« Pour Sound of Metal, je voulais proposer une expérience immersive de la surdité »

Le film Sound of Metal de Darius Marder, sorti en 2019, suit le parcours de Ruben, batteur de hard rock, qui perd brutalement l’audition et choisit l’implantation cochléaire. Une immersion sonore, très sensitive, restituée avec réalisme par l’ingénieur du son Nicolas Becker, dont le travail a été récompensé de l’oscar du meilleur son en 2021.

Propos recueillis par Laura Huynh Quang
soud of metal

Comment avez-vous eu l’idée de réaliser cette plongée dans l’audition (et la perte auditive) de Ruben ?

Nicolas Becker : Ce cheminement est parti d’un livre philosophique de David Abram, The spell of the sensous, dont l’idée principale est que l’expérience donne du sens à la connaissance. Dans un film, le spectateur peut comprendre qu’un personnage est sourd, mais il ne sait absolument pas ce que ça peut représenter comme sensation. Pour Sound of Metal, je voulais proposer au spectateur une expérience immersive de la surdité, lui donner à ressentir la perte d’audition.

Quelles recherches avez-vous menées pour recréer ce qu’un malentendant et un implanté cochléaire peuvent entendre ou ressentir ?

NB : Quand le réalisateur, Darius Marder, m’a contacté, cela faisait déjà dix ans qu’il travaillait sur le projet de ce film. Son équipe m’a apporté une importante source de documentation. Nous avons travaillé à la fois avec des audiologistes et des patients implantés. Les premiers nous ont transmis des modélisations pour nous montrer à quoi ressemblait un son au travers d’un implant cochléaire d’un point de vue très scientifique.

Nous avons également pu échanger avec des patients malentendants ou sourds d’une seule oreille. Ils étaient en capacité de décrire les sons, les sensations, les bruits qu’ils percevaient encore. les patients implantés d’un seul côté ont ainsi pu nous expliquer les différences sonores entre leurs deux oreilles.

Ruben vit d’abord sa perte d’audition puis se fait implanter. Comment avez-vous reproduit ces deux environnements sonores différents ?

NB : Quand on est sourd, il reste souvent quelque chose, soit une audition même légère, soit des sons transmis par le corps qui résonne. Pour retranscrire cette perte d’audition, j’ai donc utilisé des capteurs de sons solidiens, des hydrophones, des microcontacts, des stéthoscopes revisités avec des micros très sensibles à l’intérieur pour constituer une bibliothèque de sons. je les ai collés sur le corps de l’acteur Riz Ahmed afin de capter les sons au travers des résonances et percevoir ainsi physiquement ce que peuvent ressentir les personnes sourdes. Malgré la surdité, le corps continue de percevoir des vibrations et c’est ce résultat très réaliste que je voulais restituer. Les sons ne sont pas du tout trafiqués ; je les ai enregistrés tels que le corps les a transformés. Je souhaitais simuler la sensation de la perte d’audition, afin que les spectateurs puissent comprendre ce que pouvait vivre physiquement et émotionnellement Ruben. Pendant le tournage, Riz Ahmed portait pour certaines séquences des oreillettes dans lesquelles je diffusais un « bruit rose » qui l’empêchait d’entendre correctement. Ainsi, ses réactions, sa posture, ses gestes se rapprochaient naturellement de ceux des malentendants.

Puis Ruben se fait poser un implant cochléaire…

NB : L’approche était différente. En étudiant les modélisations des audiologistes, j’ai trouvé que le son entendu avec un implant cochléaire ressemblait beaucoup aux artefacts produits par un certain type de logiciel de synthèse granulaire. Pour reconstituer les voix telles qu’elles sont perçues par un implant cochléaire, j’ai utilisé un logiciel, l’Ircam Lab TS, qui permet de séparer le signal sonore et de le traiter grâce aux analyses FFT, en jouant sur le contenu harmonique, le contenu bruité et les transitoires. J’ai d’abord séparé les signaux, puis je les ai mixés et remis ensemble. la voix est donc pour le coup très modifiée, et le résultat ressemblait à la modélisation des implants cochléaires proposées par les audiologistes.

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