Plaidoyer pour une société plus inclusive

Première avocate sourde de naissance de France, coach et conférencière, Virginie Delalande est devenue, malgré elle, une icône de la diversité. Fondatrice de la société Handicapower, elle met aujourd’hui son enthousiasme et sa pugnacité au service de l’inclusion et travaille à changer le regard de la société sur le handicap. Portrait d’une femme inspirante.

Par Ludivine Aubin-Karpinski
Virginie Delalande

Abandonnez ? Jamais ! Le titre de son livre publié l’an passé donne le ton. Virginie Delalande pourfend tous les plafonds de verre. Alors que les médecins avaient annoncé à ses parents qu’elle ne parlerait jamais, elle devient la première avocate sourde de naissance de France puis… s’engage dans une carrière de coach et conférencière. Et, si elle-même ne l’entend qu’à peine, elle donne de sa voix sans compter pour changer le regard de la société sur la différence et rend audibles le handicap et la surdité.

Un travail orthophonique et auditif de longue haleine

Diagnostiquée sourde profonde à 9 mois, elle est appareillée à un an. Ses parents choisissent de ne pas s’arrêter à la sentence médicale et lui donnent une éducation oraliste basée sur la lecture labiale. Dans la foulée de l’appareillage commence l’orthophonie, à raison de trois séances par semaine. Un travail intensif qui durera vingt ans, pour prononcer des sons qu’elle n’entend pas. « On les a construits un à un autour de mon babillage naturel, explique Virginie Delalande. J’ai appris à reproduire les ouvertures de la bouche, les mouvements de la langue. J’ai également beaucoup entraîné mon audition, ce qui me permet aujourd’hui de disposer de repères comme le chien qui aboie, la sonnette de la porte, la sirène des pompiers… Lorsque j’entends [i]- [i]- [i], je sais que l’on s’adresse à moi ; c’est mon prénom ! »

Lorsqu’elle a 18 ans se pose la question de l’implantation cochléaire. « Comme j’étais sourde de naissance et que j’avais une excellente lecture labiale, je n’étais pas certaine d’en retirer un grand bénéfice mais j’ai finalement sauté le pas », se souvient Virginie Delalande. Malheureusement, l’appareil lui donne de violentes migraines quotidiennes ; c’est un échec. Quelques années plus tard, au moment où elle envisage d’implanter l’autre oreille, un examen révèlera qu’il s’agissait d’un problème de pose, que ce n’était pas dans sa « tête » comme les médecins avaient fini par lui asséner. Elle renonce finalement à sa démarche d’une deuxième implantation, par peur de perdre les quelques sons « qui lui restent » et auxquels elle tient ardemment.

Aujourd’hui, elle porte un appareil surpuissant Leox de Bernafon. « Il m’apporte, par rapport à mes précédentes aides auditives, une plus grande diversité de perception des sons, commente-t-elle. Cela m’a permis de me réconcilier avec ma voix, que je trouvais très monocorde, très grave. Aujourd’hui, j’ai découvert des nuances, un spectre auditif plus riche. L’appareil permet d’isoler la voix dans le bruit. Chaque subtilité est un vrai bonheur. »

D’avocate à conférencière

Après des études supérieures où « rien n’était adapté », elle devient avocate, dépassant encore ses « limites ». « Ce n’est pas parce qu’il n’y avait pas de précédent que je n’avais pas le droit d’essayer », explique-t-elle. Mais, finalement, « être le pompier de service et vivre dans le stress permanent » ne lui convient pas. « Ce n’est pas une énergie qui nourrit mais qui vide », ajoute Virginie Delalande. Elle se lance alors dans une formation pour devenir conférencière. « C’est un métier qui permet de transmettre un message positif et inspirant, de ceux qui ouvrent des portes. » Mais elle ne passe pas à l’action immédiatement : « J’étais convaincue que personne ne paierait pour m’écouter, à cause de ma voix. » Puis, en 2018, elle est révélée au grand public grâce au documentaire L’Éloquence des sourds et à sa participation, en 2019, à l’émission TV Le Grand Oral. Ces défis qu’elle s’impose sont pour elle une forme de revanche sur le handicap et l’illustration que rien n’est impossible. L’engouement suscité par ces expositions médiatiques achève de la convaincre de se lancer. « Ce fut le catalyseur d’une démarche déjà entamée, avoue-t-elle. Je me suis autorisée à essayer et à utiliser cette notoriété pour contribuer à changer le regard de la société sur le handicap. »

À nous de montrer que l’intérêt de l’inclusion, de la diversité, est bien plus grand que les contraintes.

La force du handicap

Son parcours, exemplaire de résilience et de persévérance, lui permet aujourd’hui d’accompagner au travers de sa société Handicapower des entrepreneurs, handicapés ou non, pour leur « apprendre à s’autoriser à tutoyer les étoiles ». Mais également à assumer leur vulnérabilité, à l’explorer pour en faire une force. « Ce n’est pas parce que l’on a un handicap, quel qu’il soit, que l’on doit abandonner ses rêves, insiste Virginie Delalande. Au contraire, la différence permet de développer des compétences et des talents précieux. L’important est donc de bien se connaître et de bien communiquer. Il ne faut pas hésiter à exprimer ses ambitions. Les entreprises ont besoin de personnes qui sachent sortir du cadre et s’adapter. À nous de montrer que l’intérêt de l’inclusion, de la diversité, est bien plus grand que les contraintes. » « Il n’y a rien de pire que de subir les limites que l’on nous impose, ajoute-t-elle. Il est nécessaire de se battre pour une société plus inclusive et de dire ce qui ne va pas. Comme le fait que les professionnels des services ORL qui reçoivent des personnes sourdes tous les jours ne savent toujours pas communiquer en LSF ou en LPC ! » À bon entendeur...

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