Pas de tonotopie à l’apex de la cochlée

Grâce à une nouvelle technique d’imagerie, des chercheurs ont confirmé que le codage du son à l’apex de la cochlée ne se fait pas de façon tonotopique. Ces travaux ont des conséquences sur les stratégies de codage du son développées par les fabricants d’implants cochléaires.

Par Bruno Scala

piano spirale cochlee
Une des caractéristiques de la cochlée réside dans son organisation tonotopique. « Ce modèle de la place (place-code en anglais) prévoit un codage du son en fréquence dépendant de la place des neurones du ganglion spiral avec une distribution spatiale bien organisée, rappelle Michel Hoen, directeur de recherche clinique chez Oticon Medical : les neurones de la région basale avec des fréquences caractéristiques dans les hautes fréquences et les neurones proches de l’apex des fréquences caractéristiques dans les basses fréquences. »

Place vs fréquence

Si ce modèle s’applique sans aucun doute au niveau des fréquences aiguës (base de la cochlée), les preuves manquent en ce qui concerne l’apex. D’autant que, dans cette zone, l'existence d'un deuxième type de code a déjà été mis en évidence, le verrouillage en phase (phase-locking) : « Les neurones dans les régions basses-fréquences calent leur fréquence de décharge sur un multiple de la fréquence du son, explique encore Michel Hoen. Ce double-encodage des basses fréquences (environ jusqu’à 3 kHz) interroge depuis longtemps. » Si bien qu’il est suspecté depuis plusieurs années que le codage de la place n'ait pas cours dans les basses fréquences : « Cette tonotopie inefficace à l'apex avait déjà été défendue avec des arguments indirects solides par Shyam Khanna, qui y avait ajouté la thèse non seulement d'une absence d'amplification, mais au contraire d'un amortissement par les cellules ciliées externes, et par d'autres neurophysiologistes », rapporte Paul Avan, directeur du Centre de recherche et d'innovation en audiologie humaine de l’Institut de l'audition.

L’idéal serait un code double : essentiellement spatial dans les hautes fréquences avec une cadence de stimulation relativement élevée mais fixe, et ajusté précisément en cadence variable dans les fréquences basses.

Michel Hoen, directeur de recherche clinique chez Oticon Medical

Des progrès techniques en imagerie

Si les arguments apportés par Shyam Khanna étaient indirects, c’est que « l’apex est depuis toujours difficile à étudier pour plusieurs raisons : difficultés d’accès et de visualisation, dépendances des réponses à ce qui se passe en amont dans les parties basale ou médiale de la membrane basilaire, difficulté de mobiliser l’apex sans stimuler au moins en partie les neurones des autres parties de la cochlée... », énumère Michel Hoen. « Avec les technologies utilisées jusque-là, il n'était pas vraiment possible d'évaluer de manière rigoureuse les rôles des différents codages à l’apex de la cochlée, car cela nécessite de mesurer les sons évoqués provenant d'endroits très espacés, constate en outre Anders Fridberger, chercheur à l’université Linköping, en Suède. Ou alors, il était nécessaire de physiquement ouvrir la cochlée, ce qui provoque des artéfacts rendant les résultats difficiles à interpréter ». Mais grâce à une technique d’imagerie récente, Anders Fridberger, en collaboration avec une équipe du Centre de recherche sur l’audition de l’Oregon, apporte la preuve qu’il n’y a pas de double codage au niveau de l’apex, mais un seul – le verrouillage en phase – tandis que la tonotopie, elle, y est inexistante [1].

OCT (not OTC)

Cette technique, c’est la tomographie en cohérence optique (OCT). Elle permet d’obtenir des informations structurelles et de mesurer le mouvement des cellules, grâce à de la lumière infrarouge. Par exemple, le mouvement des cellules ciliées ou de la membrane basilaire en réponse à un son envoyé dans la cochlée. Si on envoie un son à 300 Hz et que l’on constate que toute la région apicale entre en vibration, c’est que la tonotopie est très imparfaite dans cette zone.

tonotopie apex cochlee
C’est précisément ainsi qu’Anders Fridberger et ses collègues ont procédé. Ils ont montré que, chez le cochon d’Inde – qui présente un spectre auditif assez semblable à celui des humains, surtout dans les basses fréquences –, il n’y a aucune différence de fréquence caractéristique entre un emplacement situé dans le milieu de la partie apicale de la cochlée – où on s’attend à des fréquences caractéristiques d’environ 500 Hz – et l’apex de la cochlée – où le modèle de la tonotopie prévoit une fréquence caractéristique d’environ 50 Hz (voir figure). « Cela confirme la quasi-absence de sensibilité spatiale dans la région des basses fréquences, au profit d’un système de codage temporel fin, sensible et populationnel, le code au final provenant de l’intégration des signaux calés en fréquences dans plusieurs fibres nerveuses », résume Michel Hoen.

Codage des implants

Ces résultats ont une incidence en ce qui concerne les stratégies de codage des implants cochléaires. Aujourd’hui, ces derniers fonctionnent en effet suivant le modèle de la place : « Les fréquences sont codées à cadence de stimulation fixe et distribuées le long du porte-élecélectrodes à différentes places correspondant à différentes bandes de fréquences », décrit Michel Hoen. Or cette stratégie pourrait être optimisée pour la perception des basses fréquences au vu des résultats d’Anders Fridberger et son équipe. « D’ailleurs, les quelques travaux ayant réalisé une cartographie des fréquences montrent bien que les utilisateurs d’implants cochléaires entendent la même fréquence lorsque la dernière, l’avant-dernière ou l’antépénultième électrode est stimulée [2], ce qui confirme les résultats de nos travaux, illustre le chercheur suédois. Ceux-ci suggèrent que cette faible discrimination dans les basses fréquences pourrait être améliorée en changeant les cadences de stimulations plutôt que les emplacements. »

Double code

Comment procéder ? « L’idéal serait un code double : essentiellement spatial dans les hautes fréquences avec une cadence de stimulation relativement élevée mais fixe, et ajusté précisément en cadence variable dans les fréquences basses, indique Michel Hoen. Mais les puces actuelles ont un peu de difficultés à gérer un double code. Néanmoins, il n’y a pas de blocage technologique particulier à lever, simplement du développement, ce qui est envisageable à relativement court terme. »

Autre solution, nécessitant moins de développement : « Favoriser une insertion semi-profonde (avec des électrodes présentes entre 360° et 450- 540°) et y coder l’énergie basse-fréquence avec une cadence abaissée, en négligeant globalement la place dans cet espace. Cette solution est intéressante parce qu’elle est très “faisable” à partir des designs actuels. Il faut simplement pouvoir ajuster la cadence effective dans certains canaux, ce qui est envisageable sur la plupart des puces de stimulation déjà disponibles. » Un fabricant s’est déjà lancé sur ces pistes : MED-EL. Sa stratégie de codage FineHearing utilise un codage tonotopique ainsi qu'un codage temporel à cadence variable dans la région apicale de la cochlée, dont l’objectif est de faire correspondre la cadence de stimulation avec la fréquence du son pour produire des réponses neuronales verrouillées en phase. Aujourd’hui, la recherche semble lui donner raison sur le principe, mais reproduire précisément ce que réalise l’oreille si finement est un défi colossal.

Newsletter

Newsletter

La newsletter Audiologie Demain,

le plus sûr moyen de ne jamais rater les infos essentielles de votre secteur...

Je m'inscris