommes avant tout des métiers de santé, faire évoluer et rendre heureux nos « talents » et nos franchisés, croitre profitablement avec un focus sur nos marchés et marques principales, et développer une dimension omnicanale dans l’acquisition et la fidélisation de nos clients. Enfin, nous souhaitons poursuivre notre développement en France mais nous voulons mettre l’accent sur l’étranger pour rééquilibrer un peu la balance du groupe car aujourd’hui 70-80 % de notre CA est réalisé dans l’Hexagone.

Le groupe Héron mise-t-il davantage sur l'optique, l'audition ou sur le modèle hybride ?

La question que tout le monde se pose est de savoir quel modèle émergera demain. Sans présumer de l’avenir, j'estime qu'il y a de la place à la fois pour le modèle hybride et pour le pure player. C'est pour cette raison que nous sommes bien positionnés sur chaque segment. Le marché de l’audition présente encore un potentiel de croissance énorme. Même si, en France, la réforme a permis de grands progrès dans l’accessibilité aux aides auditives, pour atteindre aujourd’hui les 50 % de couverture, l’âge du premier appareillage est encore trop tardif. Quant au reste du continent, on va peut-être passer de 10 % de taux d'équipement à 20 % : il reste donc 80 % de besoins non servis. Des solutions comme les lunettes auditives d'EssilorLuxottica ou les Airpods Pro 2 d’Apple ont le potentiel d’ouvrir ces marchés en dédramatisant l'appareillage.

Des solutions comme les lunettes auditives d'EssilorLuxottica ou les Airpods Pro 2 d’Apple ont le potentiel d’ouvrir ces marchés en dédramatisant l'appareillage.

Un certain nombre d'enseignes de l’optique misent sur l’audition aujourd’hui, jouant des synergies entre les deux secteurs. Le phénomène s’est amplifié ces dernières années. Pensez- vous qu’il puisse modifier le marché en profondeur ?

Il y aura sans doute une accentuation de la segmentation du marché, pour répondre aux besoins différents des consommateurs. Les enseignes audio-optique attirent des clients plus jeunes, recherchant un processus d’achat plus proche de celui de l’optique. Quant aux pure players, ils répondent aux besoins de patients en quête d’un service très spécifique. C’est ce qui se passe sur des secteurs plus importants que le nôtre et il y a de la place pour tout le monde. Les réseaux tournés exclusivement vers l’audition ont peut-être le sentiment aujourd’hui d’être coincés entre les modèles audio-optique qui montent, les low-costers et les agences, comme Audibene, dediées à l’acquisition sur Internet... mais, qu’ils se rassurent, notre enseigne pure player GrandAudition se développe très bien et a même enregistré une croissance de 20-25 % sur deux ans. On tient donc une proposition de valeur.

Vous évoquiez plus tôt l’arrivée d’Essilor-Luxottica et d'Apple sur le terrain de l’audition. Ces géants peuvent-ils devenir des « game changers » pour le secteur ?

S’ils apportent des produits qui concourent à la sensibilisation du grand public à la santé auditive et à l'entrée de clients plus jeunes dans le parcours d’appareillage, c’est une très bonne chose. Des sociétés comme Apple ou Samsung se contenteront d’ajouter des fonctionnalités à leurs produits et n’ambitionnent pas de vampiriser le marché de l’audition. En revanche, il est envisageable qu’une entreprise comme EssilorLuxottica, pesant 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires sur un marché de 100 milliards, lorgne le marché de l’audition et voie la convergence des deux activités sur ses points de vente. Pour croitre, quand vous êtes le numéro un, il faut faire progresser le marché. N’oublions pas aussi qu’EssilorLuxottica a racheté GrandVision en 2021 : c’est un modèle d’intégration verticale. De plus, quand l’entreprise fait un coup, c’est toujours un gros coup... comme l’acquisition d’un réseau de distribution ou d’un fabricant. Un tel évènement a le potentiel de changer la donne sur le secteur. Cela étant, cette entreprise s’est toujours assurée de conserver la valeur du marché. L'optique ne pèserait pas 100 milliards d’euros s’il n’y avait pas EssilorLuxottica et son potentiel d’innovation. Donc que la verticalisation de la distribution en audioprothèse s’accentue, c’est inévitable. Mais, je préfère que cela soit le fait d'un acteur d’un secteur adjacent, qui sait comment maintenir et faire croitre la valeur, que d’un fonds d’investissement.

Comment envisagez-vous le marché les prochaines années ?

Il y a les fantasmes – ou les réelles perspectives – de renouvellement des appareillages réalisés en 2021. Personne ne sait vraiment combien d’appareils sont restés dans les tiroirs ces quatre dernières années ni combien de personnes retourneront se faire appareiller. On y verra un peu plus clair les prochains mois car les ventes devraient commencer à remonter. 2025 devrait être de nouveau positive, entre un scénario de base de l’ordre de 3 % et un scénario plus optimiste de 8 %. À terme, le marché français retrouvera un rythme de croisière de 5-6 % de croissance annuelle.

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